mercredi 10 décembre 2014

PAS DE NOUVELLE, BONNE NOUVELLE !





Louis B se sentait très embarrassé en entrant dans le bureau du maire qui avait accepté de le recevoir, suivi par son épouse Marie Marguerite, née L.
Déranger un homme important, pour demander aide, n’était pas dans leurs habitudes. Ils avaient revêtu leurs habits du dimanche, ceux qu’ils mettaient dans les grandes occasions ou pour se rendre à l’église. Il fallait faire bonne impression.

Les visiteurs ayant pris place sur les sièges devant son bureau, l’élu prit la parole sans attendre.

« Vous avez souhaité me rencontrer. Que puis-je faire pour vous ?
-          C’est ma femme, M’sieur l’maire, c’est qu’elle est très inquiète, à cause du fils, répondit l’homme ne sachant pas comment exposer les raisons de cette entrevue.
-          Votre fils ? 
-          C’est qu’il est parti à l’armée depuis plusieurs années et qu’on a pas d’nouvelles depuis p’t-êtr ‘ ben quatre ans. Alors on voudrait bin savoir, ajouta l’épouse en retenant ses larmes.
-          Il faudrait m’en dire un peu plus. Quand est-il parti ? Vous connaissez son régiment ? Quatre ans sans nouvelle, dites-vous ?

Les pauvres parents essayaient de répondre de leur mieux. Surtout le père, car la malheureuse mère, émue au plus haut point, retenait mal ses sanglots. Le maire apprit toute l’histoire de cette famille. Histoire qui ne différait pas beaucoup de celle d’un grand nombre de ses administrés.

Marie Marguerite avait épousé Louis B, en juin 1777. Il était veuf. Elle l’était aussi, et depuis bien plus longtemps que lui. Elle avait eu la grande douleur de perdre son époux, Louis Antoine L, à peine quinze mois après leur union, alors qu’elle était grosse de six mois et avait à charge une fillette de treize mois[1]. IL avait été attiré par sa douceur, son courage et son amour maternel. Ses petits passaient avant tout !
Louis B avait accueilli les deux enfants, Marie Marguerite, née en mars 1769 et Jean Louis, arrivé en ce monde en avril 1770.

Et l’homme d’affirmer : « Et j’ m’en suis occupé comme si c’étaient les miens ! Ça pour sûr ! »

Le maire comprenait le désarroi de ces deux-là, déversant devant lui inquiétudes et espoirs, contant leur pauvre existence un peu dans le désordre comme pour prouver leur honnêteté et le bien- fondé de leur démarche. Aussi, suite à la visite du couple L, il adressa, sans tarder,  un courrier « aux citoyens composant le Conseil d’Administration de la 79ème ½ brigade – 11ème division » à Saint-Jean-Pied-de-Port dans les Basses-Pyrénées, demandant à avoir des nouvelles du soldat Jean Louis L dont les parents se trouvaient dans une extrême inquiétude, et d’autant plus depuis le retour, dans la commune, de certains compagnons d’armes de celui-ci. Il concluait sa missive comme suit :
« J’ose me flatter, citoyens, que vous voudrez bien m’adresser l’extrait mortuaire de ce militaire afin de tranquilliser sa famille. »

Comment l’extrait mortuaire d’un être aimé pouvait-il tranquilliser ?

Quelques jours plus tard, la réponse arriva, annonçant ce que la famille L redoutait, sans toutefois vouloir  y croire.
Leur fils, Jean Louis[2], n’était plus, et cela d’ailleurs depuis plusieurs années, car après avoir été fait prisonnier de guerre par les Russes et envoyé au Fort de Saint-Maure, le 25 brumaire an VII, il avait été livré aux mains des Turcs. Emprisonné au bagne de Constantinople, ce fut là-bas, en terre étrangère, qu’il était décédé, trois mois plus tard, le 27 pluviose de la même année.

Comment ont réagi les parents à cette nouvelle ? Ont-ils été, enfin, « tranquillisés » ?
Sûrement que non, mais ils savaient, à présent qu’ils ne reverraient jamais le jeune homme.
Du moins en ce qui concernait le citoyen L, car pour son épouse, ce ne fut pas tout à fait le cas.

« C’est point vrai tout ça ! J’sais qu’il est point mort ! hurlait-elle, emplie de désespoir.
-          Mais puisqu’on l’ dit ! Y’a même un papier où c‘est écrit ! répliquait le mari essayant de calmer et de raisonner son épouse qu’il ne voulait plus voir malheureuse. Il comprenait sa réaction, bien évidemment, mais que pouvait-on faire si ce n’était accepter. Le chagrin, les pleurs, les cris ne ramèneraient pas le fils disparu.
-          Mais, moi, j’sais bin. J’ le sens, là, affirmait la pauvre femme, en montrant son ventre.
-          Mais voyons … !
-           
A bout d’arguments Louis B haussa les épaules et se dirigea vers la porte, afin d’aller prendre un peu l’air, en maugréant :
« Ah les femmes ! C’est point possible, ça ! »
Et puis, découragé,  se retournant et s’adressant à son épouse :
« Et puis, pense c’ que tu veux ! »

Alors, dans l’esprit de cette femme qui n’avait pas vu le corps du soi-disant défunt, une petite lueur d’espoir s’installa.
Et si il y avait eu une erreur lors de l’identification du cadavre. Un soldat ne ressemble-t-il pas à un autre soldat ?


[1] Le jour du mariage, Marie Marguerite était presque au terme de sa grossesse. En effet, une fillette naquit six semaines après la cérémonie.
[2] Une erreur s’est glissée dans l’acte mortuaire. Il a été attribué au jeune soldat défunt le prénom d’« Antoine » qui était celui de son père.

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