mercredi 7 janvier 2015

ET IL COURT ENCORE !



 
Quand il avait donné à louer la petite chambre mansardée avec cuisine, au second étage de la maison qui lui appartenait, le Père Germain, comme on l’appelait dans le quartier, avait cru effectuer une bonne affaire. L’homme qui s’était présenté à lui, en recherche d’un logement, lui avait fait forte impression. De bonne mise, d’une grande courtoisie, il lui avait confié qu’il était en affaires et dans l’attente d’une grosse rentrée d’argent. Il avait, sans rechigner, accepté le montant du loyer que le propriétaire avait quelque peu grossi, car, pensant que «c’t homme-là avait du bien » et qu’il était donc normal qu’il en profitât un peu.
Ne disposant pas encore de la somme attendue, cet homme, bien sous tous rapports, avait demandé que le règlement des loyers soit reporté. Afin de prouver sa bonne foi, il avait proposé de laisser, en gage, sa montre, une fort jolie montre à gousset, assurément en or, et qu’il avait sortie de la poche de son gilet afin de la montrer au Père Germain qui, impressionné, avait décliné l’offre.

« Non, non, avait-il répliqué, je vous fais confiance ! Entre gens de bonne compagnie, n’est-ce-pas …. »

A présent, il se demandait comment il n’avait pas perçu le petit rictus ironique de son nouveau locataire lorsqu’il avait replacé sa montre dans sa poche.

A présent, le Père Germain se reprochait ce qu’il pensait avoir été une erreur de jugement.
A présent, trois mois de loyers étaient impayés et, de plus, cela faisait un petit moment qu’il n’avait pas vu son locataire. Combien de temps d’ailleurs ? Une semaine ? Deux ? Peut-être bien trois en réalité.

Discutant avec quelques voisines, l’une d’elles avança d’un ton sombre et dramatique :
« C’est-i qu’on lui aurait fait un mauvais coup ?
Une autre, plus terre-à-terre,  répliqua avec  lucidité :
« Serait-i’ pas parti sans payer ?
Une troisième posa quelques questions, histoire de montrer un quelconque intérêt à l’affaire, histoire de « bavacher un brin ».
« Vous avez été voir chez lui ? Frapper à la porte ?

Le Père Germain ne savait que répondre aux trois commères dont le discours ne l’avait nullement rassuré, car, dans les deux premières idées avancées, il était certain qu’il ne verrait jamais l’argent du paiement de ses loyers.
Toutefois, il se refusait d’envisager le pire. Son locataire, homme élégant, au maintien impeccable, s’exprimant de la meilleure manière et qui avait de l’instruction, ça se voyait au premier regard, ne pouvait être qu’un homme « bien ».

Regardant les trois femmes qui poursuivaient leurs commentaires, il répondit à la troisième remarque :
« Ça pour sûr que j’suis allé frapper. Et j’ai point eu d’ réponse. J’ai même essayé d’entrer, mais c’est qu’ la porte était fermée.
-          Va p’t-êt’ rev’nir ? Un môssieu comme ça, ça fait des affaires et ça voyage !
-          Oui, mais quelles affaires ?

Cette conversation fit que le pauvre propriétaire commença à douter. Alors, il décida de se rendre au commissariat de police, dans le quartier de la Porte de Rouen, près de la Maison Commune. En chemin, il rencontra le garde champêtre Tribout à qui il conta l’affaire par le menu.
« On disparait pas comme ça, affirma le garde champêtre. Il s’appelle comment ton locataire ?
-          A c’ qui m’a dit, Etienne Brottier.
-          Ah oui, celui qu’est v’nu d’mander un passeport pour s’ rendre à Paris ! Tu vois bin qu’il est pas disparu. Y d’vait régler une affaire qu’il a dit. Celle-ci faite, il va rev’nir !
-          Oui, mais en attendant, j’ fais quoi avec le log’ment ?
-          Tu l’as loué ?
-          Bah oui !
-          Alors, attends son retour !

« Attendre ! Attendre ! C’est bin beau tout ça, mais mon dû là-d’dans ! » maugréait le pauvre Père Germain en rentrant chez lui. Surtout qu’à présent, il n’était plus certain, mais alors plus du tout, de revoir le bonhomme, tout « môssieu » qu’il était, et encore moins son argent !


Dans le quartier, on ne parlait plus que du citoyen Etienne Brottier. Ah oui, et quelle histoire !
Les divers commerçants se plaignaient d’avoir été spoliés.
Le cabaretier avait fait l’avance de plusieurs repas, ainsi que d’un grand nombre de pichets de vin et de cidre.
« Et en plus, il avait une bonne descente et un appétit d’ogre, ce’ui-là. Et il invitait et payait des tournées à tous, à mes frais, en plus ! »
Le boulanger n’avait pas reçu le paiement des pains que cet homme sans scrupule avait eu l’audace de se faire livrer.
« C’est qui fallait l’ servir en plus ! Quelle honte ! »
Le marchand de bois, non plus, n’avait pas touché son dû.
« C’est y pas malheureux de vivre sur le dos des pauvres gens ! se plaignait-il à qui voulait l’entendre.

Mais il y avait aussi le marchand de meubles, le tailleur et bien d’autres, car chaque jour, de nouvelles plaintes étaient déposées.

A la question : « Mais comment avez-vous, tous, fait confiance à un individu étranger à la ville ? », la réponse était identique : « Mais avec sa bonne mise, sa manière de parler qui en imposait. Enfin voilà, à le voir, c’était pas Dieu possible de penser qu’il n’était pas honnête ! »

Tout se clarifia, mi-prairial, à la lecture, par le maire de Louviers, d’un courrier émanant du Préfet de Police de Paris, demandant quelques renseignements sur la conduite morale et politique d’un dénommé Etienne François Brottier. Le maire diligenta la maréchaussée afin de mener une enquête minutieuse sur les faits et gestes de ce citoyen. Celle-ci aboutit sur peu de choses.
Elle apprit qu’Etienne François Brottier, venant de Caudebec-les-Elbeuf, était arrivé à Louviers, le 4 ventose an XI, où il s’était installé, comme on le savait, malheureusement, aux frais de quelques habitants de la ville. Trois mois plus tard, il avait demandé que lui soit délivré un passeport pour se rendre à Paris où il devait, selon ses dires, recueillir une succession. Ce soi-disant héritage, prétexte bien trouvé, permit donc à notre homme de se carapater sans attirer  l’attention en laissant derrière lui un nombre considérable de dettes. Et bien évidemment, et cela n’étonna personne, ce sinistre individu était coutumier de ce genre d’escroquerie, il en vivait même et très bien !

Quelques jours plus tard, le propriétaire reçut la clef de son logement mansardé. Après ouverture de la porte, la déception fut bien grande. Il ne contenait que les quelques meubles, non payés d’ailleurs, d’une valeur qui ne dépassait pas les six francs.

Le Père Germain regretta alors de ne pas avoir accepté, en gage, la belle montre à gousset proposée par cet escroc. Mais à bien y réfléchir, était-elle vraiment en or, et dans l’affirmatif, n’était-elle pas le fruit d’une rapine ?


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