mercredi 25 février 2015

UNE HISTOIRE DE SONNERIE DE CLOCHES




La sonnerie de la cloche, à toute volée, avait jeté hors des demeures les habitants de la ville. Il y avait, là dans les rues, des femmes échevelées, en chemise, les épaules enveloppées à la hâte d’un châle, des hommes reboutonnant, sans réelle discrétion, leur pantalon qu’ils avaient enfilé rapidement avant de sortir, une ribambelle de gamins courant en tous sens, bien mieux réveillés que leurs parents et déjà prêts à toutes les facéties possibles. Une femme, surprise alors qu’elle allaitait, se trouvait également là, seins découverts, son marmot toujours à la mamelle.

Tous, sans exception, l’odorat interrogateur, flairaient tels des chiens en quête de gibiers ; tous, le regard inquiet, scrutaient le toit des maisons, le ciel encore assombri en raison de l’heure, entre nuit et aube, espérant découvrir le moindre indice justifiant la sonnerie de ce tocsin qui étreignait les estomacs, faisait battre le cœur plus rapidement.
Le tocsin n’était-il pas annonciateur de sinistres nouvelles ?

Mais là, rien ! Aucune lueur rougeoyante à l’horizon, aucune odeur de fumée.

« I’ s’ pass ‘ quoi ? demanda, inquiète, une femme serrant dans ses bras un jeune enfant endormi.
-          Y’ a pas d’incendie ! affirma, soulagé, un homme chauve à l’imposante moustache.
-          Ce s’rait y qui y’aurait la guerre ? interrogea une vieille femme qui en avait vu passer des guerres, qui en avait vu des jeunes hommes partir pour ne point revenir.
-          Des guerres ! lança une autre, mais c’est qui y’ en a toujours ! Alors, i’ f’rait pas un pareil raffut pour ça !
-          C’est y qu’ le roi, i’ s’rait mort ? clama triomphant un jeune homme qui n’avait jamais caché ses idées républicaines.
-          Mort oui vivant ! rétorqua un autre homme fataliste. Qu’est-ce que ça chang’rait ? Pour nous, ce s’ra toujours la misère !

Tout cela faisait grand bruit, grand vacarme même, et aurait sans doute tourné à l’émeute, si le maire, suivi des conseillers municipaux, n’était arrivé.
Le calme se fit aussitôt.
Monsieur Lambart regarda le clocher de l’église Notre-Dame d’où la cloche déversait toujours ses sombres sonorités.

Ce fut alors qu’on vit arriver, soutane au vent, monsieur le curé, le visage encore bouffi par le sommeil.

« Alors, monsieur le curé ! lança le maire d’un ton de reproche. Que signifie tout cela ?
Je n’en sais pas plus que vous, monsieur le maire, répondit le saint homme. C’est le sonneur qui doit souffrir d’insomnie !
Monsieur le curé avait, parfois, quelques petites pointes d’humour qui n’étaient pas du goût du maire.

-          Ah ! rétorqua le maire. Quand votre sonneur ne dort pas, les braves gens ne sont pas autorisés à dormir non plus ?


Après avoir sorti, de la poche de sa soutane, la clef de la porte menant au clocher, monsieur le curé à la tête d’une curieuse expédition, suivi de monsieur le maire, lui-même suivi du commissaire de police, ce dernier suivi de deux gendarmes, gravit le petit escalier aux marches étroites, pour découvrir, dans un bruit assourdissant, le sonneur chantant à tue-tête en tirant, énergiquement, sur la corde actionnant la cloche.
Afin d’arrêter, au plus vite, ce tintamarre, l’homme fut ceinturé avec force par les deux gendarmes, mais l’homme, en grande joie, n’opposant aucune résistance, accompagna docilement les forces de l’ordre.
Sur le parvis de l’église, le perturbateur fut accueilli par les hourras et applaudissements des jeunes gens et garnements de la ville. Quelques taloches maternelles tombèrent sur les visages, quelques pieds paternels atteignirent les postérieurs. Le calme revint, enfin, et chacun put reprendre sa nuit malencontreusement interrompue.
Le sonneur, lui, poursuivant, imperturbable, sa chanson, fut mené dans la cellule de dégrisement du commissariat de police.

Le lendemain, 11 mars 1819, monsieur le maire, mécontent de voir troubler ainsi l’ordre public dans sa commune, fit parvenir un courrier au curé de l’église Notre-Dame. Cet écrit rappelait à l’homme de foi les termes de l’article 48 de la loi du 18 germinal an 10, interdisant à l’Eglise  de faire sonner les cloches, en dehors des services divins, sans la permission de la police locale.
En effet, très rigoureux, monsieur le maire, pas du tout le sens de l’humour !

Monsieur le curé sermonna (mais, n’était-ce pas son rôle) le sonneur qui se repentit humblement. Pas méchant le sonneur, un brave homme même, mais il était pris, parfois, d’une effervescence de tête qui le poussait à toutes les extravagances.

Après s’être fait « sonner les cloches[1] », le sonneur se tint tranquille, jusqu’au verre de trop suivant !



[1] « Sonner les cloches à quelqu’un » : cette expression viendrait du fait que pour réprimander, dans ce cas précis, on secouait la personne dans une sorte de va-et-vient, comme l’on faisait pour les cloches (dictionnaire comique de Leroux – 1718)

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