dimanche 12 avril 2015

ANDANTINO, LE PETIT ESCARGOT - Chapitre 14




 Je restai seul, abandonné. Je cherchai Maman du regard, mais tremblant, je n’arrivai pas à la trouver.

« Andantino, poursuivit l’Ancêtre, je pense que nous devrions parler ; »

Il m’entraîna, près du mur, sous la fenêtre d’où sortait encore cette musique qui était la cause de toutes mes péripéties. Là, il me regarda et, d’une voix adoucie, questionna !
« Qu’avez-vous vu dans la forêt ? »

Je me rappelai ce que la sorcière m’avait dit, mais devais-je en parler ?

« Eh bien, parle !
-          Nous avons vu la sorcière, commençai-je, timidement.
-          Ah oui ! », puis à lui-même : « Pharmacie… »
-          Pardon ? fis-je.
-          C’est son nom, elle s’appelle, Pharmace.

Je respirai un bon coup, puis avec aplomb, je lançai à toute vitesse, comme on avale un mauvais remède :
« Elle m’a dit qu’elle ne regrettait rien et qu’elle était heureuse  que vous soyez en vie. »
Puis, reprenant souffle, je ponctuai la fin de ma phrase par : « Cascado ! »….

Ce dernier mot, son nom, sembla le réveiller. Il me regarda, cherchant à savoir ce que j’avais appris.

« Que sais-tu ? me demanda-t-il enfin.
-          Rien de plus, ai-je poursuivi. Seulement qu’elle m’a conseillé de vous demander de me raconter son histoire.

Il soupira fortement, longuement.
Quel secret reliait ces deux personnages ?
L’Ancêtre allait-il me le révéler ?

Plusieurs fois, il prit une profonde inspiration laissant croire que j’allais, enfin, savoir, puis, songeur, il replongeait dans son mutisme.
Soudain son regard accrocha le mien et :
« Vois-tu, Petit, si je suis sévère, c’est parce que je connais les dangers, et quand je te vois,  je revois le petit escargot que j’étais, il y a bien longtemps. »

Il marqua un temps de pause qui me parut une éternité.

« Oui, je connais Pharmace, et elle a raison, si je suis en vie aujourd’hui, c’est à elle que je le dois. »

Il leva ses cornes vers la fenêtre au-dessus de nous. Je le fis, également.
Que cette musique m’attirait ?

« Vois-tu cette fenêtre là-haut ? Oui, bien sûr, tu la vois, puisque, toi aussi, tu as voulu l’atteindre. A ton âge, cette musique me fascinait, tout comme toi à présent. Oui, bien sûr que je te comprends ! »

Il sembla absorbé par la vision de sa propre enfance.
« Alors, pensai-je, lui aussi, il aime la musique. Il me comprend ! » Je me sentis alors très proche de lui.

Il continua son récit :
« Un jour, j’ai, comme toi, voulu l’atteindre, cette fenêtre. Ce fut difficile, très difficile….. J’y étais presque lorsque soudain ….
-          Vous êtes tombé, vous aussi ?

Il hocha ses cornes, d’un air affirmatif.
« Oui, je suis tombé. »

Il revécut sa chute, en pensée, avant de poursuivre :
« Oui, et je n’ai pas eu ta chance. Pas de tapis de feuilles, non ! Je suis tombé sur un rosier, avec ses épines meurtrières. »

En écoutant son récit, je sentis ma coquille craquer mortellement, transpercée par un dard assassin.

« Vois-tu, Andantino, c’est Pharmace qui m’a secouru, sans coquille, elle craignait moins les épines. Puis, elle me veilla, me donna les remèdes dont elle tenait le secret de sa mère. Personne ne crut, en voyant mon état, que je pourrais survivre. Pharmace resta près de moi, attentive. Et je guéris. Ma coquille se consolida, ma corne cicatrisa et je pus me mouvoir à nouveau, sans trop de difficultés. Mais cette guérison fut prise pour de la magie dans la colonie. Surtout que Pharmace était différente.
-          La coquille ? lançai-je.
-          Oui, la coquille. Les différences ne sont pas acceptées. Elle fut accusée de sorcellerie.

J’imaginais Pharmace partant, seule, vers la forêt, les cornes basses, lourdes de chagrin.

« Un autre évènement vint corroborer cette accusation, continua l’Ancêtre. Quelque temps après son départ, la colonie fut décimée par les mains assassines des humains qui firent un festin de leur méfait. Je perdis ainsi tous les membres de ma famille. Chaque rescapé pensa alors que c’était une vengeance, un sortilège lancé par Pharmace furieuse d’avoir été évincée, rejetée. »

Tout en écoutant attentivement le récit, je pensais au « Tous à la casserole ! », cette phrase lancée par Boullotte, et j’imaginai Pharmace, penchée sur un chaudron fumant, tournant lentement à l’aide d’une énorme cuillère en bois, un liquide brunâtre à l’odeur de soufre, sur lequel flottait une multitude de coquilles d’escargot.

L’Ancêtre pris dans son récit était devenu intarissable. Il n’avait, à mon avis, jamais autant parlé depuis des années. Il finit, en répétant tristement comme une  litanie, tout en hochant de droite à gauche ses cornes : « Ce n’était pas sa faute ! Ce n’était pas sa faute !... »

Puis, se ressaisissant, il ajouta : « Va Petit, va et fais bien attention à toi ! »


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