samedi 4 avril 2015

SOUVENIRS D'ENFANCE - CONCLUSION DU SUJET DE MARS 15



L’enfance devrait être un moment privilégié de découvertes et d’apprentissages, entourée d’affection et d’amour.
Si je dis « devrait », c’est que cela n’a pas été et n’est pas toujours, encore aujourd’hui, hélas, le cas[1]

Pendant cette période qui est parsemée de joies, de peines et petites blessures, de drames parfois, l’enfant, fragile et maniable absorbe tout, s’imprègne de tout sans analyser car n’ayant encore aucun repère pour le faire. Il prend. Ilo n’est, à ce moment, qu’émotions.
Ses repères en ce début de vie, il se les crée dans le contexte familial, scolaire, mais aussi au contact des « copains ». Mais il doit prendre en compte, également, tout un environnement de plus en plus technologique lui apportant une multitude d’informations qu’il n’est pas toujours en mesure de démêler.
Dur, dur, l’enfance !


La littérature foisonne de biographies et romans relatant des « souvenirs d’enfance » heureux ou malheureux, parfois légèrement modifiés par un contexte romancé. Parler de soi n’est pas toujours si simple !
Des textes sur l’enfance, il y en a de très beaux, de très gaies, de très heureux, comme ceux de Marcel Pagnol.
« La gloire de mon père », « le château de ma mère », entre autres, parlent du contexte familial dans lequel il a grandi, entouré de la tendresse d’Augustine, sa mère, disparue trop tôt, en 1910.

-=-=-=-=-=-

Alphonse Daudet, au travers du « Petit Chose » se raconte. Il commence ainsi :

Je suis né le 13 mai 18..., dans une ville du Languedoc où l’on trouve, comme dans toutes les villes du Midi, beaucoup de soleil, pas mal de poussière, un couvent de Carmélites et deux ou trois monuments romains. Mon père, M. Eyssette, qui faisait à cette époque le commerce des foulards, avait, aux portes de la ville, une grande fabrique dans un pan de laquelle il s’était taillé une habitation commode, tout ombragée de platanes, et séparée des ateliers par un vaste jardin. C’est là que je suis venu au monde et que j’ai passé les premières, les seules bonnes années de ma vie. Aussi ma mémoire reconnaissante a-t-elle gardé du jardin, de la fabrique et des platanes un impérissable souvenir, et lorsque à la ruine de mes parents il m’a fallu me séparer de ces choses, je les ai positivement regrettées comme des êtres.
Je dois dire, pour commencer, que ma naissance ne porta pas bonheur à la maison Eyssette. La vieille Annou, notre cuisinière, m’a souvent conté depuis comme quoi mon père, en voyage à ce moment, reçut en même temps la nouvelle de mon apparition dans le monde et celle de la disparition d’un de ses clients de Marseille, qui lui emportait plus de quarante mille francs ; si bien que M. Eyssette, heureux et désolé du même coup, se demandait, comme
l’autre, s’il devait pleurer pour la disparition du client de Marseille, ou rire pour l’heureuse arrivée du petit Daniel... Il fallait pleurer, mon bon monsieur Eyssette, il fallait pleurer doublement.
C’est une vérité, je fus la mauvaise étoile de mes parents. Du jour de ma naissance d’incroyables malheurs les assaillirent par vingt endroits. D’abord nous eûmes donc le client de Marseille, puis deux fois le feu dans la même année, puis la grève des ourdisseuses, puis notre brouille avec l’oncle Baptiste, puis un procès très coûteux avec nos marchands de couleurs, puis, enfin, la Révolution de 18..., qui nous donna le coup de grâce.
À partir de ce moment, la fabrique ne battit plus que d’une aile ; petit à petit, les ateliers se vidèrent : chaque semaine un métier à bas, chaque mois une table d’impression de moins. C’était pitié de voir la vie s’en aller de notre maison comme d’un corps malade, lentement, tous les jours un peu. Une fois, on n’entra plus dans les salles du second. Une autre fois, la cour du fond fut condamnée. Cela dura ainsi pendant deux ans ; pendant deux ans, la fabrique agonisa. Enfin, un jour, les ouvriers ne vinrent plus, la cloche des ateliers ne sonna pas, le puits à roue cessa de grincer, l’eau des grands bassins, dans lesquels on lavait les tissus, demeura immobile, et bientôt, dans toute la fabrique, il ne resta plus que M. et Mme Eyssette, la vieille Annou, mon frère Jacques et moi ; puis, là-bas, dans le fond, pour garder les ateliers, le concierge Colombe et son fils le petit Rouget.
C’était fini, nous étions ruinés.
J’avais alors six ou sept ans. Comme j’étais très frêle et maladif, mes parents n’avaient pas voulu m’envoyer à l’école. Ma mère m’avait seulement appris à lire et à écrire, plus quelques mots d’espagnol et deux ou trois airs de guitare, à l’aide desquels on m’avait fait, dans la famille, une réputation de petit prodige. Grâce à ce système d’éducation, je ne bougeais jamais de chez nous, et je pus assister dans tous ses détails à l’agonie de la maison Eyssette. Ce spectacle me laissa froid, je l’avoue ; même je trouvai à notre ruine ce côté très agréable que je pouvais gambader à ma guise par toute la fabrique, ce qui, du temps des ouvriers, ne m’était permis que le dimanche. Je disais gravement au petit Rouget : « Maintenant, la fabrique est à moi ; on me l’a donnée pour jouer.» Et le petit Rouget me croyait. Il croyait tout ce que je lui disais, cet imbécile.
À la maison, par exemple, tout le monde ne prit pas notre débâcle aussi gaiement. Tout à coup, M. Eyssette devint terrible : c’était dans l’habitude une nature enflammée, violente, exagérée, aimant les cris, la casse et les tonnerres ; au fond, un très excellent homme, ayant seulement la main leste, le verbe haut et l’impérieux besoin de donner le tremblement à tout ce qui l’entourait. La mauvaise fortune, au lieu de l’abattre, l’exaspéra. Du soir au matin, ce fut une colère formidable qui, ne sachant à qui s’en prendre, s’attaquait à tout, au soleil, au mistral, à Jacques, à la vieille Annou, à la Révolution, oh ! surtout à la Révolution
!...
-=-=-=-=-=-

Jules Renard, nous décrit un « Poil de Carotte » recherchant, en vain, l’amour de sa mère.
Pourquoi ne l’aime-t-elle pas comme son frère et sa sœur ?
« Tout le monde ne peut être orphelin ! » répète-t-il, au point qu’il finit par croire qu’orphelin, en effet, il avait été adopté !
Voilà l’explication à n’en pas douter !

Une mère qui ne cesse de lui infliger brimades et punitions, sans omettre les réflexions telle :
« Qu’est-ce que j’ai donc fait au ciel pour avoir un enfant pareil ? »

Une mère qui n’a jamais une attention particulière :
« Croyant que sa mère lui sourit, Poil-de-carotte, flatté, sourit aussi. Mais, Madame Lepic qui ne souriait qu’à elle-même, dans le vague, fait subitement sa tête de bois noir aux yeux de cassis. Et Poil-de-carotte, décontenancé, ne sait où disparaitre »


Et puis, cette confidence paternelle à la fin du récit :

Poil de Carotte :
Papa, mon frère est heureux, ma sœur est heureuse, et si maman n'éprouve aucun plaisir à me taquiner, comme tu dis, je donne ma langue au chat. Enfin, pour ta part, tu domines et on te redoute, même ma mère. Elle ne peut rien contre ton bonheur. Ce qui prouve qu'il y a des gens heureux parmi l'espèce humaine.
Monsieur Lepic :
Petite espèce humaine à tête carrée, tu raisonnes pantoufle. Vois-tu clair au fond des cœurs ? Comprends-tu déjà toutes les choses ?
Poil de Carotte :
Mes choses à moi, oui, papa ; du moins je tâche.
Monsieur Lepic :
Alors, Poil de Carotte, mon ami, renonce au bonheur. Je te préviens, tu ne seras jamais plus heureux que maintenant, jamais, jamais.
Poil de Carotte :
Ça promet.
Monsieur Lepic :
Résigne-toi, blinde-toi, jusqu'à ce que majeur et ton maître, tu puisses t'affranchir, nous renier et changer de famille, sinon de caractère et d'humeur. D'ici là, essaie de prendre le dessus, étouffe ta sensibilité et observe les autres, ceux mêmes qui vivent le plus près de toi ; tu t'amuserais ; je te garantis des surprises consolantes.
Poil de Carotte :
Sans doute, les autres ont leurs peines. Mais je les plaindrai demain. Je réclame aujourd'hui la justice pour mon compte. Quel sort ne serait préférable au mien ? J'ai une mère. Cette mère ne m'aime pas et je ne l'aime pas.

-          Et moi, crois-tu donc que je l'aime ? dit avec brusquerie M. Lepic impatienté.

A ces mots, Poil de Carotte lève les yeux vers son père. Il regarde longuement son visage dur, sa barbe épaisse où la bouche est rentrée comme honteuse d'avoir trop parlé, son front plissé, ses pattes d'oie et ses paupières baissées qui lui donnent l'air de dormir en marche. Un instant Poil de Carotte s'empêche de parler.
Il a peur que sa joie secrète et cette main qu'il saisit et qu'il garde presque de force, tout ne s'envole. Puis il ferme le poing, menace le village qui s'assoupit là-bas dans les ténèbres et il lui crie avec emphase :

- Mauvaise femme ! te voilà complète. Je te déteste.
- Tais-toi, dit M. Lepic, c'est ta mère après tout.
- Oh ! répond Poil de Carotte, redevenu simple et prudent, je ne dis pas ça parce que c'est ma mère.

-=-=-=-=-=-

Dans « Vipères au poing », Hervé Bazin est Brasse-Bouillon, gamin au caractère fort, affrontant l’autorité d’une mère tyrannique qu’il surnomme « Folcoche ».
Ce conflit, couché sur le papier, nous a permis de lire de bien belles pages ?

-=-=-=-=-=-

Bernard Clavel raconte l’apprentissage du petit Julien Dubois dans une boulangerie de Dôle, juste avant la Seconde Guerre Mondiale  : « La maison des autres ».
Le jeune apprenti ne doit pas ménager sa peine et travailler de nombreuses heures chaque jour, sans rechigner.


A 3 heures moins le quart, le chef les réveilla. Jamais encore Julien n’avait si peu dormi. Il s’habilla maladroitement, avec des gestes d’ivrogne. Ses paupières étaient de nouveau enflées et il voyait tout dans une espèce de demi-jour tremblotant. L’eau froide du robinet lui fit du bien, mais la fatigue engourdissait encore ses membres, rendait ses muscles douloureux.
Le chef l’obligea à boire deux tasses de café.
-       Faut te réveiller, mon vieux, disait-il. Sans ça on va être dans le lac.
Julien se raidissait. Par moments, il lui semblait que les plaques où il alignait les croissants se mettaient à osciller sur le tour, comme soulevées par la houle. Les bruits étaient assourdis. Le sommeil était partout ; il estompait les formes, atténuait les reflets des cuivres, ralentissait les mouvements. Sur les rayons, les boites et les bouteilles avaient toutes la même teinte grisâtre, elles semblaient s’affaisser, s’écraser, s’accroupir dans une espèce d’attente indifférente.
Par deux fois, Julien dut sortit pour prendre des plaques sur la pile élevée à côté de la porte. Dehors tout était silencieux. La nuit dormait. Toute la vie, toute la chaleur de la ville était réfugiée là, dans ce laboratoire. Et chaque fois que Julien sortait, il avait hâte de retrouver cette lumière et cette chaleur. Un instant, il vivait vraiment ; puis il luttait, ses paupières se fermaient, sa tête devenait lourde, et, au moment où son poids l’entrainait en avant, Julien sursautait.
Le chef et le second se relayaient pour lui venir en aide.
-       C’est forcé qu’il soit crevé, dit Maurice, la grosse vache nous a fait veiller jusqu’à 11 heures hier soir.

A la fin du livre, Julien a seize ans, mais cette période d’apprentissage en a déjà fait un homme.


-=-=-=-=-=-

Françoise est l’héroïne du livre de Jeanne Bourin, « La garenne », roman inspiré des souvenirs personnels de l’auteur.
Françoise a huit ans, et l’action se passe dans les années de l’entre-deux-guerres.

Quel âge puis-je avoir au moment où s’imprime en moi la première image située à la Garenne ? Je ne sais. Pourtant, je la revois parfaitement dès que je me mets à courir dans les allées du jardin. A cette époque-là, même debout, je suis plus petite que les hautes herbes de juin, que la folle avoine, que les nonchalantes graminées dont les têtes, alourdies par le poids de leurs graines, se balancent et ploient au moindre souffle. Assise, ou plutôt, enfouie au cœur de la pente herbue qui sépare l’allée du milieu de l’allée du bas, je disparais, y compris le petit chapeau de paille que Maman exige que je porte, dans l’exubérance végétale du grand jardin odorant, immense à mes yeux. Vaste, mystérieux, il est mon domaine. Terre de toutes les explorations, de toutes les découvertes. Certains coins m’en demeurent alors mal connus, ce qui ajoute à mon plaisir.
……………
A présent que je suis grande, je connais tous les coins et recoins de la Garenne. J’ai élu certains endroits où je me tiens plus volontiers qu’ailleurs. Il y a le potager où les roses paysannes s’épanouissent aux angles des carrés de choux, de carottes ou de radis, où les groseilliers à maquereaux me fournissent l’occasion de les piller en désobéissant à ma grand-mère, où le vieux seringa touffu, couvert au printemps d’étoiles blanches, dégage un parfum si puissant, ennivrant.


Qui n’a pas un jardin, un espace ombragé, un coin de verdure où il a rêvé de nombreuses heures ?
Ce contact avec la nature, indispensable pour se construire et garder son équilibre.

-=-=-=-=-=-

Je pourrais encore et encore vous conseiller des ouvrages fabuleux, et en mettre quelques extraits pour attiser votre envie de lecture, comme :

-          les multiples expériences de « Claudine » racontaient par Colette
-          « L’Enfant »,  sous la plume de Jules Vallès

Ainsi que de nombreux écrits mettant en scène cet être extraordinaire pour un enfant : la « grand-mère ». 
·         « Mémé » de Philippe Torreton
·         « Ma grand-mère paysanne » de Jehan Le Povremoyne
·         « Blanche et Lucie » de Régine Déforges
·         …….


Vous pouvez aussi, et j’en serais très heureuse, me faire partager certaines de vos lectures.
Un échange, alors, pourrait s’instaurer sur les impressions ressenties au fil des pages, lors de telles ou telles situations.
N’y-a-t-il pas un peu de chacun de nous, un peu de notre propre histoire, dans chaque livre ?
Voilà pourquoi ils nous font tant vibrer.

Je vous rappelle que ce blog a été créé pour cela, un échange en toute simplicité autour d’un livre ou d’un auteur.

Alors…… lancez-vous !  Je suis là pour vous accueillir !




[1] A noter
Loi contre le travail des enfants en France – scolarisation obligatoire
Dans certains pays les enfants ne bénéficient toujours pas  de protection juridique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.