mardi 14 avril 2015

UNE AFFAIRE PEU ORDINAIRE !


 
Alité depuis plusieurs jours, le médecin n’avait laissé aucun espoir.

« Il est usé votre père. Il n’en a plus pour longtemps. »

Devant la fin toute proche de leur père, les enfants s’étaient précipités à son chevet afin de le veiller à tour de rôle.

Allongé sur sa couche, les yeux clos, Jacques G respirait avec difficultés. Il savait sa fin proche et l’acceptait, car c’était ainsi. A soixante-quatorze ans, il sentait s’amenuiser ses forces depuis quelque temps et surtout, ne souhaitait pas devenir une charge pour les siens.
Et puis, n’allait-il pas retrouver sa Geneviève ? Cela faisait combien de temps qu’elle avait quitté ce monde ? Vingt ans ? Plus, sûrement, mais sa mémoire lui faisait défaut, tout à coup. Et puis, compter toutes ces années sans elle était une épreuve. Et après tout, cela n’avait vraiment plus d’importance.

Jean Baptiste, son fils, s’approcha de lui, le contempla quelques instants, puis sortir de la pièce. La  même question l’attendait :

« I’ va comment l’ père ?
-          I’ repose. Il est calme.
-          Il a besoin de qu’qu’chose ?
-          J’ crois pas, non !
-          Faudrait p’t’ êt’ aller chercher le curé ?
-          Tu veux donc le faire mourir ?
-          Bah ! c‘est une idée, comme ça. I’ vaudrait mieux, non ?
-          Tu sais qu’ les curés, il aime pas trop.

Le silence se fit, pesant, tout à coup. Faire venir le prêtre, ce serait préférable, en effet.

-=-=-=-=-=-=-

Le curé d’Andé, ayant appris qu’un de ses paroissiens était proche du trépas, n’attendit pas d’être appelé. Il arriva sans prévenir, un enfant de chœur sur les talons, au domicile de Jacques G, vers neuf heures du matin, alors que dehors voletaient des flocons de neige.

Tout le long du chemin, il s’était dit qu’il aurait fallu faire creuser la fosse dans le cimetière, avant que le gel ne durcisse la terre.

Lorsque la porte de la ferme s’ouvrit, le prêtre s’engouffra dans la pièce, s’exclamant :
« Quel temps ! »

Puis, il demanda des nouvelles du vieillard et proposa de s’entretenir avec lui.

« C’est qu’ nous savons pas !
-          Alors, allez lui demander, et rassurez-vous, ce ne sera pas une confession,  non, simplement une conversation entre vieux amis ou vieux ennemis, comme il lui plaira.

Julie, la fille de Jacques G, entra dans la petite pièce attenante à la cuisine où reposait son père. Elle revint presque aussitôt.

« Il accepte, mais i’ veut pas entendre parler d’ religion, ni voir vot’ enfant d’ chœur, et encore moins vot’ attirail. »

Ce ne fut donc pas en « homme de Dieu » que le curé alla s’entretenir avec le moribond. Julie avait approché une chaise près du lit et le curé s’y installa en silence, attendant d’être seul avec le vieil homme.
Il regarda, en silence, le visage creusé, les cernes noirâtres et le teint cireux de jacques. Celui-ci sentant une présence, ouvrit les yeux et tourna légèrement la tête.

 « Ah, l’ curé, c’est vous !
-          Oui, Jacques, je suis venu voir comment vous allez.
-          Eh bé ! Comme vous l’ voyez, c’est la fin et m’ dites pas que j’vais m’en r’mettre ! Ce s’rait mensonge et dans vot’ métier, c’est  péché !

Le prêtre sourit.

« Même au bord de la mort, Jacques, vous ne pouvez vous empêcher de m’attaquer.
-          J’crois mêm’ que j’ vais vous manquer.

Le prêtre acquiesça d’un mouvement de tête.

« Sûrement que vous allez me manquer !
-          Pourtant, j’ vous en ai fait voir, hein ? Vous vous souv‘nez ?
-          Je pense que je ne pourrais jamais oublier, non !
-          Bah, vous savez quoi, l’ curé ? J’en ai aucun regret et si c’était à r’faire… Oh que oui !!

Les deux hommes éclatèrent de rire à l’évocation de ces évènements passés. Mais le vieillard manqua de souffle, se mit à tousser et expira dans un hoquet.


Dans la cuisine, les membres de la famille, réunis, entendirent les rires, et se regardèrent, intrigués.

« C’est y qu’ le père perd la raison ?
-          Dans c’ cas, alors, il est point l’ seul. Not’ curé aussi !

Le curé bénit le corps, se recueillit quelques instants et alla annoncer la mauvaise nouvelle.

« Votre père repose en paix[1].
-          Mais pourquoi tous ses éclats de rire ?
-          Mes enfants, répondit le prêtre d’un ton paternel, nous nous remémorions certains agissements de votre père, survenus après le décès de votre mère.

Mais de quoi voulait parler monsieur le curé ?

-=-=-=-=-=-=-

Jacques G n’avait eu, dans sa vie, qu’un seul et unique amour, son épouse, Geneviève G.
Lorsque celle-ci décéda, le 16 pluviose an VII de la République, il se retrouva désemparé. Chaque matin, en allant travailler sur ses terres, comme chaque soir en revenant, il passait au cimetière, non pour se recueillir ou prier, non, mais pour parler à la défunte. Il avait toujours quelque chose à lui raconter.
La solitude lui pesait et il se réfugiait, malheureusement, bien trop souvent dans l’alcool.
Un verre, puis un autre, ça lui faisait oublier son malheur.
Pas méchant le Jacques quand il avait un verre dans le nez, non, plutôt plaisantin, d’ailleurs.


Ce matin-là, le curé devant le cimetière se grattait la tête, incrédule.
La porte du cimetière avait disparu.

Quel malotru  avait bien pu commettre un tel méfait ?
Des recherches furent entreprises. Le vol n’était pas bien grand, certes, mais tout de même, s’attaquer ainsi au « jardin des morts » n’était-ce pas profanation ?
Le voleur fut rapidement démasqué. Il s’agissait, mais vous l’aviez deviné, de Jacques G, bien sûr.

Pour se justifier, il affirma à la maréchaussée, qu’en état d’ébriété, il s’était dit qu’il n’était pas bon d’enfermer de la sorte les défunts. Et puis, si sa femme voulait revenir, elle ne pourrait pas sortir du cimetière.

Le 8 août 1810, Jacques G fut présenté devant les juges du tribunal de Louviers.

Un peu intimidé, il fanfaronnait un peu moins, mais à la question :
« Mais pourquoi voler la porte d’un cimetière ?
-          Bah, m’sieur l’juge, avait-il répondu, ça n’était pas ben malin, j’vous l’accorde, mais j’avais point ma raison, vu qu’ j’étais plein comme une barrique. Alors, ben sût que j’ regrett’ surtout qu’ la Geneviève, j’ savais ben qu’elle pouvait point r’venir !

Jacques G fut incarcéré à la prison de Louviers, juste quelques jours, car un vol était un délit qui se devait être sanctionné.
Il comprit la leçon, aussi n’abusa-t-il plus de la bouteille plus que de raison.

Mais, le repentir exprimé devant le juge était bien feint, uniquement pour éviter une trop lourde peine.

La preuve ?
Juste avant sa mort, il en riait encore.
Monsieur le curé qui n’était pas venu pour une confession, lui donna tout de même, de grand cœur,  l’absolution avec dans le regard une lueur de malice, pensant : « Jacques, j’espère que l’entrée du paradis ne possède pas de porte pour que tu y accède facilement, car  tu étais un brave homme. Tu nous manqueras ![2] »






[1] Jacques G décéda le 14 février 1823.
[2] Jacques G a réellement était condamné pour le vol de la porte du cimetière d’Andé, le 14 août 1810.
J’ai construit cette nouvelle uniquement sur cette condamnation (une dizaine de lignes dans un registre). Une porte de cimetière dérobée et me voilà à la recherche du voleur, ou plutôt du plaisantin auteur de cet acte, et puis l’imagination fit le reste : une épouse décédée prématurément, un mari inconsolable, quelques verres de trop ….. Tous les ingrédients étaient réunis pour écrire une fable humoristique sûrement bien loin de la vérité. Je vous demande bien pardon d’avoir pris autant de légèreté avec la vie de cet homme qui, de son « paradis », je l’espère, ne s’en offusque pas de mon délire épistolaire.

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