Cette
histoire, je la tiens d’une très lointaine parente qui, par charité chrétienne,
avait pris soin d’un de ses voisins, devenu vieux et dont les années de labeurs
ne lui avaient rapporté que douleurs et pauvreté.
Ce
vieillard ne s’était jamais marié et n’avait donc, auprès de lui, que silence
et solitude. Si parfois, il s’épanchait en chagrin de ce manque, ce n’était que
passager, sa bonne humeur reprenant vite le dessus.
N’avait-il pas eu quelques amourettes, ici et là ?
A voir son regard malicieux à cette évocation,
on réalisait que celles-ci lui avaient laissé quelques bons, très bons,
souvenirs !
« Ah
la vie ! soupirait-il alors, que serait-elle sans ces petites
compensations ?
Ma
parente, elle, avait une nombreuse progéniture, et son époux ne lui comptait
plus fleurette depuis bien longtemps. Sa vie, à elle, se bornait en ménage,
cuisine et autres corvées. Chacun son lot !
Malgré
tout, elle avait toujours le sourire. J’avais oublié de vous préciser qu’elle
avait une nature optimiste et généreuse ?
Généreuse,
oui, car depuis de nombreuses semaines sans les repas qu’elle lui préparait sur
l’argent de son ménage, le pauvre homme serait mort de faim.
« Faut
ben aider plus pauvres que soi ! » disait-elle avec philosophie.
Charles
D, car c’était le nom du voisin, avait, toute sa vie, exercé le métier de
garçon blanchisseur. Il pouvait affirmer haut et fort en avoir nettoyés de
belles parures, de beaux uniformes, des jupons vaporeux et des dentelles d’une
extrême finesse. A faire rêver !
Dans
la boutique de son patron qu’il avait reprise au décès de celui-ci, ayant pignon
sur rue dans la ville de Louviers, il en avait vu défiler des gens de la
« haute ».
Concernant
ce passé, certains jours, il était intarissable d’anecdotes.
Ce
fut ainsi, qu’il lui avait raconté l’histoire de ce jeune homme qui un jour
était entré dans la boutique. Un bien beau jeune homme en uniforme. Ah, qu’il
avait fière allure !
L’uniforme
qu’il portait devait être d’une propreté irréprochable et bien dans ses plis.
Aussi, les factures de blanchissage s’étaient accumulées.
Il
lui avait confié que, malheureusement, son logement et sa nourriture dévoraient
la quasi-totalité de sa maigre solde et qu’il ne pourrait le payer que
lorsqu’il prendrait du galon.
Charles
D avait prit en pitié ce jeune client qui représentait, à ses yeux, le fils
qu’il aurait tant désiré avoir. Et ce
client en avait profité. De promesse en promesse, le paiement se voyait
renvoyé à une date ultérieure. Mais, bientôt, oui, très bientôt…… quand il
prendrait du galon….
-
Mais, il était honnête car i’ a signé un
papier devant notaire ! C’était la première fois, que j’ voyais un homme
de loi, alors, j’avais confiance. avait-il ajouté comme une excuse à sa
crédulité.
Il
avait attendu, attendu, mais l’argent tardait à venir.
-
Ten, j’ vas te l’ montrer, moi, l’
papier. C’est qu’en plus, il a signé !
L’homme
s’était levé péniblement pour aller quérir la preuve écrire de ses révélations
et qui dataient du milieu des années 1780, dans une cache dissimulée derrière
sa couche.
Le
papier avait jauni, l’encre avait pâli, par endroit, aux pliures le papier
était coupé par l’usure.
Le
document en main, les yeux fixés sur celui-ci, la femme hochait la tête d’un
air entendu.
« Quelle
somme, en effet ! s’exclama-telle. Mais, en fait, ne sachant lire, elle ne
put en juger réellement. Ce qu’elle n’osa avouer. Elle précisa toutefois, avec
certitude :
« Faut
qu’i’ vous paye, c’t homme-là ! Faut aller voir le maire.
-
Mais, j’ peux point y aller seul !
-
J’ vas vous accompagner, moi !
C’est vot’ dû !
Voilà
comment cette histoire arriva jusqu’au bureau de monsieur le maire de Louviers,
en ce 20 pluviose an 12[1] de
la République.
Une
lettre fut alors envoyée au « citoyen Antoine », lui rappelant son
engagement à régler sa dette envers ce vieil homme qui, âgé de
soixante-dix-huit ans et faute de pouvoir travailler, se trouvait dans
l’indigente la plus complète.
Dix
jours plus tard, ma lointaine parente découvrit Charles D sans vie sur son lit.
Ce
fut elle qui s’occupa de prévenir le curé et qui fit ensevelir la dépouille
dans la fosse commune du cimetière.
Lorsqu’elle
eut fini son récit, je m’étais alors renseigné sur l’identité du débiteur.
« Ben,
tu vas point m’ croire ! J’ crois ben qu’il n’a jamais payé. La mort du
pauvre bonhomme a dû ben faire son affaire, parce qu’i’ lui d’vait tout d’ même
cinquante-cinq livres. Une fortune !
-
Avait-il de quoi payer ?
-
Ben, j’pense ben ! Tu d’vin’ras pas
qu’est-ce qu’i’ f’sait ?
-
Ouvrier, comme beaucoup d’autres,
non ?
-
Penses-tu don’, i’ était lieutenant de
gendarmerie !
-
ça
alors ! A qui s’ fier !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.