« Tout
compte fait, c’est très bien ! pensait Jacques sur le chemin, je serais
bien mieux. Cette famille est impossible ! Partir est le meilleur moyen de
devenir un homme ! »
Chaussé
de mauvaises galoches, Jacques avançait sur un chemin truffé d’ornières, un
balluchon rassemblant ses quelques effets à la main.
L’oncle
Palmyre, manufacturier textile, avait proposé de le prendre en apprentissage
lorsqu’il aurait son certificat d’études, pour l’aider à la fabrique.
L’oncle
Palmyre est le frère de maman.
Maman,
ce fut difficile de la quitter, mais la promiscuité dans la petite maison
devenait impossible avec les frères et
sœurs. D’autre part, Jacques, le troisième né, devait subir non seulement
l’autorité du père, mais aussi celle de ses deux aînés guère plus âgés que lui,
et pour Jacques, au caractère fort, cela devenait la source de bien des conflits.
Ses
pieds heurtaient les cailloux du chemin, le faisant trébucher. Ses chevilles se
tordaient dans les ornières, le déséquilibrant.
Vingt
kilomètres à parcourir entre le logis parental et la demeure de l’oncle
Palmyre.
Vingt
kilomètres à parcourir à pied, sauf si de hasard, une charrette venait à
passer.
Une
petite pluie fine pénétrait les vêtements du jeune garçon qui frissonnait.
« Un
bon feu ne serait pas de refus, pensa-t-il. »
Mais,
il fallait poursuivre le chemin malgré la pluie et la fatigue naissante.
-=-=-=-=-=-
La
cinquantaine, l’oncle Palmyre était veuf depuis quelques années. Les trois
enfants qu’il avait eus de son mariage avaient succombé, comme beaucoup, lors
de la dernière épidémie. Il était donc seul à présent dans une maison, comme il
disait : « Trop grande pour moi ! ». Malgré cette solitude,
il n’avait jamais envisagé de remplacer sa « bonne Clarisse ».
Pour
les soins de la maison, une femme du voisinage se chargeait du ménage quelques
heures par semaine et du blanchissement du linge.
Jacques
fut installé sous le toit, dans une petite pièce étroite mais propre, meublée
d’un lit, d’une commode et d’une chaise. Pour la toilette, il devait descendre
à la cuisine ou se servir de l’eau directement à la pompe, dans la cour.
« Froide
mais revigorante !, comme lançait d’un ton gaillard l’oncle Palmyre.
Cela fait des hommes
vigoureux ! »
Jacques,
élevé à la dure, n’en était pas gêné.
Les
soirées, après le travail, étaient courtes. Harassés, l’un et l’autre, la
conversation n’était guère animée et, par économie, les soirs d’hiver, la
chandelle était éteinte.
L’oncle
Palmyre restait souvent devant l’âtre à fumer sa pipe, avant de se mettre au
lit.
A
quoi songeait-il alors, muré dans son silence, le regard dans le
lointain ?
A
la journée de labeur qui venait de prendre fin ?
Au
travail à effectuer pour honorer les prochaines commandes ?
Aux
problèmes avec les ouvriers, réclamant une part des bénéfices ?
A
sa chère Clarisse ?
A
ses petits avec lesquels s’étaient enfuis éclats de rire et bonne humeur ?
Personne
ne le savait, c’était son jardin secret qu’il gardait au plus profond de son
être.
-=-=-=-=-=-
A
côté de la petite chambre occupée par Jacques se trouvait une autre pièce
fermée par une porte dont la clef se trouvait suspendue à un clou sur le mur à
gauche en haut de l’huisserie.
« C’est
le grenier, avait répondu l’oncle à la question de son neveu, rien que des
vieilleries. Cela fait des années que je n’y ai mis les pieds. »
Chaque
soir avant de s’endormir, Jacques regardait la porte, imaginant ce que pouvait
bien être ces « vieilleries » dont parlait l’oncle Palmyre.
-=-=-=-=-=-
Un
dimanche matin, cela faisait déjà trois mois que Jacques avait quitté le foyer
parental, l’oncle Palmyre décida d’aller rendre visite à un ami.
« Je
te confie la maison, fils », lança-t-il en décrochant son chapeau du clou
où il était suspendu. Je rentrerai tard dans la nuit. Ne m’attends pas.
Tu as de quoi manger dans le placard. »
Sur
ce, il ferma la porte et prit la route d’un bon pas.
Seul
à présent, le jeune garçon s’assit à la table et feuilleta le journal local,
les gros titres seulement. Il n’était pas comme son oncle curieux de tout ce
qui touchait la vie locale et nationale. Sa vie à lui se résumait à se rendre à
l’atelier le matin, dès sept heures, et à rentrer à la nuit tombée. Des
journées de douze à quinze heures d’un travail répétitif dans le bruit
assourdissant et l’humidité pénétrante.
Le
dimanche était chômé. Il servait à prendre le temps, après la messe, de faire
quelques travaux dans le logis ou de se rendre au jardin dont les quelques cultures potagères permettaient d’améliorer
l’ordinaire alimentaire.
A
la maison, c’était sa mère qui entretenait le potager, aidée de ses sœurs. Mais
les grands fils retournaient volontiers la terre, avant les nouvelles
plantations.
En
milieu d’après-midi, Jacques monta dans sa petite chambre, s’allongea sur le
lit et machinalement son regard se porta sur la clef de la porte du grenier.
Une
envie irrésistible le prit de savoir ce qu’il contenait. Mais en avait-il le
droit ?
Cette
clef suspendue là, semblait pourtant une invitation à pénétrer le lieu.
Jacques
pensa :
« Si
l’accès au grenier était condamné, la clef ne serait pas à portée de main. Elle
aurait été cachée. »
Cette
réflexion le conforta dans sa décision. Il se leva, saisit la clef, la regarda
en la tournant en tout sens, puis la glissa dans la serrure.
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