dimanche 16 août 2015

L'APPRENTISSAGE (première partie)




« Tout compte fait, c’est très bien ! pensait Jacques sur le chemin, je serais bien mieux. Cette famille est impossible ! Partir est le meilleur moyen de devenir un homme ! »

Chaussé de mauvaises galoches, Jacques avançait sur un chemin truffé d’ornières, un balluchon rassemblant ses quelques effets à la main.


L’oncle Palmyre, manufacturier textile, avait proposé de le prendre en apprentissage lorsqu’il aurait son certificat d’études, pour l’aider à la fabrique.
L’oncle Palmyre est  le frère de maman.
Maman, ce fut difficile de la quitter, mais la promiscuité dans la petite maison devenait impossible  avec les frères et sœurs. D’autre part, Jacques, le troisième né, devait subir non seulement l’autorité du père, mais aussi celle de ses deux aînés guère plus âgés que lui, et pour Jacques, au caractère fort, cela devenait la  source de bien des conflits.

Ses pieds heurtaient les cailloux du chemin, le faisant trébucher. Ses chevilles se tordaient dans les ornières, le déséquilibrant.
Vingt kilomètres à parcourir entre le logis parental et la demeure de l’oncle Palmyre.
Vingt kilomètres à parcourir à pied, sauf si de hasard, une charrette venait à passer.

Une petite pluie fine pénétrait les vêtements du jeune garçon qui frissonnait.

« Un bon feu ne serait pas de refus, pensa-t-il. »

Mais, il fallait poursuivre le chemin malgré la pluie et la fatigue naissante.
 
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 La cinquantaine, l’oncle Palmyre était veuf depuis quelques années. Les trois enfants qu’il avait eus de son mariage avaient succombé, comme beaucoup, lors de la dernière épidémie. Il était donc seul à présent dans une maison, comme il disait : « Trop grande pour moi ! ». Malgré cette solitude, il n’avait jamais envisagé de remplacer sa « bonne Clarisse ».
Pour les soins de la maison, une femme du voisinage se chargeait du ménage quelques heures par semaine et du blanchissement du linge.

Jacques fut installé sous le toit, dans une petite pièce étroite mais propre, meublée d’un lit, d’une commode et d’une chaise. Pour la toilette, il devait descendre à la cuisine ou se servir de l’eau directement à la pompe, dans la cour.
« Froide mais revigorante !, comme lançait d’un ton gaillard l’oncle Palmyre. Cela  fait des hommes vigoureux ! »

Jacques, élevé à la dure, n’en était pas gêné.

Les soirées, après le travail, étaient courtes. Harassés, l’un et l’autre, la conversation n’était guère animée et, par économie, les soirs d’hiver, la chandelle était éteinte.
L’oncle Palmyre restait souvent devant l’âtre à fumer sa pipe, avant de se mettre au lit.
A quoi songeait-il alors, muré dans son silence, le regard dans le lointain ?
A la journée de labeur qui venait de prendre fin ?
Au travail à effectuer pour honorer les prochaines commandes ?
Aux problèmes avec les ouvriers, réclamant une part des bénéfices ?
A sa chère Clarisse ?
A ses petits avec lesquels s’étaient enfuis éclats de rire et bonne humeur ?

Personne ne le savait, c’était son jardin secret qu’il gardait au plus profond de son être.

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 A côté de la petite chambre occupée par Jacques se trouvait une autre pièce fermée par une porte dont la clef se trouvait suspendue à un clou sur le mur à gauche en haut de l’huisserie.

« C’est le grenier, avait répondu l’oncle à la question de son neveu, rien que des vieilleries. Cela fait des années que je n’y ai mis les pieds. »

Chaque soir avant de s’endormir, Jacques regardait la porte, imaginant ce que pouvait bien être ces « vieilleries » dont parlait l’oncle Palmyre.

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Un dimanche matin, cela faisait déjà trois mois que Jacques avait quitté le foyer parental, l’oncle Palmyre décida d’aller rendre visite à un ami.

« Je te confie la maison, fils », lança-t-il en décrochant son chapeau du clou où il était suspendu.  Je rentrerai tard dans la nuit. Ne m’attends pas. Tu as de quoi manger dans le placard. »
Sur ce, il ferma la porte et prit la route d’un bon pas.

Seul à présent, le jeune garçon s’assit à la table et feuilleta le journal local, les gros titres seulement. Il n’était pas comme son oncle curieux de tout ce qui touchait la vie locale et nationale. Sa vie à lui se résumait à se rendre à l’atelier le matin, dès sept heures, et à rentrer à la nuit tombée. Des journées de douze à quinze heures d’un travail répétitif dans le bruit assourdissant et l’humidité pénétrante.

Le dimanche était chômé. Il servait à prendre le temps, après la messe, de faire quelques travaux dans le logis ou de se rendre au jardin dont les quelques  cultures potagères permettaient d’améliorer l’ordinaire alimentaire.
A la maison, c’était sa mère qui entretenait le potager, aidée de ses sœurs. Mais les grands fils retournaient volontiers la terre, avant les nouvelles plantations.


En milieu d’après-midi, Jacques monta dans sa petite chambre, s’allongea sur le lit et machinalement son regard se porta sur la clef de la porte du grenier.
Une envie irrésistible le prit de savoir ce qu’il contenait. Mais en avait-il le droit ?
Cette clef suspendue là, semblait pourtant une invitation à pénétrer le lieu.


Jacques pensa :
« Si l’accès au grenier était condamné, la clef ne serait pas à portée de main. Elle aurait été cachée. »
Cette réflexion le conforta dans sa décision. Il se leva, saisit la clef, la regarda en la tournant en tout sens, puis la glissa dans la serrure.

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