mardi 18 août 2015

QUE DIT LA GAZETTE EN CE PREMIER TRIMESTRE 1772 ?



Au loup !

27 Décembre 1771

« Le 14 de ce mois, vers les 5 heures du soir, un loup furieux est entré au Village de Nidorge, Paroisse de Charleville, près Boulay ; ce loup s’est jeté sur un petit garçon, et l’a fortement mordu au col ; la mère de cet enfant étant survenue, le loup s’est jetté (ainsi dans le texte) sur elle, l’a renversée par terre, lui a presque entièrement déchiré le visage ; et lui a brisé la mâchoire inférieure, de manière qu’elle étoit pendante sur son sein ; le mouchoir de cette malheureuse étant tombé, le lui a déchiré et s’est enfui avec, ce qui fait soupçonner qu’il étoit enragé. Ce fait nous a été écrit par le curé du lieu ; on nous a assuré que deux jours avant cet évènement, un autre loup, ou peut être le même, avoit attaqué un homme dans le village de la Basse-jute-Cour, près de Thionville, qu’il avoit brisé et mis en pièces la tête de ce malheureux, et qu’un cavalier ayant couru à son secours, cette bête lui avoit arraché le poignet. »

Quel carnage digne d’un scénario de film d’horreur ! Mais, ce n’est pas fini car ……

3 janvier 1772

« Le loup enragé dont nous avons parlé dans notre précédente Feuille, a été tué à Aboncourt, à quatre lieues de Metz. Ayant attaqué le nommé Pierre Tritz, Tisserand de ce Village, cet homme lui tendit les deux bras pour parer sa tête à qui l’animal en vouloit, pendant ce combat qui dura quelques minutes, Pierre Tritz eut l’adresse de saisir le loup par les oreilles et de le terrasser ; il posa son genou sur le cou de l’animal et tenant d’une main sa tête apuyée (ainsi dans le texte) sur terre, il tira son couteau de l’autre, et en donna un coup dans le ventre de cette bête furieuse. Le loup blessé fit des efforts si violens (ainsi dans le texte)  qu’il s’échapa (ainsi dans le texte) des mains de ce brave homme, et s’enfuit quelques pas ; mais il lui reprit un accès de rage, il retourna sur l’homme, et le combat recommença ; Pierre Tritz eut le courage et le bonheur de terrasser une seconde fois l’animal qu’il fit enfin périr à force de coups de couteau ; le vainqueur eut les bras et les mains percés et déchirés de morsures, et il est parti pour Saint Hubert.
On ne peut trop admirer le courage et la fermeté de cet homme, qui a probablement sauvé bien des personnes par cette belle action. Il est clair que jusqu’à ce jour les moyens employés pour détruire ces animaux voraces, ont été insuffisans (ainsi dans le texte), il est vrai que ça étoit l’ouvrage de quelques particuliers, pleins de zèle pour l’humanité : un moyen aisé de parvenir à ce but mériteroit bien être cherché par ces sociétés mêmes qui éclairent les Villes de leurs  lumières, et un prix pour chose semblable, seroit à coup sur mieux placé que pour une foule d’autres objets. L’Homme sensible souffre de voir l’Habitant de Campagne exposé à ces malheurs, lui dont la vie et les travaux sont si précieux. »

C’est bien connu, la faim fait sortir le loup du bois et surtout en hiver lorsque le petit gibier fait défaut à ces carnassiers. Alors, le loup s’approche des villages, rode autour des fermes, s’attaque au petit bétail.
Mais il est vrai qu’il ne s’en prend que rarement aux hommes, sauf dans l’éventualité qu’il soit enragé.

De tous temps, le loup a fait peur et son hurlement lugubre dans la nuit, portant à des kilomètres à la ronde, de mémoire d’homme, depuis la nuit des temps, n’annonçait que misère et même, disaient les anciens, une guerre prochaine.


Au XVIIIème siècle, les chasses aux loups furent rendues obligatoires tous les trois ou quatre mois, selon les régions. Des groupes d’hommes composés de rabatteurs et de chasseurs, ces derniers utilisant leur propre arme qui de plus en plus performante pouvait atteindre une bête à une distance de cent mètres, étaient formés dans les villes.
La Révolution Française supprima les louveteries, mais une loi du 10 messidor an V, fixa le montant des primes remises à ceux qui apporteraient un animal abattu, à condition que la dépouille de celui-ci soit entière.
Le montant de ces primes s’élevait à :
  • Pour un loup                          40 F
  • Pour un louveteau                  20 F
  • Pour une louve pleine            50 F

Et la prime suprême : 150 F pour un loup enragé ayant mordu des hommes ou des enfants. Critère sûrement difficile à établir, sauf en cas de témoins visuels de l’abattage du carnivore après morsure.
Au début du XIXème siècle, on estimait le nombre de loups, sur le territoire français, à environ cinq à sept mille. En 1860, cette population était encore abondante.
A la fin du XIXème siècle, la présence des loups n’est plus signalée que dans la moitié des départements français.

Les évènements se sont déroulés en Moselle, à l’est de Metz.
Il s’agit de Nidange et non Nidorge. Quant au village d’Aboncourt, il  se trouve bien à 4 lieues de Metz, entre Villers & Hombourg.
Le blessé a bien été transporté dans la Commune de Saint-Hubert.
Quel hommage pour ce valeureux homme, Saint-Hubert étant le patron des chasseurs !

Je n’ai pas, par contre trouvé Le Village de la Basse-jute-Cour. Etait-ce un lieu-dit ?


De bien longues vies

7 février 1772

« Il y a, dans la province de Bretagne, deux hommes qui vivent depuis plus d’un siècle. Le nommé Ropers, mercier au bourg de Prat, paroisse de l’Evêché de Tréguier, est âgé de 106 ans. Il va à pieds au marché voisin, à la distance de 2 ou 3 lieues, avec une charge de 12 à 15 livres. Dans le bourg de Saint Mathieu, paroisse de Ploumoguer, près Brest, il y a un vieillard qui passe dans le pays pour avoir plus de 130 ans, et dont il est difficile de vérifier l’âge, parce qu’on ne trouve pas son extrait baptistaire ; mais on juge par différens (ainsi dans le texte) actes authentiques, qu’il a au moins 110 ans ».

106 ans  et bon pied, bon œil ! Un réel exploit.

Prat se situe au Sud de Tréguier dans les Côtes d’Armor.
On trouve Saint-Mathieu au sud de Ploumoguer dans le Finistère, là-bas tout là-bas sur une pointe balayée par le vent.


21 février 1772

« Le nommé Jean Boudet, Fermier de la terre de Mailhot, en Albigeois, est âgé de cent sept ans. Cet homme se nourrit depuis dix ans, d’oignons cruds (ainsi dans le texte) et de millet. Sa boisson est de l’eau pure. Son frère puiné est mort, il y a dix-huit mois, âgé de cent trois ans. »

Une bonne hygiène de vie n’est-elle pas essentiel pour bien grandir, bien vivre et bien vieillir !

Il s’agit de la ville de Mailhoc, au nord-ouest d’Albi.


13 mars 1772

« Il n’y a peut-être point d’exemple d’une postérité aussi nombreuse que celle du nommé Daniel Chappon, mort vers la fin du mois de septembre dernier, à Montbrun, en Dauphiné, à l’âge d’environ 88 ans. Il avoit 114 tant enfans que petits-enfans et arrières-petits-enfans (enfans écrit ainsi dans le texte), tous vivants. 69 de ses fils ou arrières-petits-fils, outre ses gendres, assistèrent à son enterrement, ainsi que 150 parens (ainsi dans le texte) en ligne collatérale. »

Tous vivants !  Quel exploit quand on connait les  conditions de vie avant la Révolution Française de 1789. Quand on sait que beaucoup mouraient lors d’un accident ou suite à des épidémies. Une simple rougeole, une scarlatine et voilà une famille, un village décimés…. Et  je ne vous parle pas de la peste ou du choléra !

Si nous regardons le tableau ci-dessous, nous constatons que l’espérance de vie ne dépasse pas 30 ans au XVIIIème siècle. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de vieillards, loin de là, car le calcul prend en compte la mortalité infantile qui était très importante, beaucoup d’enfants mourant au cours des premiers mois de leur vie et un grand nombre avant d’avoir atteint l’âge de 10 ans.
Concernant le décès des femmes, la mortalité en couches en était la principale cause.


Espérance de vie
homme
femme

Espérance de vie
homme
femme
au Moyen âge
14 ans


1750 - 1759
27.1
28.7
au XVème siècle
19 ans


1760 - 1769
26.4
29.6
au XVIIème siècle
26 ans


1770 - 1779
28.2
29.6
1740 - 1749
23.8
25.7

1780 - 1789
27.5
28.1


Le nom exact du lieu est Montbrun-les-Bains, dans le Dauphiné.


Catastrophes

24 février 1772


« On mande d’Honfleur, que la nuit du 26 du mois dernier, à cinq heures du matin, on entendit du côté de la montagne, appelée la Côte de Grâce, un bruit semblable à celui du tonnerre, qui dura environ une minute. On ne s’aperçut d’aucune commotion. Lorsque le jour parut, on fut étonné de voir qu’une partie de cette montagne s’étoit détachée sur sa longueur de quatre cens (ainsi dans le texte) toises, et que le terrein (ainsi dans le texte) s’étoit affaissé. Aux deux extrémités où la montagne s’est détachée, on remarque un léger affaissement, d’environ un pouce, qui va par gradation jusqu’au centre, dont la profondeur est de plus de 60 pieds. Le grand chemin d’Honfleur à Caen, et les masures situées entre cette montagne et le rivage de la mer, portent des marques d’ébranlement. Dans plusieurs endroits, le terrein (ainsi dans le texte) s’est affaissé de douze à quinze pieds ; dans d’autres, il s’est élevé de quelques pieds, et dans quelques uns il est sorti des roches qui se sont brisées en plusieurs morceaux ; les arbres ont été renversés ; une maison située sur une des masures a été culbutée ; enfin, tout ce terrein (ainsi dans le texte) ne présente aujourd’hui qu’un amas de ruines. Le bord du rivage le long de la falaise, n’a souffert aucune altération ; mais à la distance de vingt, trente et quarante toises du bord de la falaise, il s’est élevé des monticules de sables, et dans des endroits où il y avait des roches et des cailloux, le rivage s’est élevé de son niveau depuis dix jusqu’à plus de vingt pieds sur trois cens (ainsi dans le texte) toises de longueur et dix à douze de largeur. On a observé qu’un pareil évènement avoit eu lieu en 1615, après un tremblement de terre. Heureusement il n’a péri personne dans  ce bouleversement, et la Ville d’Honfleur n’a souffert aucun dommage. »


La chapelle Notre-Dame-de-Grâce fut construite au XVIIème siècle par les marins et bourgeois honfleurois, sur les restes d'un sanctuaire fondé au XIème siècle par Richard II. Elle marque  le point de départ de la côte de Grâce qui va de Honfleur à Trouville. Elle se trouve à 2,5 kms du centre ville de Honfleur, au début du plateau cauchois, à 90 mètres au dessus du niveau de la mer. L'intérieur se compose d'une petite nef, richement colorée.

Je n’ai malheureusement rien trouvé sur le tremblement de terre de 1615. Peut-être que par la suite, un heureux hasard me permettra d’en apprendre plus et ainsi pouvoir vous transmettre l’information.

Une partie de la montagne s’était détachée sur 400 toises.
Une toise = 6 pieds ce qui donne : (30 cm X 6) x 400  =  72000 cm…. 720 mètres.



14 février 1772

« On mande de Morlaix, en Bretagne, qu’il n’y a presque pas de jours qu’on y entende des coups de tonnerre plus ou moins forts. Le 24 du mois dernier, entre quatre et cinq heures du soir, il parut sur la Ville un nuage si épais, qu’il déroba presqu’entièrement la lumière. Il fut accompagné d’un coup de vent furieux que la frayeur fit prendre pour une secousse de tremblement de terre. Sept ou huit minutes après, il partit du nuage un coup de tonnerre dont l’éclat fit trembler les maisons, et la foudre alla frapper la tour qui couronne le clocher de l’église de Saint Martin. Elle fut renversée et la flèche, qui étoit en pierre de taille, détruisit, par sa chute, toute la nef. L’Eglise parut, pendant quelques instans (ainsi dans le texte), toute en feu. Il n’y a eu cependant qu’une seule personne écrasée ; deux autres qui étoient restées sous les décombres, en ont été heureusement retirées et n’ont eu que des meurtrissures. »


Il s’agit bien là de la ville de Saint-Martin près de Morlaix.
L’église de Saint-Martin a été construite en 1485, elle fut en effet deux fois touchée par la foudre, la première  fois en 1751, puis comme le relate l’article ci-dessus, en 1771.
Saint Martin n’est actuellement plus une commune, mais un quartier de Morlaix.





28 février 1772

« On entend parler, depuis quelques tems (ainsi dans le texte) que de désastres de toute espèce ; et l’on vient d’aprendre (ainsi dans le texte) de Doulens en Picardie, que le 16 de ce mois, il y a eu une inondation causée par la pluie et la fonte des neiges qui ont fait grossir les rivières d’Hautie et de Grouche. Elles sont sorties de leur lit, et les eaux ont emporté des grains, des bestiaux et même des bâtimens (ainsi dans le texte) ; elles sont montées dans la ville, auprès de laquelle les deux rivières se joignent, jusqu’à huit pieds six pouces au-dessus de leur lit ordinaire, et se sont repandues dans tous les quartiers. Beaucoup de murs de jardins en ont été renversés, et l’on a été obligé d’étayer la plupart des maisons, mais heureusement personne n’a péri. »


Petit rappel 
Pied :
Unité de longueur correspondant à la longueur d'un pied humain, soit environ trente  
centimètres. Il est  divisé en 12 pouces
Pouce :
Difficile à établir, car sa valeur dimensionnelle varia au cours des époques et selon les
régions ou pays, mais ce qui est sûr, c’est qu’il représente le douzième du pied.
Toise :
Unité de longueur correspondant à six pieds.

Donc, si on considère que le niveau de la rivière avait monté de 8 pieds – six pouces, par rapport à son cours normal, cela donne après conversion : 255 centimètres ou 2.55 mètres !!!

L’ Authie, fleuve côtier, long de 103 kilomètres, qui se jette dans la  Manche.
La Grouche, rivière affluent de la rive droite de L’Authie. 



Médecine

6 mars 1772

« On sçait (ainsi dans le texte) que les pierres s’engendrent dans différentes parties du corps ; voici une nouvelle preuve de cette vérité. Guillaume Shaw, Serrurier à Hockley, près Dunstable, en Angleterre, portoit depuis quelque-tems, (ainsi dans le texte) une loupe à la joue gauche. Fatigué par le poids et la grandeur de cette loupe, il se détermina à l’extirpation, qui fut faite par un Chirurgien de Wallbrook. L’un et l’autre furent très étonnés après l’opération de voir que cette loupe ne contenoit que du gravier et des cailloux, comme si c’était un gésier d’oiseau. »

Curieux ! Mais Guillaume Shaw n’avait-il pas reçu un caillou sur cette joue ou n’était-il pas tombé sur du gravier quelques temps auparavant, ce qui expliquerait cette découverte ?
Ceci dit, nous ne le saurons jamais, mais j’avoue que la conclusion de l’article comparant cette loupe à un « gésier d’oiseau », sans être poétique, est fort bien trouvée.

Dunstable est une ville située à 50 kms de Londres. Petite précision, au XIXème siècle on y produisait des chapeaux de paille. Les chapeaux de paille, je pensais qu’ils provenaient d’Italie….. et, qu’en Angleterre, ce ne pouvait être que les parapluies !


Passons à ce nouvel article qui me parait fort curieux.

« Il est mort à Colombin en Bretagne, dans le mois de novembre dernier, une fille âgée de 50 ans, qui étoit sujette à une maladie bien extraordinaire ; elle dormoit huit ou quinze jours de suite sans prendre aucune nourriture, et lorsqu’elle étoit éveillée, elle restoit huit ou quinze jours sans pouvoir parler.»


Cette femme n’était-elle pas atteinte de narcolepsie, maladie neurologique rare, qui fait que les malades s’endorment, comme cela brutalement, à n’importe quel moment, sans avoir la capacité de résister au sommeil. Cette maladie n’était, bien évidemment, pas diagnostiquée en 1772. Elle faisait encore partie des « phénomènes étranges ».

De nos jours, cette maladie toucherait une personne sur 2000, soit autant que la sclérose en plaque.
Elle apparait, généralement, à l’adolescence.



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