Childéric
gravit les marches à la suite de son visiteur, tout en pensant que celui-ci
était bien sans-gêne. Lorsqu’il pénétra
dans le hall, Archibald se trouvait déjà au milieu de l’immense escalier de
pierre menant au premier étage.
« Alors,
que fais-tu ? lança Archibald de sa grosse voix. Tu en mets un
temps ! … »
Au
premier, Archibald allait de pièce en pièce, ignorant les portes et
franchissant les murs, malgré sa corpulence, avec une facilité surprenante. Il
avait l’air d’en faire un jeu, à en croire les cris de joie qu’il poussait.
Childéric l’observait, éberlué, et ne put retenir une série d’éternuements en
raison de l’épaisse poussière que le manège incessant d’Archibald occasionnait.
Bien
au-delà de ce nuage poussiéreux, Childéric revoyait les va-et-vient des femmes
de chambre et des valets vaquant au service de leurs maîtres. Ils apportaient
les seaux d’eau chaude pour le bain, les robes et les costumes fraichement repassés, les plateaux de
petits-déjeuners ou soupers à l’odeur alléchante, les bassinoires emplies de
braises rougeoyantes pour chauffer les draps et permettre ainsi un coucher
douillet et confortable, des bouquets de fleurs nouvellement cueillis dans le
jardin ou offert par un amoureux timide.
Les
enfants n’étaient pas exclus dans cette maison, leur domaine se situait tout au
fond du couloir, dans l’aile-est, pour leur permettre de s’ébattre sans
réserve, sans ennuyer les adultes. Leur endroit réservé se composait d’une
nursery claire et lumineuse qui avait vu les premiers sourires, entendu les
premiers mots et surveillé les premiers pas d’un grand nombre de nourrissons,
sous le regard attentif et affectueux de parents attendris, mais surtout de
nurses expérimentées. Ces dernières étaient logées dans de petites chambres
austères, juste à côté, afin d’accourir aux moindres pleurs, à la moindre
demande. De la nursery filtraient berceuses et comptines enfantines chantées à
voix basse et douce, babils et gazouillis attendrissants, mais aussi, parfois,
cris et colères lorsque la tétée tardait à venir.
A
cet étage, également, la chambre des enfants, lorsque ceux-ci avaient grandi,
meublée d’armoires bondées de vêtements aux couleurs vives, garnis de
dentelles. Puis, enfin, la grande salle de jeu, utilisée lorsque le temps ne
permettait pas d’aller s’ébattre dehors. Au centre de celle-ci, se dressait
encore, majestueux, un immense cheval à bascule qui avait été chevauché, bien
des fois, pour des conquêtes et batailles glorieuses. Prés de la fenêtre, aux
tentures défraîchies et déchirées, un petit bureau solitaire et une chaise
bancale laissaient à penser que le dessin ne devait pas être exclu des nombreux
loisirs pratiqués.
Il
y avait aussi des coffres, ici et là, renfermant poupées de porcelaine, soldats
de plomb, charrettes en bois, mais aussi déguisements de toutes sortes pour les
travestissements des nombreuses fêtes ou représentations théâtrales. Les
enfants aimaient se glisser dans la peau de divers personnages dont ils s’étaient
fait des héros.
Childéric
aimait assister aux multiples pièces interprétées
par les « petits », au cours des divers goûters d’anniversaire.
Mais
les coffres et leurs contenus avaient disparu depuis bien longtemps.
Dans
l’aile-ouest, les appartements des maîtres des lieux, chambres à coucher,
cabinets de toilette, mais aussi cabinet de travail fermé sur les entretiens du
maître et les affaires plus ou moins secrètes qui y étaient débattues et le
boudoir de la maîtresse, intime et confortable, pour les causeries entre amis
ou les réception officielles entre femmes de la bonne société. Il fallait aux
maîtres se montrer à la hauteur de leur situation sociale.
Ces
pièces n’avaient plus rien d’extraordinaire à présent, délabrées, poussiéreuses
et débarrassées de leurs meubles et apparats, mais Childéric essayait de leur
redonner tout leur splendeur d’antan, grâce à une abondance de descriptions
avec moult qualificatifs prestigieux.
Etonnant,
d’ailleurs, il semblait se souvenir de tout, et surtout, il ne fallait pas que
son visiteur pensât qu’il avait toute sa vie, lui Childéric, hantée une demeure
sans éclat, habitée par des maîtres sans noblesse.
Archibald
suivait avec attention les narrations de Childéric, mais il était sûrement très
loin d’imaginer le décor somptueux du château, aux temps glorieux de son
histoire.
Le
regard malicieux, il lança :
« Ben
dis donc, tu as dû en voir des soubrettes et des femmes en jupon. Je suis sûr
que cela t’amusait ! T’as pas eu une petite qui te plaisait plus qu’une
autre ? »
Devant
l’air outré de son hôte, Archibald éclata d’un rire tonitruant.
« Non,
je respectais les différents maîtres qui ont vécu sous ce toit. Quant aux
soubrettes, je n’aurais jamais osé !
-
Et tu crois que je vais te croire !
hurla de rire le colosse.
Childéric
était un chevalier, il avait prêté serment de respecter et protéger ses semblables. Mais, il était
vrai, mais cela il ne le dit pas, qu’il n’avait pas été, au cours de tous les
siècles passés, insensible au charme de quelques jeunes nourrisses, femmes de
chambre ou cuisinières. Oui, bien évidemment ! Alors, il passait un peu plus
de temps auprès de leur lit, la nuit, et les admirait pendant leur sommeil.
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