lundi 30 novembre 2015

CHIDERIC, LE FANTOME - Chapitre 3



Childéric gravit les marches à la suite de son visiteur, tout en pensant que celui-ci était bien sans-gêne.  Lorsqu’il pénétra dans le hall, Archibald se trouvait déjà au milieu de l’immense escalier de pierre menant au premier étage.

« Alors, que fais-tu ? lança Archibald de sa grosse voix. Tu en mets un temps ! … »

Au premier, Archibald allait de pièce en pièce, ignorant les portes et franchissant les murs, malgré sa corpulence, avec une facilité surprenante. Il avait l’air d’en faire un jeu, à en croire les cris de joie qu’il poussait. Childéric l’observait, éberlué, et ne put retenir une série d’éternuements en raison de l’épaisse poussière que le manège incessant d’Archibald occasionnait.
Bien au-delà de ce nuage poussiéreux, Childéric revoyait les va-et-vient des femmes de chambre et des valets vaquant au service de leurs maîtres. Ils apportaient les seaux d’eau chaude pour le bain, les robes et les costumes  fraichement repassés, les plateaux de petits-déjeuners ou soupers à l’odeur alléchante, les bassinoires emplies de braises rougeoyantes pour chauffer les draps et permettre ainsi un coucher douillet et confortable, des bouquets de fleurs nouvellement cueillis dans le jardin ou offert par un amoureux timide.

Les enfants n’étaient pas exclus dans cette maison, leur domaine se situait tout au fond du couloir, dans l’aile-est, pour leur permettre de s’ébattre sans réserve, sans ennuyer les adultes. Leur endroit réservé se composait d’une nursery claire et lumineuse qui avait vu les premiers sourires, entendu les premiers mots et surveillé les premiers pas d’un grand nombre de nourrissons, sous le regard attentif et affectueux de parents attendris, mais surtout de nurses expérimentées. Ces dernières étaient logées dans de petites chambres austères, juste à côté, afin d’accourir aux moindres pleurs, à la moindre demande. De la nursery filtraient berceuses et comptines enfantines chantées à voix basse et douce, babils et gazouillis attendrissants, mais aussi, parfois, cris et colères lorsque la tétée tardait à venir.
A cet étage, également, la chambre des enfants, lorsque ceux-ci avaient grandi, meublée d’armoires bondées de vêtements aux couleurs vives, garnis de dentelles. Puis, enfin, la grande salle de jeu, utilisée lorsque le temps ne permettait pas d’aller s’ébattre dehors. Au centre de celle-ci, se dressait encore, majestueux, un immense cheval à bascule qui avait été chevauché, bien des fois, pour des conquêtes et batailles glorieuses. Prés de la fenêtre, aux tentures défraîchies et déchirées, un petit bureau solitaire et une chaise bancale laissaient à penser que le dessin ne devait pas être exclu des nombreux loisirs pratiqués.
Il y avait aussi des coffres, ici et là, renfermant poupées de porcelaine, soldats de plomb, charrettes en bois, mais aussi déguisements de toutes sortes pour les travestissements des nombreuses fêtes ou représentations théâtrales. Les enfants aimaient se glisser dans la peau de divers personnages dont ils s’étaient fait des héros.
Childéric aimait assister aux multiples  pièces interprétées par les « petits », au cours des divers goûters d’anniversaire.
Mais les coffres et leurs contenus avaient disparu depuis bien longtemps.

Dans l’aile-ouest, les appartements des maîtres des lieux, chambres à coucher, cabinets de toilette, mais aussi cabinet de travail fermé sur les entretiens du maître et les affaires plus ou moins secrètes qui y étaient débattues et le boudoir de la maîtresse, intime et confortable, pour les causeries entre amis ou les réception officielles entre femmes de la bonne société. Il fallait aux maîtres se montrer à la hauteur de leur situation sociale.

Ces pièces n’avaient plus rien d’extraordinaire à présent, délabrées, poussiéreuses et débarrassées de leurs meubles et apparats, mais Childéric essayait de leur redonner tout leur splendeur d’antan, grâce à une abondance de descriptions avec moult qualificatifs prestigieux.
Etonnant, d’ailleurs, il semblait se souvenir de tout, et surtout, il ne fallait pas que son visiteur pensât qu’il avait toute sa vie, lui Childéric, hantée une demeure sans éclat, habitée par des maîtres sans noblesse.

Archibald suivait avec attention les narrations de Childéric, mais il était sûrement très loin d’imaginer le décor somptueux du château, aux temps glorieux de son histoire.
Le regard malicieux, il lança :
« Ben dis donc, tu as dû en voir des soubrettes et des femmes en jupon. Je suis sûr que cela t’amusait ! T’as pas eu une petite qui te plaisait plus qu’une autre ? »

Devant l’air outré de son hôte, Archibald éclata d’un rire tonitruant.

« Non, je respectais les différents maîtres qui ont vécu sous ce toit. Quant aux soubrettes, je n’aurais jamais osé !
-        Et tu crois que je vais te croire ! hurla de rire le colosse.

Childéric était un chevalier, il avait prêté serment de respecter  et protéger ses semblables. Mais, il était vrai, mais cela il ne le dit pas, qu’il n’avait pas été, au cours de tous les siècles passés, insensible au charme de quelques jeunes nourrisses, femmes de chambre ou cuisinières. Oui, bien évidemment ! Alors, il passait un peu plus de temps auprès de leur lit, la nuit, et les admirait pendant leur sommeil.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.