dimanche 20 décembre 2015

CHILDERIC, LE FANTOME - Chapitre 6



 La plus belle pièce de ce château était, assurément, la grande salle de réception. Largement éclairée par de grandes baies, elle donnait sur le parc, se prolongeant ainsi les soirs d’été d’un espace verdoyant dans lequel mille odeurs délicieuses flottaient et d’où l’on pouvait entendre la musique et les bruits de la fête, légèrement ouatés, les rendant quasi irréels, comme dans un rêve.

Cette salle possédait une haute cheminée de pierre à chacune de ses extrémités. De son plafond, pendaient des lustres illuminés du feu de centaines de chandelles éteintes, certains soirs, par les courants d’air. Les cris des femmes alertaient les laquais qui  arrivaient en renfort, portant moult chandeliers à bout de bras.
Canapés et bergères tendaient leur assise  confortable aux convives pour des causeries amicales ou banales ou pour de courts repos réparateurs entre deux danses. Les pieds souffraient beaucoup, il fallait les soulager !
De petites tables, près des fenêtres, étaient disposées pour recevoir les plats aux mets succulents, tandis que les laquais, aux livrées richement ornées, passaient des plateaux aux milieux des invités.
Le parquet était toujours entretenu avec soin. Ne devait-il pas être suffisamment glissant pour aider à la danse, mais pas exagérément, afin d’éviter les chutes. Un travail d’artiste !

Childéric avait assisté à tant de fêtes et cérémonies qu’il lui était difficile d’en retrouver la chronologie. D’autant plus, que souvenez-vous, il était, un tantinet, amnésique.

Il en avait vu, en  effet, des mariages au son des cornemuses, des fêtes pour toute circonstance ou simplement pour le plaisir de recevoir. Elles commençaient dès le printemps pour rompre l’isolement dû à la froidure de l’hiver.
Des artistes-peintres, dont il avait bien entendu oublié les noms, venaient régulièrement faire des portraits des seigneurs du lieu, de leurs nobles dames et de leurs enfants. Ces toiles dans des cadres massifs avaient longtemps trônaient sur les murs de l’entrée, de l’immense escalier, ainsi que sur ceux des couloirs. Une vague ressemblance dans la forme du visage, le sourire, le regard se retrouvait d’un portrait à l’autre.

Il y avait eu également des représentations théâtrales, dans cette grande salle, au gré du passage de saltimbanques dans la région, et qui, contre un bon repas et un coin sec pour dormir, jouaient la dernière pièce d’un auteur inconnu qui serait reconnu, à coup sûr quelques siècles plus tard, jonglaient, chantaient. L’été, un théâtre de verdure était aménagé pour l’occasion. Il y avait régulièrement de ces petits concerts avec des joueurs d’épinette, de viole, de cromorne et de serpent. Les cornemuses, elles, se faisaient entendre en plein air. Leur sonorité puissante avait grand besoin d’espace.

Childéric conclut ses explications par :
« Des musiciens et comédiens célèbres ont honoré de leur présence les murs de cette demeure. Ah ! J’en ai vu du beau monde ! Et les toilettes des femmes ! Que de dentelles ! Elles brillaient aussi de mille feux, ces belles dames, ornées de bijoux éclatants ! »

Archibald hocha la tête. Qu’en avait-il à faire lui, des musiques, des pièces de théâtre et des dentelles des femmes ! Il avait, lui, dans son temps, fréquentait plus de tavernes que de riches demeures. Et il aurait pu en dire sur les soirées entre hommes autour d’un verre….. autour de plusieurs bouteilles pleines et vite vidées, apportées par des servantes au décolleté avantageux et à la démarche chaloupée attirant le regard.

Mais Childéric avait peu fréquenté les tavernes. Son monde à lui était celui des fêtes de ce lieu dont les enfants étaient exclus. Certains pourtant, les plus audacieux, bravaient l’interdiction, se faufilant sans bruit dans les couloirs, se glissant dans un recoin pour regarder les yeux écarquillés et aller au plus vite raconter aux autres, ceux qui, trop obéissants ou trop poltrons, se contentaient de profiter, de loin, de la musique, ce qui se passait « en-bas », dans la grande salle. Les grandes filles dansaient entre elles, se faisaient des révérences, s’emmêlaient les pieds et tombaient en riant. Mais, elles rêvaient surtout à leur premier bal, celui où elles revêtiraient leur première « vraie robe de demoiselle », seraient courtisées pour la première fois et danseraient « pour de vrai » comme les grandes. Moment de consécration, les faisant basculer du monde de l’enfance à celui d’adulte.
Les grands garçons, eux, ne rêvaient pas de danse, laissant cela aux filles, mais à leur premier verre d’alcool et leur premier cigare en public, donc autorisés, et non pris en cachette derrière le dos des serviteurs. Il leur tardait que la barbe leur pousse !
Dans les chambres et dans la salle réservée aux enfants, Childéric, en sa qualité de fantôme entendait, ces soirs-là, les conversations de « ses petits », impatients de devenir des grands, ne sachant pas encore qu’être grands, ce n’était pas uniquement faire la fête.

Archibald arpentait les lieux, des lieux vides et poussiéreux, dans l’incapacité de se représenter le faste glorieux d’antan. Il bâilla bruyamment. Tout le discours de Childéric l’ennuyait. Mais Childéric n’avait pas assez de mots, pas assez de débit de paroles pour tout conter en si peu de temps.
Il comprit au bâillement de son nouveau compagnon que tout cela n’avait, en fait, de l’importance que pour lui. Il s’assit sur un bac bancal, laissé là par oubli, et la tête dans les mains se sentit envahi d’une immense tristesse.

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