Après
de longs jours et de longues nuits, Trotte-Menu arriva enfin en vue du
grand-fleuve-dont-on-ne-voyait-pas-l’autre-rive. Elle approcha au bord de l’eau et comprit que sans
aide, elle ne pourrait jamais franchir cette immense étendue d’eau.
Elle
déambula un moment, pensive, le long de la rive. Tout à coup, elle aperçut
dansant au gré des remous, un navire. Elle se dirigea vers son emplacement et distingua, de plus en plus
nettement, l’équipage qui, sur le pont, s’affairait aux tâches journalières.
Le
capitaine se tenait à la proue et Trotte-menu se permit de le héler.
« Hé !
Bonjour Capitaine ! » dit-elle forçant sur sa voix, afin de se faire
entendre.
Le
capitaine lui répondit d’un salut de la tête et l’invita de monter à bord.
En
discutant, Trotte-Menu apprit que le navire venait du Pays-des-grands-froids et
que l’équipage était composé des habitants de cette contrée, les Pingouins. Les
Pingouins étaient des êtres pacifiques, reconnaissables à leur tenue noire et
blanche et à leur démarche chaloupée.
Notre
petite diplomate expliqua, diplomatiquement, au Capitaine-Pingouin le but de sa
mission et son désir de franchir le grand-fleuve-dont-on-ne-voyait-pas-l’autre-rive,
pour rencontrer les grands-monstres-du-commencement-du-monde.
« J’ai
souvent entendu parler de ce grand jardin paradisiaque où vivent ces animaux
gigantesques, mais je n’y ai jamais accosté avec mon navire. »
Après
cette réflexion, Capitaine-Pingouin resta un moment silencieux et pensif,
tirant de sa pipe d’énormes bouffées de fumée. Puis, se redressant, il
déclara :
« Je
vais vous aider. Un monde sans musique est un monde qui mourra peu à peu de
tristesse. Nous allons appareiller et nous diriger vers ce monde
inconnu. »
Trotte-Menu
remercia, ravie, mais sa joie s’assombrit soudain. C’était la première fois
qu’elle prenait le bateau. N’allait-elle être malade ?
Trotte-Menu,
sur le pont, le museau fouetté par l’air, profitait du spectacle exceptionnel
qui lui était donné de voir. Jamais elle n’avait vu autant d’eau. C’était
fabuleux !
Non,
ce n’était pas un fleuve, cette eau bouillonnante. C’était ce que les anciens
appelaient un océan. Plus profond, plus gigantesque qu’un fleuve, composé d’une
eau salée qu’il ne fallait pas boire. Trotte-Menu fut très étonnée de ne pas avoir
de nausées.
Elle
aperçut des baleines. Elle engagea même la conversation avec l’une d’entre
elles qui lui compta ses déboires amoureux avec Monsieur-Baleine, navigateur
aux longs cours qui voyageait souvent et très loin, la délaissant
continuellement. Elle versa quelques larmes qui vinrent saler un peu plus
l’étendue marine et disparut sous l’eau, sans doute pour essayer de noyer son
chagrin. Elle disparut sous l’eau en soupirant si fort que le navire se mit à
tanguer dangereusement.
A
cet instant précis, notre petite amie se sentit un peu moins le « pied
marin ».
Trotte-menu
vit également des grosses tortues qui lentement plongeaient dans les flots et
remontaient à la surface régulièrement. Elles n’étaient pas bavardes,
concentrées sur leur activité d’ascenseur-aquatique.
« Quand
dorment-elles ? s’interrogea Trotte-Mmenu. Mais elle n’osa poser cette
question aux intéressées de peur de les froisser. N’était-elle pas
diplomate ?
Soudain,
elle resta sans voix ! Une tortue était là, devant ses yeux, les pattes en
l’air, flottant sur sa carapace dont elle se servait comme embarcation.
« Que
faites-vous ainsi ? demanda Trotte-Menu, trop intriguée cette fois pour
rester muette.
-
Je prends un bain de soleil, répondit la
tortue, tu ne le vois donc pas ? Je suis fatiguée et c’est le seul moyen
de rester inerte tout en continuant à flotter. Ingénieux, non ?
Le
temps passait et toujours rien à l’horizon. Que d’eau ! Trop d’eau !
Et ce qui était une joie au début de la traversée, devint vite tristesse au fil
des jours.
Capitaine-Pingouin
ne savait pas non plus combien de temps durerait le voyage. N’était-ce pas la
première fois qu’il entreprenait ce périple. Il fallait attendre, patienter,
guetter.
Trotte-Menu
pourtant d’un naturel optimiste commençait à avoir le moral en berne.
Arriverait-elle à bout de cette mission ? Nul ne pouvait le dire à cet
instant précis.
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