mercredi 6 juillet 2016

1777 - L'AFFAIRE DESRUES




8 août 1777

Il y a dans tous les états d’habiles gens ; l’Anecdote ci-après le prouve, au moins pour la dernière classe. On sçait (sic) que le trop fameux Desrues souffrit son suplice (sic) avec une tranquillité, au moins aparente (sic), qui paroissoit ne devoir pas se trouver chez un scélérat (sic) de cette espéce (sic). Le peuple, qui ne s’occupe pas toujours à réfléchir, crut y voir le calme de l’innocence. Un fripon s’en aperçoit, forme son plan, & l’exécute. Il s’habille positivement comme l’étoit Desrues le jour de son exécution ; il se promène gravement la nuit sur la Grève, crie qu’il étoit innocent, & que Dieu lui avoit permis de revenir du Purgatoire pour demander des messes. Il nomme les saints Prêtres qu’il faut charger de les acquitter, & demande qu’on lui jette l’argent nécessaire. (C’étoit bien-là (sic) le point essentiel.) De bonnes gens effrayées & attendries, lui font leurs charités, & lui jettent plus que moins, & de loin, crainte que le réchapé (sic) du Purgatoire n’eût les mains plus chaudes que les leurs. Cet honnête homme commençoit à faire de bonnes affaires, mais malheureusement la Police qui se mêle si souvent des affaires d’autrui sans en être requise, informée du petit commerce du revenant, envoya des Alguazils (sic) qui l’ont conduit à Bicêtre, d’où il n’est point encore revenu.

Voilà un article qui m’a fortement interpellée, simplement par ces quelques mots « Desrues le jour de son exécution ».
Alors j’ai fouillé. Qui était Desrues ? Quand fut-il exécuté ? Pourquoi ?
Ouah ! Je suis tombée sur une sacrée affaire……. Et bien sûr, en « bonne commère » qui aime les cancans, je vais vous la conter.


Tout commença pourtant de la meilleure façon du monde dans la bonne ville de Chartres.
Un jeune couple issu de familles de commerçants respectés et jouissant de la meilleure des réputations s’unirent en mariage, le 24 avril 1730, en l’église de la Paroisse de Saint-Saturnin à Chartres.
Elle, Barbe Piau (on trouvera aussi Barbe Elisabeth Piot),  fille de Marin Piau et de Elisabeth Tardineau de la Paroisse de Saint Saturnin à Chartres. Agée de seize ans.
Lui, Michel Desrus (on trouvera par la suite Desrues), fils de feu Pierre Desrus et de Marie Legrand, de la Paroisse de Saint-André. Le futur était marchand et avait 26 ans.

Le vingt quatrième jour d’avril mil sept cens trente michel Desrus marchand âgé de vingt six ans fils de feu pierre desrus aussi marchand et de marie legrand ses père et mere de la paroisse de St André d’une part et barbe piau agee de seize ans fille de marin piau aussy marchand et d’Elisabeth tardineau ses père et mere de cette paroisse d’autre part.
En presence de marin desrues marchand de pierre desrues aussy marchand freres du marié, de louis Lonquequine et claude guerin ses beaux freres, d’alexandre Lulley son cousin germain et plusieurs autres parens et amis, de marin piot son père, jean Alleaume parrain, louis moreau maitre perruquier chez les piau son frère, charles poupril…….
Quand on regarde les personnes présentes au mariage, on voit tout de suite que ce fut, sans aucun doute, un beau mariage. Quand on est marchand, il faut se plier au paraître !

Le premier enfant du couple que j’ai découvert, ne naquit qu’en mars 1735. Peut-être y en a-t-il eu avant, mais si ce fut le cas, ils ne furent baptisés dans aucune des paroisses de Chartres.
Arrivèrent donc au foyer :
·         Michel, le 18 mars 1735
Le vendredy dix huitieme jour de mars mil sept cent trente cinq a este baptise par moy soussigne curé de cette paroisse michel né d’hier du mariage legitime de michel Desruë marchand et de Barbe Piot. Parain Jacques la Treille marchand mercier et épicier de la paroisse de St Hilaire, la maraine  françoise pierre fille de cette paroisse.
·         Madeleine Victoire, le 18 mars 1737
Le lundy dix huitieme jour de mars mil sept cens trente sept après midy jay soussigné prestre vicaire de cette paroisse baptisé une fille née d’hier au soir du mariage legitime de michel desrues marchand et de Barbe piot. Le parrain a esté jean antoine Duchon Bourgeois de cette ville de la paroisse de St Michel. La maraine qui a nommé l’enfant magdeleine victoire a été magdeleine Piot fille tante maternelle de l’enfant.
·         Charles Michel, le 1er juillet 1738
Le mardy premier juillet mil sept cent trente huit je soussigne prestre vicaire de cette paroisse j’ay baptise un fils né d’aujourd’huy du mariage legitime de Michel Desrues marchand et de barbe piot ses père et mere de cette paroisse. le parain qui a nommé l’enfant charles michel a esté charles piot marchand oncle maternel de l’enfant, la maraine a este marie françoise elizabet Pasquier fille, tous deux de cette paroisse.
·         Barbe Jeanne, le 16 septembre 1741
L’an mil sept cent quarante un seizieme jour de septembre je soussigné prestre vicaire de cette paroisse ay baptisé une fille née de ce soir du légitime mariage de michel desrues marchand et de barbe piot. Le parain est denis Huard de la mare marchand de la paroisse de St Michel, la maraine qui a nomme l’enfant barbe jeanne a esté jeanne Juon fille aussy de St michel.
·         Marin François, le 24 septembre 1743
L’an mil sept cens quarante trois vingt quatre septembre ay soussigné prestre vicaire de cette paroisse baptisé un fils né d’aujourd’huy du legitime mariage de michel Desrues marchand et de barbe Piot. Le parain qui a nomme l’enfant marin françois a este maitre françois Jumantier notaire royal à Chartres oncle maternel de l’enfant, la maraine a esté marie mesnou femme de philippe nicolas macé luthier royal, tous deux de cette paroisse.
·         Antoine François, le 22 janvier 1745
L’an mil sept cens quarante cinq le vendredy vingt deux janvier je soussigne prêtre de cette paroisse ay baptisé un fils né de ce jour en legitime mariage de michel desrus et de barbe Piot lequel a esté nommé par le parrain antoine françois, le parrain a esté messire antoine devincheguere chevalier seigneur de seme noenne fils de messire antoine de vincheguere seigneur de seme noenne et de feu dame magdeleine Badereau de cette paroisse, la marraine a esté marie cirasse épouse de charles piot maitre de la maison au pend pour enseigne le vert galent.
Concernant le parrain, je ne suis absolument pas sûr de l’orthographe de son nom, ni de celui de ses titres.
·         Charles Louis, le 18 juillet 1747
L’an mil sept cent quarante sept le dix huitieme de juillet a été baptisé par moy prêtre curé soussigné, un fils né ce jourd’huy du legitime mariage de michel Desrues maitre de l’auberge au pan pour enseigne le louis d’argent et de barbe piot de cette paroisse. Le parain qui a nommé l’enfant Charles Louis a esté monsieur Charles françois trubert des cottes controleur du dixieme actuellement de cette paroisse, la maraine Damoiselle Louise Vallon de Boyroger fille de monsieur Michel Vallon receveur de cette ville de la paroisse de Ste foy.


Tous ces enfants reçurent le baptême dans la paroisse de Saint-Saturnin à Chartres.

La vie aurait pu se dérouler le mieux du monde si le père, Michel Desrues, n’était pas décédé, le 29 décembre 1747.
Paroisse Saint-Saturnin ( Chartres)
L’an mil sept cens quarante sept le vendredy vingt neuf decembre es décédé michel Desrues age de quarante quatre ans environ marchand aubergiste au pan pour enseigne Louis d’argent et lendemain son corps a été inhumé dans le cimetière de cette église par moy pretre curé en presence de Michel Charles Desrues son fils, marin Desrues marchand mercier, pierre Desrues marchand de chevaux tous deux ses frères, de françois Jumantier notaire Royal, de charles Piot marchand aubergiste tous deux ses beaux frères qui ont signé avec nous excepte son fils qui a déclaré ne savoir signer.

Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la pauvre Barbe Piot, quitta ce monde également, le 20 juillet 1749, suite à une maladie et après avoir reçu les sacrements de l’Eglise.
Paroisse Saint-Saturnin ( Chartres)
L’an mil sept cens quarante neuf le dimanche vingt juillet est decedée Barbe élisabeth Piot veuve de michel Desrues marchand aubergiste au pan pour enseigne les louis d’argent age de trente six ans environ après avoir reçu pendant la maladie les sacrements et le lendemain son corps a esté dans le grand cimetiere de cette église par moy prestre curé de cette paroisse soussigné en présence de Charles Michel Desrues son fils, de Charles Piot marchant son frere, de françois jumantier notaire royal à Chartres son beau frere coté de sa femme, de marin Desrues marchand mercier son beau frere cote de feu michel Desrues marchant, de pierre desrues marchant son beau frere de même cote.

Que devinrent les enfants ?
En 1749, Michel avait 14 ans, Madeleine Victoire 12 ans, Charles Michel 11 ans, Barbe Jeanne 8 ans, Marin François 6 ans, Antoine François 4 ans,  et Charles Louis 2 ans.
Sans doute furent-ils dispersés chez les différents oncles, tantes, parrains et marraines. A cette époque, un enfant travaillait très tôt. Dans ces familles de « marchands », il fallait des commissionnaires et des garçons et filles de boutiques.
Laissons-les là, un temps, nous reviendrons vers eux un peu plus tard.
Attardons-nous sur l’avant dernier enfant, Antoine François.

Pour écrire ce qui suit, je me suis appuyée sur plusieurs écrits dont vous trouverez les références à la fin de ce document.
Pour attester mes dires, j’ai essayé, au mieux, de trouver les actes dans les diverses archives en ligne, sachant toutefois, dès le départ, que ce serait difficile, voire impossible, le drame se situant à Paris.

Antoine François fut donc, séparé de sa fratrie et fut accueilli chez un de ses oncles. Il se révéla très vite un enfant perturbé, voir vicieux, aux dires de ses proches.
Au fil de mes lectures, j’ai découvert qu’il aurait été, enfant, décrété « de la nature des Hermaphrodites » et que ce ne serait qu’à l’âge de 22 ou 23 ans, suite à une opération qu’il aurait été déclaré définitivement du sexe masculin. Je ne peux malheureusement pas attester de cette particularité, car, son acte de baptême, déclare bien « …un fils né….».
Était-ce en raison de cette supposée différence qu’il était d’un caractère plus que difficile.
L’enfant fut vite soupçonné de vols, et un jour fut pris sur le fait.
Punition horrible comme on savait le faire à cette époque : l’enfant fut suspendu par les pieds, la tête en bas et fouetté. Bravant son oncle et ses cousins après cette correction, il se mit à rire en se moquant d’eux.
N’arrivant pas à venir à bout de ce « démon », il fut confié à deux cousines qui, très vite  dépassées, confièrent son éducation aux bons soins d’une école chrétienne.

Une anecdote qui fit grand bruit.
Antoine François jouait avec quelques camarades de son âge « aux voleurs ». L’un d’eux fut arrêté et conduit aux abords de la ville où il se vit pendu à un arbre sur ordre de leur chef qui était justement, le jeune Desrues. Le groupe ne le décrocha que lorsque le « pendu » gesticulant et criant fut décroché à la hâte. La pauvre victime décéda le lendemain.
Concernant ce drame, je me suis vue confrontée à deux textes.
Le premier situant l’évènement alors que Antoine François était âgé de 14 ou 15 ans, soit en 1760 environ. Un autre précisant qu’il s’était produit un soir de septembre 1751, après la classe et mentionnant le nom de Pierre Buttel ou Bultel comme étant celui de la petite victime.
Etant donné qu’en 1760, le jeune Desrues venait d’arriver à Paris, j’opterai pour 1751. J’ai donc, parcouru tous les actes des paroisses de Chartres à la recherche de la mention d’un décès aux environs de cette date et concernant un petit Pierre Buttel ou Bultel. Rien. La famille n’habitait peut-être pas Chartres même, mais un village aux alentours.
Je n’ai rien non plus sur les suites données à cette tragédie. Rien, si ce n’est que Antoine François n’aurait montré aucun remord et lança même quelques phrases désobligeantes et ironiques, allant jusqu’à dire que ce n’était qu’une anecdote sans importance.

Mais n’était-ce pas uniquement que bravades verbales, pour cacher des sentiments ?

Il fallait tout de même faire quelque chose de ce gamin, aussi fut-il mis en apprentissage chez un nommé Legrand, ferblantier à Chartres. A la mort de ce maître d’apprentissage, il se retrouva garçon de boutique chez la veuve Castel, marchande  de  quincaillerie, toujours dans la ville de Chartres. Mais, pour une raison qui m’est totalement inconnue, il n’y resta pas longtemps. Etant donné la suite des évènements, je suppose qu’il avait été surpris à voler, car son départ précipité de Chartres ne fut autre que plusieurs vols dans la caisse d’un marchand épicier chez qui il habita peu de temps à la suite de son renvoi de chez la veuve Castel.

Ses parents, malgré toutes ses frasques, l’aidèrent, grâce à leurs connaissances et, il faut bien l’avouer une bonne somme d’argent, à entrer en apprentissage, chez un épicier de la rue de la Comtesse, dans la capitale. Là, il fut très apprécié.
Avait-il changé ?
Etait-ce de l’hypocrisie, comme dirent certains ?
Le maître d’apprentissage affirma, qu’un jour, son jeune apprenti lui avait conseillé d’éliminer les concurrents avec de l’arsenic. « Ainsi, avait-il ajouté, vous en aurait grands bénéfices ».

Là, vont se succéder plusieurs évènements, mettant en scène divers personnages dont je n’ai pu découvrir les actes de leur vie. Il n’existe plus rien des actes des paroisses de l’état civil de Paris. Je le regrette infiniment.
A la fin de son apprentissage, en 1767,  il entra au service d’une veuve, belle-sœur de son maître et qui tenait une épicerie, rue Saint-Victor.
Pour entrer dans les bonnes grâces de cette pieuse femme, il se mit à fréquenter l’église et à prendre un, puis deux confesseurs (le père Cartault – carme et le père Denis – cordelier). Il la convainquit également de  renvoyer sa domestique, disant qu’elle lui coûtait et qu’il pouvait, lui, se charger du ménage et de la cuisine.
Tous le tenaient  en grande estime. Il inspirait la confiance. Il était reçu partout.

Oui, mais ……. Que se cachait-il derrière tout cela ? Quelques machineries ?
Un de ses frères cabaretier à Chartres, vint le voir.  Il fut reçu dans la maison de la veuve, y resta plusieurs jours pour visiter Paris. Le jour de son départ, Antoine François l’accusa d’avoir volé deux bonnets de coton neufs. Devant la fureur et les injures,  presque hystériques, de Antoine François envers son frère, la pauvre dame gifla son employé pour le calmer.
Durant  trois années, de 1767 à 1770, l’épicerie accusa des pertes très importantes. Desrues, en bon employé, affirma que c’était en raison d’un grand nombre de rats grouillant dans la cave ; cette veuve émit quelques soupçons d’ailleurs, et afin de ne pas finir ruinée, elle céda à Antoine François Desrues, son commerce pour la somme de 1200 livres. Nous étions en février 1770. Desrues avait 25 ans. 
La veuve avait toutefois gardé un logement dans le même immeuble que l’épicerie et y accueilli un abbé, ex jésuite. Etant seul, il lui avait légué tous ses biens à sa mort. Desrues lui conseilla l’arsenic pour qu’elle héritât plus vite. Ironie ?

Un des oncles de ce « charmant jeune homme », marchand de farine à Chartres, ayant l’habitude, pour ses affaires, de venir régulièrement à Paris, descendit dans une auberge. Il se trouva volé de 1200 livres. L’aubergiste déclara n’avoir donné les clefs de sa chambre qu’à son neveu. Le marchand ainsi « roulé dans la farine »  ne voulut pas porter plainte. Avait-il eu des soupçons ?

Etrangement le feu prit dans la cave de l’épicerie dans la nuit du 22 juin 1771. Desrues évalua la perte, pour son commerce, à 7 ou 8000 livres. Mais l’apprenti que Desrues avait embauché avoua à ses parents qu’il n’avait rien perdu. Ce qui avait brulé ? Rien d’autres que des friperies et des caisses à savon vides. Après cet incident, Desrues montra une figure ravagée. Sur le pas de la porte de son commerce, il buvait de l’eau qu’il vomissait aussitôt. Mais à celui qui pouvait bien observer, l’homme versait une poudre blanche dans son propre verre avant d’en avaler le contenu. Ajoutait-il ce vomitif, appelé émétique, dans l’eau pour que chacun plaigne son état.
S’ensuivra une multitude d’escroqueries, notamment des faux en écritures attestant l’acquittement de sommes dues. Mais comme le sieur Desrues avait une réputation honorable, personne ne se méfiait.
Il était tellement pieux ! On ne pouvait que lui donner le « Bon Dieu sans confession » !

Parmi ces méfaits :
Un jeune homme venu à Paris pour acquérir un fond de commerce avec en poche une bonne somme d’argent. Vol de 12000 livres. Le jeune disparut….. Desrues justifia tout cela en assurant aux parents que leur fils était un libertin et, qu’aussitôt arrivé à Paris, il avait sombré dans la débauche.
Un apprenti qu’il eut un temps dans sa boutique ? « Un vaurien ! » avait dit Desrues aux pauvres parents, et pour appuyer ses dires affirma qu’il lui avait dérobé 600 livres. Le père paya. L’apprenti disparut.
Et puis cet autre apprenti perruquier venu livrer une perruque et avait au passage volé, soit disant,  une bague d’une valeur de 200 livres. Le maître perruquier crut Desrues et renvoya le pauvre garçon qui n’y était pour rien.

Cet homme fourbe et malhonnête feint trois banqueroutes. Chaque fois ses créanciers le plaignirent et l’aidèrent, sans jamais avoir aucun soupçon.

1772 fut l’année de son mariage, célébré da ns la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois. Antoine François Desrues épousa Marie Louise Nicolais.

Cette dame, née à Melun en 1745, était la fille d’un bourrelier N Nicolais et de Thérèse Richardin qui avait épousé en secondes noces Jean-Baptiste Caron, établi  rue de la Charonne à Paris, comme fabricant de nattes de paille. Elle était l’héritière, en partie, d’un certain Jacques Jean Despeignes-Duplessis qui s’était attribué un titre de noblesse bien que descendant d’un couple de commerçants de Beauvais, du nom de Bénard. Il possédait un petit château ou plutôt une grosse ferme en grand état de délabrement dans un endroit appelé Candeville dans le Beauvoisis, baillage de Clermont, où il vivait seul, d’où son surnom, le « blaireau de Candeville ». Il était détesté de ses fermiers, des habitants des environs et des braconniers. En ce qui concernait ces derniers, c’était logique !
Quels étaient ses rapports avec Marie Louis Nicolais ? Pas de renseignements précis, si ce n’est qu’on la voyait souvent venir au château entre 1769 et 1770, sans en connaître les raisons. J’ai lu qu’il aurait été son parrain. Sans l’acte baptistaire, je ne peux l’affirmer.

Cet homme décéda le 22 novembre 1770 dans des circonstances fort étranges. En effet, Il fut retrouvé dans sa chambre, alors qui était seul au « château », avec 24 gros grains de plomb de chasse dans une plaie située à l’endroit de l’estomac.

Marie Louise Nicolais, même si elle pouvait prétendre à une part de l’héritage du sieur Jacques Jean Despeignes-Duplessis, non noble, ne faisait pas partie de la noblesse. Ne s’occupait-elle pas de faire des paillassons avant son mariage ? Pourtant, Desrues l’anoblit en modifiant légèrement l’orthographe de son nom,  noté sur leur acte de mariage, et ce fut donc sur ce soi-disant héritage, qui se révéla par la suite infime et dont la succession tardée à venir, que Desrues put à de nombreuses reprises emprunter, pour lui-même prêter à de petits nobles à des taux usuriers.
Tout un travail de calculs astucieux ! Un vrai génie de la finance !


La même année naquit une petite fille qui ne vécut que quelques temps. Une voisine du couple accepta d’être la marraine de l’enfant. Elle était lingère. Elle appréciait Desrues en raison de sa grande piété. Elle aussi !

Etait-ce en raison de la mort de la petite fille  qu’en 1773, Antoine François Desrues vendit son fond de commerce de la rue Saint-Victor et alla s’installer dans une maison de la rue des deux boules, non loin de la rue Bertin Poirée, sur la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse dans laquelle avait été célébré son mariage.

Le 1er février 1775, (il se peut que ce soir en 1774) vint au monde un garçon qui reçut les prénoms de André Maximien Joseph sur les fonds baptismaux, le mardi 15 février.
L’acte baptistaire mentionne :
André Maximien Joseph fils de messire Antoine François Desrues seigneur de Grande-ville, Herchier Viquemont et autres lieux, ancien marchand épicier et de dame Marie Louis Nicolais, son épouse.

Je n’ai pas consulté moi-même cet acte, ce qui fait que l’année de la naissance de l’enfant n’a pu être élucidée.

Devant les impayés de loyers, son logeur le mit dehors. La famille Desrues emménagea alors dans une maison rue Beaubourg où il se fit appeler, Cyrano Desrues de Bury.

Ce fut en cette année 1775 que Desrues fit la connaissance avec le sieur de Saint Faust de Lamotte, écuyer de la grande écurie du roi, sieur de Grange-Flandre, Valperfond et autres lieux.

Ce sieur Pierre Etienne de Saint Faust de Lamotte avait épousé, en 1760, à Paris, Marie Françoise Perrier, avec laquelle il avait vécu maritalement quelques années avant, et dont il avait eu un fils, Edouard, né à Palaiseau et baptisé sous le nom de sa mère, et qu’il avait reconnu au moment de son mariage. Ils eurent, par la suite, deux autres enfants qui ne vécurent pas. Edouard était donc leur seul enfant. Ils avaient fait, en 1763, l’acquisition  d’une terre seigneuriale appelée le Buisson-Souef, à un quart de lieue de Villeneuve-le-roi-lès-Sens. (Aujourd’hui Villeneuve-sur-Yonne).
Cette propriété, bordée par Yonne, avait beaucoup d’allure, mais nécessitait un grand nombre de travaux dont le couple ne pouvait supporter la charge.
Desrues souhaita acquérir ce domaine dont la valeur fut estimée à 130 000 livres. Un contrat fut signé le 22 décembre 1775. Desrues n’ayant pas la somme nécessaire le jour de la signature, un délai lui fut accordé jusqu’à l’année suivante.
Desrues et les siens s’installèrent donc, sans scrupule, à Buisson-Souef aux frais des de Lamotte, bien évidemment.
Début décembre 1776, la somme n’était toujours pas réglée, et pour cause, Desrues n’avait pas le premier sou pour honorer le contrat. Le sieur de Lamotte, ne pouvant quitter la propriété en raison des travaux, signa une procuration à sa femme pour régler cette affaire. Celle-ci partit, accompagnée de son fils, avec les Desrues pour Paris. La famille Desrues lui offrit l’hospitalité. Elle prit le temps, à son arrivée dans la capitale, d’aller déposer la précieuse procuration maritale chez Monsieur le Procureur. Edouard fut mis en pension dans une école rue de l’Homme Armé, au Marais, non loin de l’Hôtel Soubise.

Que manigançait Desrues ?
Pourquoi loua-t-il une cave, en décembre 1776, sous le nom de  Ducoudrai, rue de la Mortellerie dans un immeuble appartenant  à la dame Masson, âgée de soixante ans et veuve de son état ?
Pour quelles raisons la dame de Lamotte et son fils ressentirent-ils quelques malaises depuis leur arrivée à Paris ?

Le 30 Janvier 1777, Desrues prépara une médecine de sa composition et la proposa à la dame de Lamotte. Elle serait assurément soulagée et rapidement, avait affirmé Desrues.
Après l’absorption du remède, la dame alla se mettre au lit. Devant les « ronflements » assez étranges, la servante, alarmée,  alla trouver Desrues. Rien de plus normal ! Le médicament agissait !
Et l’homme envoya la domestique à la campagne en  lui intimant l’ordre de ne pas revenir avant le lundi 3 février 1777.

La dame de Lamotte fut, en effet soulagée de ses maux,  puisqu’elle décéda le 31 janvier 1777.
Le lendemain, Desrues envoya sa femme faire quelques courses, prétextant qu’il irait diner en ville avec leur invitée.
Sa femme sortie du logis, le meurtrier mit le cadavre dans une malle et l’ayant fait chargée sur une voiture à bras, la fit transporter chez la dame Mouchy dont le mari  avait un atelier de menuiserie au Louvre. Aucune indication sur la personne qui aurait aidé à transporter la malle qui fut déposée au lieu précisé ci-dessus, à 10 h du matin. La malle resta là deux jours.

Pourquoi direz-vous ?

Tout simplement pour laisser à l’homme Desrues, le temps d’aller embaucher, place de Grève, un manœuvre pour creuser une fosse  de trois pieds de profondeur sur cinq pieds de longueur,  sous l’escalier, dans la cave qu’il avait louée.
Une fois la malle arrivée dans l’endroit, il s’était avéré que le trou n’était pas assez grand.
Que faire ?
Il retourna donc place de Grève, espérant retrouver le manœuvre, embauché précédemment,  pour le charger d’agrandir la fosse. Ne le trouvant pas, il demanda à un maçon, très heureux de gagner quelques sous.
Oui mais, ce maçon fut plus curieux que le manœuvre.
Pourquoi cette fosse ?
Pour mettre des bouteilles de vin, lui avait-on répondu.
C’était bien la première fois qu’on lui parlait d’une telle recette pour faire vieillir du vin.
Et cette malle ?
Les bouteilles étaient dedans, bien évidemment.
Mais cette malle sentait bien mauvais pour contenir du vin. On dirait qu’une vieille charogne y est entreposée !
Il fallut à Desrues ouvrir la malle. Il était découvert ! Mais habile, comme à son habitude, il dit qu’il s’agissait d’une dame avec laquelle il était arrivé à Paris. Cette dame était morte subitement dans la chambre et il craignait qu’on l’accusât  de meurtre. Alors, il avait trouvé cette solution… Il pleurait le pauvre assassin……. Constatant que le cadavre ne portait aucun signe de violence, le maçon crut à la fable de Desrues contre deux louis d’or que ce dernier lui avait glissés dans la main.

La machination était en route, Desrues ne pouvait plus reculer. Il fallait qu’il règle, à présent, le sort du jeune Edouard de Lamotte.
Il prévint celui-ci que sa mère était partie pour Versailles et qu’elle lui enverra      it de ses nouvelles.
Onze février 1777, rien. Aucune nouvelle !
Desrues vint chercher, le mardi gras 11 février, le jeune homme à la pension où il faisait des études de philosophie, pour, avait-il dit au maître de pension, l’emmener au bal. Comme la soirée risquait de s’éterniser, il le garderait à coucher. Au jeune homme, il annonça qu’il était venu le chercher pour rejoindre sa mère à Versailles.
Le lendemain matin, après un bon bol de chocolat, les deux hommes partirent.

La suite me donnera raison : on ne se méfie pas assez du chocolat !
Pendant le trajet le jeune Edouard fut prit de vomissements.

A Versailles, ils descendirent à l’hostellerie de la Fleur de Lys, mais devant l’état du jeune homme, l’aubergiste refusa de leur louer une chambre. Un tonnelier, ayant boutique au coin des rues Saint-Honoré et de l’Orangerie, leur proposa une chambre pour 30 sols par jour. La chambre fut prise au nom de Beaupré. Desrues se déclara être l’oncle du malade.

La valse des médecines recommença. Le vendredi 14 février au soir, Edouard agonisait. On fit venir un prêtre qui administra l’Extrême Onction au moribond A neuf heures du soir, le pauvre garçon avait quitté ce monde.
Ce fut un terrible déchirement pour Desrues ! Il aimait tant son neveu ! Il ne put d’ailleurs assister aux funérailles.

J’ai retrouvé l’acte d’inhumation du jeune de Lamotte :
Versailles – paroisse Saint Louis - L’an mil sept cent soixante dix sept le seize février Louis Antoine Beaupré fils de jacques Beaupré bourgeois de commercy en Lorraine et de marie helene Maigny decede d’hier age de vingt deux ans et demi  a été inhumé par nous soussigné prêtre habitue en cette paroisse en presence de Gabriel Pecquet tonnelier et jean Bidou garçon d’église qui ont signe avec nous.
En marge de l’acte, cette mention en diagonal : « assassiné par desrues »

Le tonnelier se nommait donc Gabriel Pecquet.

Revenant chez lui, à Paris, Desrues annonça qu’il revenait de Chartres. Il était tout joyeux !
Il retourna à la pension, affirma que tout allait bien, Edouard de Lamotte avait reçu une lettre de sa mère lui demandant de la rejoindre à Versailles. La femme du maître de pension émit quelques doutes…..
Desrues alla ensuite, le 27 février 1777, voir le procureur pour reprendre la procuration que le sieur de Lamotte avait fait en faveur de son épouse. Le procureur refusa net. Il n’avait pas été informé. Desrues deposa alors  une plainte au lieutenant civil, sous le nom de Cyrano Desrues-de-Bury, afin d’obtenir la dite procuration.
En fait, il ne doutait de rien, ce brave Desrues !
Il est vrai que plus les escroqueries sont incroyables, moins elles sont contestées !
Après plusieurs refus du procureur et plusieurs autres démarches de Desrues, la procuration fut déposée au greffe du Châtelet par ordre de M. le lieutenant criminel.

Desrues se rendit sur la terre de Buisson-Souef, et annonça au sieur de Lamotte que tout était arrangé. Un acte avait été passé le 12 février 1777, annulant le précédent et que la somme de 100 000 livres avait été remise à son épouse qui était, de plus, en parfaite santé. Elle s’occupait d’affaires à Versailles, mais attendait que celles-ci se concrétisent pour lui en faire part. Son fils ? Ah oui ! il n’avait pas de goût pour les études, sa mère l’avait retiré de la pension. Il était à Versailles avec sa mère qui pensait à le mettre comme page, à la cour du roi.
En effet, tous ces dires furent confirmés par lettres que le sieur de Lamotte reçut de son épouse pendant le séjour de Desrues.

C’en était trop !
Le sieur de Lamotte, au plus fort de son angoisse, se résolut à se rendre à Paris. Coïncidence, il descendit dans un hôtel non loin de la rue de la Mortellerie où dans une cave ……..
Il mena une enquête, bien sûr. Desrues avait fait courir des bruits entachant la réputation de la dame, mais le mari ne pouvait y croire.
Concernant la somme de 100 000 livres, elle avait bien été actée devant notaire, le 6 février 1777. L’acte avait été annulé le jour même. Desrues n’avait pas mentionné ce détail.
Un commissaire du nom de Mutel fut chargé de l’affaire. Il se rendit chez Desrues.
La perquisition effectuée  ne donna rien. Quant à la femme Desrues, elle n’était au courant de rien.
Desrues porta plainte pour cette perquisition qu’il qualifia d’abusive.

Mais trop de soupçons ! Il fallait tirer cette affaire au clair.
Desrues fut donc emprisonné le 12 mars 1777 au Fort-l’Evêque où il fut interrogé à de nombreuses reprises.
On soupçonna la complicité de la femme Desrues.
Quant à la servante, elle cria, haut et fort, qu’elle n’avait fait que servir sa maîtresse.

On venait de découvrir que, dans le linge sale, Desrues envoyait des messages à son épouse et que celle-ci se chargeait de faire parvenir des courriers à diverses personnes. Courriers signés de Madame de Lamotte, pour attester que celle-ci était bien vivante. Une morte ne pouvant pas écrire !
La femme Desrues fut alors enfermée au Fort-l’Evêque, alors que son époux était transféré au Grand-Chatelet.

Mais voilà, il suffit parfois de peu de choses pour que tout soit dévoilé !
La dame Masson, n’ayant pas revu le locataire depuis début février, confia à une amie ses craintes de ne pas toucher le montant du second terme de sa cave. Tiens, justement, c’était le jour où il avait apporté une malle qui, selon ses dires, contenait des bouteilles de vin ! Il lui en avait, d’ailleurs, donné deux bouteilles. C’était un vin de Malaga.
Comme le monde est petit !
Cette dame en parla à un officier qui était justement un ami des de Lamotte. Cet homme se rendit à la police qui ordonna une perquisition dans la cave de la brave dame Masson.
Dans cette cave, le commissaire Mutel découvrit un tonneau vide et quelques bouteilles de vin. Mais le regard vigilent de ce policier se porta sur le sol au-dessous de l’escalier. Il tâtonna. Etrange,  la terre était molle !
Le commissaire alla quérir  un ordre chez le juge et revint accompagné de deux hommes et du sieur de Lamotte.
Oh horreur ! Le sieur de Lamotte poussa un cri de terreur en découvrant son épouse dont le visage était resté intacte.
Nous étions le 18 avril 1777.
Le lendemain, lors d’une confrontation, la femme Masson reconnut Desrues comme étant celui qui lui avait loué la cave dans laquelle le corps venait d’être découvert. Bien sûr, Desrues démentit.

Je suppose que cette pauvre femme avait dû se demander si quelqu’un, à présent, accepterait de louer le lieu, en raison des évènements qui venaient de s’y dérouler. Un tel acte dans une maison honnête, on allait jaser, c’était certain ! Et si elle ne pouvait plus louer ? Cela allait être un manque à gagner !

L’autopsie pratiquée sur le corps de la dame de Lamotte, confirma une mort par empoisonnement.

Desrues confessa alors que le jeune Edouard était décédé à Versailles des suites d’une indigestion et d’une maladie vénérienne. Le 22 avril 1777, le corps fut découvert dans le cimetière, mais Desrues affirma ne pas reconnaitre le corps du jeune homme.
Il cria que lui et son épouse étaient de braves gens et demanda que la justice fasse une enquête de bonne moralité.

L’autopsie pratiquée sur Edouard de Lamotte fit apparaître que les causes du décès étaient bien les mêmes que celles de sa mère.

Et les interrogatoires se poursuivirent.
La femme Desrues déclara avoir rencontré son époux, avec la malle dans une charrette à bras, rue Saint-Germain-L’auxerrois. A sa question de la contenance de celle-ci, il lui avait répondu que ce n’était que de la faïence qu’il souhaitait emporter sur leur terre de Buisson-Souëf.

Dans sa cellule, Desrues passait son temps en prières et à jouer aux cartes avec ses gardes. Il affichait le visage de la parfaite innocence.

Le procès fut instruit par le Châtelet, le 30 avril 1777. La sentence fut confirmée le 5 mai par le Parlement.

…. Condamné à faire amende honorable, nu en chemise, la corde au cou, tenant en ses mains une torche du poids de deux livres, au devant de la principale porte et entrée de l’église métropolitaine de Notre-Dame de Paris où il sera conduit dans un tombereau par l’exécuteur de Haute Justice ; cela fait, mené dans la place de Grève pour sur un échaffaud qui y sera dressé à cet effet, avoir les bras, jambes, cuisses et reins rompus vifs et à l’instant jeté dans un bûcher ardent qui serait placé au pied dudit échaffaud pour y être son corps réduit en cendres, et ses cendres jetées au vent………..

Desrues fut exécuté le 6 mai 1777 à sept heures du soir.

Sur le trajet le menant au supplice, Desrues montra une grande quiétude, saluant les personnes qu’il connaissait, leur adressant quelques cordialités.
Lors de son supplice. il ne poussa aucune plainte.

Juste une petite précision : j’  ai découvert ce qu’était le supplice dit « de la roue », uniquement pour information :
Le condamne recevait deux coups à chaque bras, l’un au dessus du poignet, l’autre au dessus de la saignée. Un coup à chaque jambe et un à chaque cuisse. Le neuvième, appelé coup de grâce, était frappé au creux de l’estomac.

La foule était immense sur la place de grève. Un spectacle qu’il ne fallait pas manquer. Les distractions n’étaient pas si courantes. Les spectateurs tapaient dans leurs mains pour rythmer les coups assenés au condamné.
Lorsque ce dernier ne parut plus réagir et qu’il n’était plus animé que par un faible souffle de vie, il fut détaché et son corps placé dans le foyer, face contre les braises.
Lorsque le corps fut presque brûlé, certains se précipitèrent  sous l’échafaud, afin de récupérer un morceau d’os ou quelques cendres. Quelques uns se rouèrent aussitôt pour miser à la Loterie Nationale. Trophée en mains, .ils ne pouvaient que gagner le gros lot. Leur relique n’avait-elle pas le même pouvoir de donner de la chance que la corde de pendu ?

La femme Desrues n’eut pas un meilleur sort.
Voilà la sentence la concernant :
…. La cour condamne ladite Marie Louise Nicolais veuve d’Antoine François Desrues à être, ayant la corde au col, battue et fustigée nue de verges et flétrie d’un fer chaud en forme de V sur les deux épaules par l’exécuteur de la Haute Justice, au devant de la porte des prisons de la conciergerie du palais, ce fait, menée et conduite en la Maison de force de l’Hôpital Général de la Salpêtrière de cette ville de Paris, pour y être détenue et renfermée à perpétuité – déclare tous les biens de ladite veuve Desrues acquis et confisqués sur iceux préalablement pris la somme de deux cents livres d’amendes ……
Fait en Parlement le 9 mars 1779
Signé Le Cousturier

Les voleurs et les voleuses se voyaient couramment, après jugement, marqués au fer rouge de la lettre « V », initiale de « Voleur ».

La femme Desrues fut donc emprisonnée. Elle mit au monde un enfant, né deux mois après la condamnation de son père. J’ai lu qu’il avait été déclaré « né idiot », mais n’était-ce pas normal avec les évènements que sa mère avait vécu tout au long de sa grossesse. A-t-il vécu ? Combien de temps ? Je ne peux rien vous dire.
Mes recherches ont abouti également à une autre naissance, celle de Louis Alexandre Nicolais qui serait né en 1779, le 23 mai à la Salpêtrière. Il serait  décédé le 7 juin 1779 à l’hôpital des Enfants trouvés à Paris, à l’âge de quinze jours. Il aurait été le fils de « N N » deux initiales découvertes dans un texte. Ce « N N » était-il un garde qui aurait abusé de la détenue ? Cet enfant a-t-il été conçu pour donner une chance à la femme Desrues de ne pas être exécutée, lui accordant, au moins, encore quelques mois à vivre jusqu’à la naissance de  l’enfant à venir ? C’était fréquent dans les prisons, certains geôliers « arrondissaient » leurs revenus en « arrondissant » le ventre des femmes emprisonnées. Du moins celles qui pouvaient payer !

Marie Louise Nicolais, veuve Desrues, resta emprisonnée treize années.
Jusqu’à ce triste jour d’automne 1792, où une bande d’égorgeurs investit la Salpêtrière et massacra les quatre-vingt-sept femmes encore captives.  C’était le 4 septembre 1792.


De tous les enfants nés de Marie Louise Nicolais, ne vécut que André Maximilien Joseph Desrues, né le 1774 ou 1775 (je vous rappelle que j’ai trouvé la mention des deux années sur les différents documents que j’ai consultés).
Qu’est-il devenu ? Je ne sais pas. Je suppose que, comme beaucoup des membres de la famille de Desrues, sœurs, frères, neveu, nièces, cousins et cousines, il a demandé à changer de nom. Ce fut le cas pour  Magdeleine Victoire Desrues, sœur  de Antoine François, comme l’atteste la mention en marge de son acte de naissance : 
Par jugement du tribunal de Chartres du 15 fevrier mille huit cent treize transférés sur nos registres ce jourd’hier vingt six juillet autorisant la suppression du nom de Desrues et ordonne qu’on y substitue celui de Orée.

Comment cette affaire a-t-elle pu faire tant de bruit ? Suscité autant d’ouvrages ?
Les meurtres, les vols et les actes de brigandages n’étaient-ils pas très courants à cette époque ? Rien d’extraordinaire en fait !

Il se fait que toutes les phases importantes de la vie de Desrues furent dessinées et commentées dans les 39 gravures de Esnaut et Rapilly.
On y voit Desrues enfant, battu par ses cousines, Desrues épicier préparant des fioles de poisons dans sa boutique… et tous les moments de la terrible affaire qui le mena à la mort.
Desrues apparait beau, grand, musclé, alors que son physique n’était nullement avantageux.

En effet, il était :
Faible de  constitution et de très petite taille (quatre pieds dix pouces). Son  visage allongé, pâle, délicat et maigre n’avait  presque pas de barbe. Il possédait une bouche enfoncée, un regard perfide, des yeux ronds creux et perçants. Il parlait d’un ton affectueux, mielleux, et possédait le rire d’un satyre
Il s’était fait un plan combiné des plus horribles forfaits. La soif insatiable des richesses le dévorait. C’était son unique ambition.

Alors, la légende s’est emparée de l’histoire.
Ce meurtrier a marqué son époque, tel un héros à la grande intelligence, et est entré dans l’histoire où je viens de le ressortir en m’aidant de différents ouvrages :
·         Alexandre Dumas : « les crimes célèbres » volume 7
Ecrivain français – né le 24 juillet 1802 et décédé le 5 décembre 1870.
André Charles Cailleau : « Vie privée et criminelle d’Antoine-François Desrues » 
Né le 17 juin 1731 en Touraine, il décéda le 12 juin 1798 à Paris. Libraire, il publia certaines de ses œuvres.
·         Georges Claretie :  « Derues l’empoisonneur, une cause célèbre au xviiie siècle »
Né le 5 juillet 1875, décédé le 9 octobre 1936, il fut docteur en droit, avocat et journaliste.

Voilà une belle affaire comme je les aime,  non en raison de son côté macabre, mais dans le fait que je peux raconter, raconter…. Et encore  raconter.

Je suis désolée de n’avoir pu trouver
·         L’acte de mariage des Desrues
·         L’acte de mariage des de Lamotte et ceux des baptêmes de leurs enfants
·         L’acte de décès du terrible « blaireau de Candeville »
·         Etc……

Si quelquefois, aux détours de quelque autre recherche, je le découvrais, je vous en ferai part.


Petit complément à l’histoire :

J’ai fouillé, et vous pouvez me croire, pour retrouver la trace des frères et sœurs de ce personnage.
Charles Louis, son dernier frère, né le 18 juillet 1747, a épousé le 12 juin 1775 à Chartres – paroisse St Hilaire, Marie Madeleine David.
L’an mil sept cens soixante quinze le douze juin après les fiançailles et la publication de trois bans ……..je curé de cette paroisse soussigné ai procédé a la célébration du mariage de Charles Louis Desrues Me Traiteur agé de vingt huit ans fils de feu Michel Desrues vivant Me aubergiste et de feue Barbe Piot son epouse domicilié cy devant sur la paroisse de St André et maintenant sur celle de St Aignan d’une part et Madeleine David agée de vingt quatre ans fille de Louis David Me Parcheminier et de feue Anne Besnard son epouse de cette paroisse d’autre part……. en presence du côté de l’époux de Pierre Desrues son oncle Bourgeois de cette paroisse de Pierre Bureau Md de Bar de la paroisse de St Aignan son cousin. Du côté de l’épouse en presence Louis Besnard Bourgeois de la paroisse de St Michel son oncle de Gabriel Besnard Me Boullanger de cette paroisse aussi son oncle de Louis David Md Tanneur de la paroisse de St Pierre de Dreux son frere de Pierre michel Anne David, Jean Réné David et Pierre David aussi ses freres, de François Bellanger son beau-frere……..


Je suppose que Charles Louis demanda à changer de nom, car sur un acte de décés en date du 5 septembre 1848 à Chartres, un de ses fils se voit nommé Jean René Orée dit Chonette :
Jeans René Orée dit Chonette ancien boulanger âgé de soixante huit ans natif de Chartres époux de Mélanie flore Blot, domicilié à Chartres rue porte Drouaise n° 7, fils de défunt Charles Louis Orée et Marie Madeleine David sa femme, décédé hier à deux heures du soir en son domicile…….


Magdeleine Victoire qui était née le 18 mars 1737 prit également le même nom, comme nous l’avons vu plus haut. Par contre, en ce Qui concerne Jeanne Barbe, née le 16 septembre 1741, elle garda le nom de son père, comme l’atteste son acte de décès :
Aujourd’hui vingt quatre germinal an quatre de la république en la maison commune de Chartres……est comparu Geneviève foy Cochereau épouse d’Etienne Louis Chapelin mégissier demeurant au dit Chartres porte Cendreux laquelle attestée et jean adrien marchand géomètre en cette commune tous deux majeurs m’a déclaré que aujourd’hui sur les cinq heures du matin en son domicile (adresse illisible) est décédée Jeanne Barbe Desrues ex religieuse de la cidevant maison de la visitation de Chartres agee de cinquante six ans, fille de deffunts Michel Desrues aubergiste au dit Chartres et de Barbe Piau son épouse d’après laquelle déclaration je me suis assuré du dit décès…….



Rien d’autre à  vous soumettre, je suppose que tous les membres de la famille ont fait profil bas, un voleur et un assassin, ça entache la réputation d’une famille entière, surtout quand celle-ci est composée en sa quasi-totalité de commerçants. Dans ce cas, mieux vaut aller voir ailleurs !

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