mercredi 14 décembre 2016

LE CURE MINGRAT - Première partie



Nous voilà revenu dans le département de l’Isère. Décidément, cette région foisonne de faits divers et variés, et meurtriers ! Afin de ne pas mécontenter les habitants de ce département, je choisirai mon prochain sujet ailleurs. Promis.

L’affaire, qui va suivre, s’est déroulée tout près de Grenoble et ce fut dans la cathédrale de cette ville que l’on pourrait faire commencer cette histoire.


Ce fut en effet en ce lieu qu’Antoine Mingrat,  tout juste ordonné prêtre, célébra sa première messe, devant une assemblée de connaissances, et surtout de sa mère, emplie de fierté, ses ambitions comblées.
Antoine Mingrat, en ce même jour, d’ailleurs, n’eut aucunement une attitude humble emprunte de piété. Son cœur débordait d’une fierté exagérée. Péché d’orgueil !
Sa position de « prêtre » le mettait, selon lui, au-dessus du commun des mortels, au-dessus de la justice des hommes. Ce statut lui donnait tous pouvoirs. Intouchable !

Il fut envoyé dans la paroisse de Saint-Aupre pour y exercer son premier ministère.
L’abbé Antoine Mingrat avait vingt ans.
Un tout jeune prêtre dont j’ai retrouvé la description physique.

« Cheveux noirs et plats. Un front très étroit. Des sourcils épais. Des yeux bruns, sombres au regard farouche. Une grande bouche aux lèvres épaisses et dédaigneuses. Une taille haute et massive. Il était doté d’une force incroyable. »


Ce fut dans cette paroisse que la vie de ce prêtre, qui n’avait que pour vocation celle de vivre comme il le souhaitait, dérapa.
Mais avant, faisons connaissance avec lui.
Qui était-il ?

Antoine Mingrat naquit dans la commune de Grand-Lemps, dans le département de l’Isère, où ses parents, Etienne Mingrat et Marie Rose Doublier s’étaient unis, le 8 juin 1790.

Acte de mariage – juin 1790 – Grand-Lemps.
Après trois publications aux formes ordinaires de cette paroisse sans avoir découvert aucun empechement et ensuite de la dispense donnée en faveur de l’epoux accordée par Mgr l’archeveque de Vienne signée Brochier........ (illisible) j’ai donné la bénédiction nuptiale du consentement des .... (illisible) le huit juin 1790 de Etienne Mingrat maitre charron fils legitime a feu etienne et a defunte anne bouvat demeurant à Lemps d’une part et a demoiselle marie Rose doublier fille legitime a feu sieur antoine et a demoiselle marguerite fournier aussi de cette paroisse présents sieurs ... (tache) doublier, pierre mingrat, joseph rebatel et Maitre Claude Dutruc....

Antoine fut l’ainé des enfants. Il vit le jour, le 16 décembre 1793 (26 frimaire an II)
Acte de naissance – décembre 1793 – Grand-Lemps.
Aujourd’hui vingt sixième frimaire an second de la république française..... est comparu en la salle publique Etienne Mingrat charron age de vingt neuf ans lequel assisté de pierre Clavel procureur de cette commune de Lemps et de jean Baptiste Charvet journalier tous les deux âgés de quarante ans lequel m’a déclaré que rose doublier son épouse en legitime mariage age de  vingt un ans est accouchée aujourd’hui sur les neuf heures du matin d’un garçon dans son domicile lequel il m’a présente et auquel il a donné le prenom d’antoine..........

Une petite fille, prénommée Rose Marie, naquit le 8 décembre 1795 (17 frimaire an IV). Elle ne vécut que vingt et un mois. Elle fut portée en terre le 7 septembre 1797 (21 fructidor an V)
Acte de naissance – décembre 1795 – Grand-Lemps.
Aujourd’hui dix sept frimaire l’an quatre de la republique française avant midi par devant nous........ est comparu en la maison commune Etienne Mingrat assiste de Barthelemi Molle et andré feupinet tous de ce lieu qui m’a declare que rose Doublier son epouse legitime est accouchée hier d’une fille a qui il a donné le prenom de rose marie d’après  cette declaration et la representation qui m’a été faitte de l’enfant, j’ai redige le present acte........

Acte de décès – septembre 1797  – Grand-Lemps.
C’aujourd’huy vingt un fructidor an cinq de la Republique par devant moy..... est comparu Etienne mingrat charon de cette commune, assisté de paul meyzin, de andré giroud tous deux cultivateurs de cette commune lequel ma déclaré que rose marie sa fille est decedé ce jourd’huy agé de un an et neuf mois après mettre assure du décés jay redige le present acte ayant le dit giroud signé, non le declarant, ny meyzin.......


Puis ce fut un autre garçon qui arriva au foyer, le 25 août 1800 (7 fructidor an VIII). Le troisième et dernier de la fratrie.
Acte de naissance – août 1800 – Grand-Lemps.
Du huit fructidor an huit par devant mois est comparu le citoyen Etienne Mingrat charon demeurant Lemps de la même commune lequel m’a déclaré que Rose Doublier son épouse est accouché hier d’un enfant male auquel il a donné le prénom de Joseph Barthelemy. D’après cette déclaration et la representation qui m’a été faite de l’enfant, j’ai redigé le present que j’ai signé non le déclarant ny les temoins qui ont declaré être illiteres.....


Comme nous venons de l’apprendre par les actes ci-dessus, Etienne Mingrat exerçait le métier de charron. Ce n’était pas, à vrai dire, un personnage très sympathique, loin de là.
Ivrogne, il passait plus de temps à la taverne qu’à travailler.
Fainéant, aussi, mais cela va de paire avec l’ivrognerie.
Mauvais mari, il molestait son épouse.
Mauvais père, il battait ses enfants.
Quel portrait !


Quant à Rose Doublier, elle était ambitieuse, intrigante et méchante. Un caractère qui ne pouvait  que lui permettre d’arriver à ses fins, en balayant tout sur son passage, et surtout les autres.

Ce devait être quelque chose l’ambiance familiale au foyer Mingrat-Doublier, ça j’vous dis, braves gens !

Alors, Antoine, indocile, avait appris à feindre et à mentir pour éviter les coups assenés généreusement par son père, faute de câlins.
Rose fut la première institutrice de son fils, du moins je suppose qu’elle essaya car elle savait à peine signer. Mais, elle était dotée d’une détermination farouche à réussir, pour elle, mais surtout pour son fils ainé.
Etait-ce en raison de son incapacité ou en raison de l’indiscipline et la fainéantise de son fils qu’elle cessa vite son enseignement ?
Enfin libéré de toute contrainte, le gamin passa son temps à jouer, vagabonder et tyranniser ses camarades.

Madame Rose Mingrat, suite à une violente discution, pour ne pas dire une terrible dispute avec son mari, décida de partir à Grenoble. Le but de ce séjour, obtenir le diplôme de sage-femme, profession qui lui permettrait de gagner sa vie.
Je n’ai rien découvert sur le second fils du couple. Je suppose qu’il resta à Lemps avec son père.


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Arrivée à Grenoble, elle emménagea avec Antoine chez une dame J., accoucheuse. Pendant qu’elle prenait des cours, Antoine jouait avec les filles de cette dame J.
Et voilà les enfants qui, sur une idée comme ça, d’Antoine décidèrent de jouer « aux prêtres ». Antoine, bien sûr, fut l’ecclésiastique et pour faire « un peu plus vrai », les filles s’appliquèrent à tonsurer le jeune garçon.
Antoine se prit au jeu et, le soir, au retour de sa mère, il lui annonça, solennel et missel à la main, qu’il souhaitait entrer dans la prêtrise.
« En voilà une idée ! pensa la mère. Mais pourquoi pas !...... ».  Elle imagina tout de suite son fils Evêque, Archevêque et pourquoi pas Pape ! Ambitieuse à outrance, je vous avais prévenus.

Pour faire entrer Antoine au séminaire, il fallait le consentement d’Etienne Mingrat, le père.
Celui-ci mit au courant, refusa d’un bloc tous les arguments qui lui furent exposés.
Et pour mettre fin au débat, il plaça Antoine en apprentissage chez un peigneur de chanvre.
Comme nous l’avons déjà pressenti, Antoine avait hérité le côté fainéant de son père, auquel s’ajoutait les « qualités néfastes et incontournables », ou défauts, d’incapable et d’indomptable. Le jeune garçon fut, très rapidement, mis à la porte.

Que faire de ce gamin insupportable ?
Une de ses tantes, mais je ne peux préciser si elle était du côté maternel ou paternel, se proposa de l’éduquer. Elle l’aimait bien ce neveu. Etant très estimée,  elle se confia à une de ses connaissances Madame de V., qui très dévote, le recommanda avec beaucoup d’insistance au chapelain de son château. Elle certifia que le jeune homme dont il était question, était pieux, vertueux et touché par la vocation. Autant de qualités firent qu’Antoine fut admis au séminaire.

Etienne Mingrat fut très heureux. Il était débarrassé de ce fils qui lui pesait !
Rose Mingrat Doublier était au comble du bonheur. Son ambition commençait à prendre forme.

Antoine séminariste ne se montra pas très brillant. Si il était « estimé » par ses maîtres, c’était uniquement en raison de l’espionnage qu’il menait envers les autres élèves. Cafteur en plus, pas joli-joli !

Et nous voilà de nouveau sur le parvis de la cathédrale de Grenoble, après la première messe donnée par Antoine Mingrat, prêtre, qui s’apprêtait à partir pour sa première paroisse, Saint-Aupe.

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Dans cette paroisse de Saint-Aupe, je passerai sur  ce qui se passa et qui était indigne d’un prêtre.
Ce que je peux affirmer, c’est que sa conduite fit scandale au point que les paroissiens s’en plaignirent.
Mingrat reçut l’ordre d’abandonner sa cure après un sérieux sermon d’un de ses supérieurs hiérarchiques, je suppose, lui expliquant le rôle d’un prêtre après de ses ouailles, et prêchant la charité chrétienne et l’humilité. Ce qui n’était nullement dans les aptitudes d’Antoine Mingrat.

Dans un courrier, M. Ph., curé de Miribel, lui avait écrit les reproches les plus durs sur sa conduite, lui conseillant :
« Mettez une montagne entre vous et les hommes. »

Ouah ! De fait, il aurait mieux valu !

Antoine Mingrat fut « déplacé » dans une autre paroisse, non loin de Saint-Aupe, celle de Saint-Quentin-sur-Isère. Il avait alors vingt-huit ans.

Mais à Saint-Quentin, sa réputation l’avait précédé. Il décida alors de s’acheter une conduite.
De libertin, il devint d’une austérité maladive.
Le nouveau curé interdit les assemblées, les bals champêtres, les fêtes. Il fit fermer, via le maire et le sous-préfet, les cabarets le dimanche et les jours de fêtes. Il proclama comme scandaleux que les femmes soient en manches de chemise ou bras découverts.
Ses sermons ne parlaient que de la colère et la justice de Dieu.
Il ne proférait que des menaces.
Un revirement qui n’eut pas le don de plaire aux paroissiens !
N’y avait-il pas un juste milieu à adopter ?

Dure, méprisant, arrogant.......  C’était évident que si Antoine était devenu prêtre, ce n’était nullement par vocation.
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A un quart de lieu de Saint-Quentin-sur-Isère, au hameau du Gît, vivait un couple aisé : Etienne Charnalet et Marie Gérin.

En 1817, ce couple était venu s’installer dans la maison d’enfance d’Etienne Charnalet.
Je ne peux vous dire où le couple s’était marié, ni quand, n’ayant trouvé aucune information.
Ce que je peux vous dire, c’est que Marie, vingt-six, était d’une beauté parfaite et très vertueuse. Elle venait de perdre sa mère, le 23 novembre 1821. Son chagrin étant immense, elle s’était réfugiée dans la religion.

Voici l’acte de décès de la mère de Marie Gérin.
Acte de décès – novembre 1821 – Saint-Quentin-sur-Isère.
Aujourd’hui vendredi vingt trois novembre mil huit cent vingt et un à deux heures de l’après midi devant nous.... sont comparus Etienne Dory Charnalet tourneur âgé d’environ quarante trois ans et Laurent Bourdin fils de Louis cultivateur âgé d’environ trente huit ans tous deux domiciliés au dit St Quentin lesquels nous ont Déclaré que françoise Cottin michez veuve de Jean Gérin agée d’environ soixante huit ans belle mere du dit Dory Charnalet est decedee aujourd’huy à huit heures du matin dans sa maison d’habitation Hameau du gît.....


Antoine Mingrat tomba amoureux de la belle jeune femme. Tout le village s’en aperçut très vite et s’en amusa énormément. Marie, quant à elle, semblait ignorer les œillades et les sous-entendus du jeune prêtre.
Ce jour-là, Antoine Mingrat se dirigea vers la maison de Marie. Il souhaitait lui déclarer sa flamme. Il avait imaginé un stratagème pour approcher la jeune femme sans attirer l’attention.
Ne devait-elle pas aller le lendemain à Veurey, village se trouvant à deux lieues, pour assister à la communion des filles.
Vers 16 heures, le prêtre frappa à la porte de la maison Charnalet. Marie le reçut avec le sourire et lui proposa une collation, mais un voisin vint, puis un autre..... Ils ne purent être seuls ne serait-ce qu’un court instant.
Quelle déveine !

Alors, Antoine proposa à la jeune femme de la recevoir, le soir, à l’église pour la confesser (ne devait-elle pas communier au cours de la cérémonie du jour suivant ?) et aussi afin de lui remettre un courrier pour le curé de Vaurey.

La ruse réussit. La jeune femme promit.

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