mardi 10 janvier 2017

DE L'ANGE .... AU DEMON - Première partie

De l’ange...... au démon.


A Rennes, l’arrestation de la cuisinière de Monsieur Bidard, professeur à la Faculté de droit de Rennes, Hélène Jegado, en ce premier juillet 1851, n’étonna personne. N’y avait-il pas des morts, encore et encore, dans chaque place où elle servait ?
« Coïncidence », ce mot avait bon dos !
Et la justice finit par faire valoir ses droits.

Qui éta            it cette femme que l’on disait malpropre, grossière, ivrogne et ...... empoisonneuse.

Hélène Jégado comparut donc devant ses juges, en la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, sous la présidence de M. Boucly, premier président  à la cour d’appel de Rennes, le 6 décembre 1851.
Elle devait répondre à l’accusation de sept empoisonnements, ainsi qu’à de nombreux vols.

Voici son histoire, celle qui fut reconstituée à partir de ses dires et de ceux des différentes personnes venues témoigner.
L’histoire d’Hélène Jegado, native de Bretagne, pays des crêpes au sarrasin sur lesquelles on étale du beurre salé et que l’on déguste accompagnées de café bien fort ou de cidre.....

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Ville de Rennes – années 1850 et 1851

Hélène Jegado était entrée au service de Monsieur Bidard, professeur à la faculté de droit de Rennes, le 19 octobre 1850.
Dans cette maison, il y avait d’autres domestiques dont Rose Tessier, qui décéda dans d’affreuses souffrances et convulsions,  le 7 novembre suivant.

Acte de décès – novembre 1850 – Rose Alexandrine Tessier.
Le huit novembre mil huit cent cinquante à dix heures et demies du matin devant nous.... ont comparu M. Leopold marie Bidard Docteur en droit agé de quarante sept ans demeurant rue d’Estrées et M. Paul alfred Michel avocat agé de vingt deux ans demeurant même rue lesquels nous ont déclaré que Delle Rose alexandrine Tessier agée de vingt neuf ans et demi née a Valence (Drome) fille de feu M. Pierre Tessier et de Dame Marie Poete est decedée Quai St georges chez M. Bidard professeur en droit, hier au soir à cinq heures......


Les médecins appelés conclurent que le décès pouvait avoir été produit par une « rupture du diaphragme » ou....... un empoisonnement.
Mais, la possibilité d’un crime ne vint à l’esprit de personne.

La pauvre Rose à peine mise en terre fut remplacée par Françoise Huriaux (on trouve aussi Heuriaux), au mois de décembre. Il fallait bien que le travail soit exécuté. Françoise Huriaux prit donc son service. Mais elle ne tarda pas à ressentir quelques malaises. Des bruits lui vinrent aux oreilles..... Il fallait se méfier d’Hélène.
Ne voulant pas perdre la vie pour un maigre salaire, elle donna son compte. Elle ne s’en porta que mieux !
Ouf ! Sa fuite la sauva d’un horrible péril !

Il n’en fut pas de même pour sa remplaçante,  Rosalie Sarrazin, qui avait commencé son service en mai 1851. Prise de vomissements et de douleurs abdominales, elle décéda le 1er juillet

Acte de décès – juillet 1851 – Rosalie Sarrazin.
Le premier juillet mil huit cent cinquante et un a dix heures trois quarts du matin devant nous ont comparu M. Leopold marie Bidard , avocat à la cour d’appel agé de quarante huit ans demeurant rue d’Estrées et M. Paul alfred Michel avocat agé de vingt deux ans demeurant même rue lesquels nous ont déclaré que Dlle Rosalie Sarrazin agée de dix neuf ans née à Paimpont (Ille et Vilaine) domestique fille de feu Julien Pierre Sarrazin et d’aimée mathurine Rallon est décédée chez M. Bidard quai chateaubriand ce matin à six heures un quart.......

Là, les médecins furent formels. La jeune fille, âgée de dix-neuf ans, avait bien été empoisonnée. L’autopsie le prouva et la substance dont on s’était servie pouvait bien être de l’arsenic.

Qui avait pu commettre ces abominables forfaits.....
Tous les soupçons tombèrent sur Hélène, cuisinière, la seule à préparer et servir les repas.
Et chacun de se souvenir de tous les morts..... oui, tous les morts qu’il y avait eu là où était passée Hélène.
Les doutes devinrent certitudes ! La mort, c’était elle !

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Plouhinec en Bretagne – début du XIXème siècle

Cette petite fille qui avait reçu le prénom d’Hélène, avait un visage d’ange. Tout le monde le disait dans le petit village de Kerhordevin en Plouhinec.
Et puis, si gentille, si serviable !
Elle parcourait les champs et les bois avec sa mère, apprenant le nom des plantes, celles qui guérissent, celles qui pouvaient mettre en échec l’Ankou ou du moins retarder sa venue.
Oui, l’Ankou ! Sa présence était partout et il n’était pas bon se promener, seul,  la nuit, sur la lande.
Aux veillées, certains disaient l’avoir vu sur sa charrette grinçante, une énorme faux à la main.
Tous y croyaient, et les enfants, ayant entendu les récits des anciens, frissonnaient de peur.
Hélène, elle, suivant pas à pas sa mère, observant et cueillant les plantes désignées par elle, s’était peu à peu persuadée qu’avec cette connaissance maternelle dont elle devenait dépositaire, elle détenait le pouvoir de vie et de mort sur les autres. Et cette certitude grandit en elle, avec les années, s’ancra dans son esprit, au point qu’elle se sentit désignée par l’Ankou pour arracher la vie à ceux qu’elle rencontrait.


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Hélène était la fille de Jean Jegado et d’Anne Lescoët (on trouvera aussi Liscoët – Lescouet – Liscouet).
Elle était la quatrième enfant du second mariage de Jean Jegado.
Dans quel foyer vint-elle au monde ?
Qui étaient ses parents ?

Jean Jegado était né le 6 mai 1757, à Plouhinec dans le Morbihan. Il fut baptisé le même jour.
Acte de baptême – mai 1757 – Plouhinec.
L’an de grace mil sept cent cinquante et sept Le sixieme jour du mois de may je soussigné prêtre ai baptisé un fils ne ce jour du legitime mariage de Jean Jegado et Louise Bennabeuss du village de Kervezec auquel on a donné le nom de Jean Parrein et marrene ont été jean Le Gludic et marie Le moing qui ont declaré ne sçavoir signer.
N. Le Thoinin prêtre.

Jean Jegado faisait partie d’une grande fratrie.
·         Yvonne, née le 24 mars 1741 à  Boperec Nostang.
·    Jean, né le 23 janvier 1745 à Boperec Nostang. Marié à Jacquette Stephano, le 6 février 1764 à Plouhinec.
·         Joseph né en 1748. Marié à Marie Le Dran le 15 janvier 1770.
·         François, né le 30 mars 1851 à Plouhinec.
·         Pierre, né le 27 mars 1754.
·         Yves, né le 27 novembre 1759 et décédé le 14 janvier 1832. Plouhinec.
·         Perrine né le 27 mai 1762 à Plouhinec.

Petite parenthèse, les recherches ont été légèrement compliquées. Ses parents lui avaient attribué le même prénom, celui de « Jean », que l’un de ses aînés.
Quelle idée !

Jean Jegado avait épousé le  20 janvier 1784, Marie Le Fay à Plouhinec.
Acte de mariage – janvier 1784 – Plouhinec.
Le vingt janvier mil sept cent quatre vingt quatre, la publication des bans de mariage entre jean Jegado fils majeur des feus jean et de Louise Bonabez et marie Le Fay fille majeure des feus ambroise et julienne rio les deux de cette paroisse avait été faite aux prônes de nos grands messes par deux fois..... sans aucun empechement civil ni canonique je soussigné après  avoir interrogé les parties et reçu leur mutuelle consentement les ai solennellement marie et ensuite celebré la messe..... en presence de jean jegado son frere, pierre Jegado frere, jan olieri et philippe le... (illisible)


Marie Le Fay (on trouvera aussi Le Fé) avait vu le jour le 2 mai 1753 à Kerdoret Locoal Mendon, trêve de Locoal. 

Acte de baptême – mai 1753 - Locoal Mendon.
L’an de grace 1753 le 3e jour de may iay baptisé une fille né du iour precedent du legitime mariage d’entre ambroise le fay et iulienne ryo du vilage de Kerdovet on luy a imposé le nom de marie parain et mareine ont été Joseph Le prodo et marie Semlo temoins le père et laurens stephan qui tous ont declaré ne sçavoir signer et ay signé... Loisel vicaire de Locoal

Dix-huit mois après leur union, était né Joseph, le 15 juin 1785.
Acte de baptême – juin 1785 - Plouhinec.
Le quinze juin mil sept cent quatre vingt cinq je soussigné ai baptisé sans condition joseph jegado fils de Jan et de marie Lefé origine de Lacoual, mariés ici il y a dix huit mois, né ce jour au..... (illisible) parrin et marene ont été Guillaume oliero, marie Noël Lelorec sa tante......

La jeune femme ne vit pas grandir son fils, car elle décéda le 10 janvier 1788.

Acte d’inhumation – janvier 1788 - Plouhinec.
Le onze janvier mil sept cent quatre vingt huit a été Inhumé dans le cimetiere de cette église le corps de marie Le fé épouse de Jan Jegado decedé hier à Keroue à l’age de trente trois ans munie des sacrements ont assisté au convoi son dit epoux et autre jean jegado son beau frère qui ont déclaré ne sçavoir signer.....

Jeune veuf avec un enfant, Jean Jegado ne tarda pas à se remarier.
Celle qui devait partager sa vie se nommait Anne Liscouet (orthographe de l’acte de mariage)
Acte de mariage – janvier 1790 – Plouhinec.
Le vingt six janvier mil sept cent quatre vingt dix j’ai curé soussigné solennellement conjoint en mariage jean jegado fils majeur de feus jean et Louise Benabeuse veuf de Marie Le fé domicilié de cette paroisse et anne Liscouet fille de jean et de marie Le porh domiciliée de droit et de fait de cette paroisse en presence et du consentement du dit père de l’epouse et en presence de jean jegado frere de l’epoux de joachim Thomas et de pierre Cado lesquels ainsi que les epoux ont déclaré ne savoir signer....

La nouvelle épousée avait vu le jour, le 29 janvier 1763, à Plouhinec.
Acte de baptême – janvier 1763 - Plouhinec.
L’an de Grace mil sept cent soixante trois le trentieme du mois de janvier je soussigné ay baptisé une fille née le jour precedent du legitime mariage de jean Liscoët et de marie Le portz de treiz hervé on la nommé anne, ont étés parein et mareine Joachim Thomas et anne le portz qui ont declaré ne savoir signer....

Quatre enfants naquirent de cette seconde union.

Joachim arriva, le 19 décembre 1790.
Acte de baptême – décembre 1790 – Plouhinec.
Le dix neuf decembre mil sept cent quatre vingt dix j’ai recteur soussigné baptisé un garçon né ce jour au village de Keryo du legitime mariage de jean jegado et d’anne Liscouët on lui a donné le nom de joachim. Parrain a été Jean Liscoët son ayeux et maraine anne Le Livée qui ont déclaré ne savoir signer.

Puis ce fut Marie Jacquette, le 8 décembre 1792.
Acte de naissance – décembre 1792 – Plouhinec.
L’an premier de la république française le trente décembre mil sept cent quatre vingt douze a été présenté devant nous françois Roussin officier public de la commune de plouhinec.... un enfant femelle née au village de Kerordeven en cette paroisse le huit du mois de décembre dernier du legitime mariage de jean jegado laboureur et originaire de cette paroisse et d’anne Lescouet aussi de cette paroisse. Themoins ont été jacques Kermene laboureur du village de Kerpratte même paroisse qui sait signer et Bertrand Larboulet aussi laboureur et du village de Louée Larmor qui ne sait signer et qui ont donné  à l’enfant le prenom de Marie Jacquette.

Anne fut la troisième. Elle arriva le 9 juin 1799.
Acte de naissance – juin 1799 – Plouhinec.
Ce jour, vingt deux prairial an sept republicain sur les quatre heures du soir a été présenté devant moi.... un enfant pour lequel il a été fait la declaration suivante - Jean Jagado laboureur du village de Kerdevin en cette commune assisté de Joseph Kerneur age de vingt un ans laboureur du village de Kerprat en la même commune et non parent et d’anne Lescoët age de vingt quatre ans du village de Lennic Lormor, tente au maternel de l’enfant, lequel declarant père a dit que le jour d’hier sur les sept heures du soir son épouse anne Lescoët est accouchée dans sa maison d’un enfant femelle a la quelle ils entend donné le prenom d’anne, les dits jours et ans que devant  nous notre seings et celui de Joseph Kerneur, ainsi que le père present ont déclaré ne savoir faire.

Et enfin Hélène, quatre années après, le 13 juin 1803.
Acte de naissance – juin 1803 – Plouhinec.
Du vingt huit prairial an onze trois heures de l’après midi acte de naissance d’helene Jagado fille de Jean Jegado et d’anne Lescoët née ce jour à trois heures du matin au village de Kerhordevin en cette commune de Plouhinec des sus dits père et mere cultivateurs de profession le sexe de l’enfant a été reconnu être feminin – premier témoin françois Rio laboureur demeurant au village de (.... illisible....) age de vingt deux ans non parent – second temoin françois Le Bihan cultivateur demeurant au même village que le precedent agé de trente cinq ans aussi non parent sur la requisition a nous faite par le susdit père present qui nous a presenté l’enfant.......


Issue d’une « petite noblesse », la famille Jegado était une famille honnête mais sans fortune, bien considérée, laborieuse. Jean Jegado cultivait sa terre, avec des années fructueuses et d’autres malheureuses.  Ainsi allait la vie !
Anne Lescoët, pieuse, ne laissait pas pour autant de côté les vieilles légendes de Bretagne, et il y en avait beaucoup ! Elle n’ignorait rien des gestes rituels lors d’un décès pour que l’âme du défunt quitte paisiblement son habitat charnel et ne revienne jamais hanter les lieux de sa vie terrestre.
Si ces rituels et légendes faisaient partie de la vie de chacun, ils marquèrent énormément la petite Hélène.
La mort, « l’Ankou », la fascinait.
Et puis, toutes ces herbes avec lesquelles sa mère confectionnait des remèdes en marmonnant des formules plus proches de la sorcellerie que de la médecine, n’avaient-elles pas pouvoir de vie et de .... mort ?
Cela semblait si facile !
Cela donnait un certain pouvoir sur les autres !

Et puis, il y avait ces pierres druidiques, autour desquelles, enfant, Hélène aimait à courir. Ce lieu, empli de mystères, nourrissait l’imagination de la petite fille. Que s’était-il passé, ici même, dans les temps anciens ? Quelles incantations avaient été prononcées ? Le sang des sacrifices avait-il inondé le sol qui s’en était abreuvé et qu’elle piétinait à présent ?
Sur la lande, elle n’imaginait que korrigans et fées effectuant des danses endiablées les nuits de pleine lune dans lesquelles étaient entrainés les humains dont la crédulité les perdait à jamais. A la croisée des chemins, des calvaires de pierre rappelaient la fragilité de l’homme et la puissance de Dieu et mettaient en garde les malheureux qui s’égaraient du droit chemin, celui que l’Eglise enseignait, bien évidemment.
Il ne fallait pas, non plus, oublier les trépassés, ceux qui avaient péri en mer et que l’on n’avait jamais retrouvés. Ne revenaient-ils pas au port, pauvres marins sans embarcations, cherchant le repos et le dernier hommage de ceux qu’ils avaient aimés ?
Flottait ainsi sur cette Bretagne un mystère brumeux, maintenu là par la pluie, et que le vent, même soufflant en tempêtes, ne pouvait déraciner.
Hélène vivait donc entre réalité et imaginaire, pénétrée de ce qu’elle entendait aux veillées, et qui se perpétuait  de génération en génération, se créant un monde à elle, un monde où elle avait toute puissance.

La petite fille était-elle à ce point influençable ?

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