mercredi 15 février 2017

L'AFFAIRE FERRAGE



Dans le livre de Pierre Laboulinière «Itinéraire descriptif et pittoresque des Hautes-Pyrénées Françaises », on peut lire :

Grottes de Gargas : entre les villages de Tibiran et d’Aventignan sont les grottes les plus étendues qu’offrent les Hautes-Pyrénées ; elles s’appellent de Gargas, du nom d’un ancien seigneur qui, selon la tradition du pays, avoit l’affreuse coutume d’y enfermer des malheureux pour les faire périr. Se pourrait-il qu’il fût resté dans la contrée des descendans de ce tyran local, auxquels il auroit transmis avec son sang, son humeur farouche et barbare ?

Cela m’amène à vous conter ce qui suit et qui s’est passé quelques années avant la Révolution Française, dans le petit village de Cescau dans le département de l’Ariège, non loin de ces grottes, justement, en l’année 1782.

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Dans ce petit village rural vivait un couple qui s’était uni le 20 juin 1752, Jean Ferrage et Gabrielle Antras.

Acte de mariage – Cescau – juin 1752
L’an mil sept cent cinquante deux et le vingtunieme de juin après avoir proclamé les bans du futur mariage pendant trois dimanches consécutifs à la messe de paroisse entre jean ferrage fils de jean ferrage et de françoise Castel du lieu de sescau d’une part et gabrielle antras fille de jean antras et de jeanne Brune de la paroisse de Balagueres sans qu’il nous ait été notifié aucun empechement..... presans jean prat et pierre prat soussignés et blaise ferrage et pierre ferrage qui n’ont su signer.
Le mari se prénommait « Blaise Jean », on trouvera indifféremment sur les actes l’un ou l‘autre de ses prénoms.

Ayant repris tous les actes de ce petit village, je n’ai découvert que trois actes de baptême concernant les enfants nés de ce couple. Trois naissances, un chiffre bien faible à cette époque.

Baptême – Cescau -  Jean, né le 23 décembre 1753.
Jean fils de blaize ferrage et de gabrielle antras ses père et mere est né le vingt troisième du mois de décembre de l’année mil sept cens cinquante trois et a été batisé le lendemain par moi soussigne dans l’eglise de Cescau etant parein jean antras et la mareine françoise Castel....

Baptême – Cescau – Blaise, né le 22 décembre 1755.
Blaise ferrage fils de Blaise ferrage et de gabrielle antras son epouse est né et a été baptisé le vingt et deuxième décembre mil sept cens cinquante cinq ont esté parrain Blaise payer et françoise ferrage....

Baptême – Cescau – Joseph, né le 26 juin 1758.
Joseph ferrage fils de blaise ferrage et de gabrielle antras son epouse est né et a été baptise le vingt six juin mil sept cens cinquante huit a este parrain joseph barbe et marraine justine ferrage.....


Trois garçons, cela allait faire des bras pour aider à la ferme.
Mais, si  Jean et Joseph grandirent sans problème, ce ne fut pas de même pour Blaise. Enfant turbulent, il avait un caractère nerveux, mais surtout sournois. Il donna bien des soucis à ses parents.
Au travail de la ferme, il préféra celui de maçon. A l’âge de vingt ans à peine, bien que de petite taille, il possédait une force incroyable.
Depuis son plus jeune âge, il avait toujours eu des pulsions l’attirant d’une manière plus que malsaine vers les jeunes filles. En vieillissant cette tendance augmenta et les pulsions sexuelles qui le tenaillaient pouvaient le pousser jusqu’au meurtre. Il agressa, de ce fait, plusieurs jeunes filles du village et de ses environs. Ce fut ce qui se passa avec Marie Gros, la servante de son oncle. Il l’aimait bien cette fille, mais elle se refusait à lui. Alors, il voulut la forcer. Elle se débattit et voulut se libérer de ses étreintes. La colère prit alors Blaise qui, dans ces cas-là, ne pouvait plus se contrôler.

Vers 1777, alors qu’il n’avait que vingt-deux, il arrêta de travailler et se retira dans une des cavités de la grotte,  au-dessus de Cescau, dont il fit son repaire.
Il ne vivait que de chasse, se rapprochant des habitations uniquement pour voler de quoi subsister et abuser de très jeunes filles qui, dans les champs, gardaient les troupeaux. Il tenta même d’en assassiner une ou deux qui essayaient de lui échapper.
Il tua également un maquignon Espagnol, rencontré dans la vallée d’Orle, lors d’une dispute concernant le prix d’un mulet. Il n’était pas bon, non plus, le contredire.

Suite à ce crime, afin de ne pas être pris par la maréchaussée, il passa quelques mois en Espagne.
Entre France et Espagne, traqué, son existence dans la montagne ou dans les bois, lui avait donné l’apparence d’une bête.
Ne se lavant que très rarement, les cheveux et la barbe sales et hirsutes, la démarche semblable à celle d’un ours, portant à la ceinture plusieurs pistolets et un poignard et ne se séparant jamais de son fusil à deux coups.         
Toutefois cette traque ne lui déplaisait pas. Il aimait déjouer ses poursuivants, éviter leurs pièges, deviner leurs ruses, d’autant plus que lui, connaissait très exactement les lieux et ses moindres cachettes.

Blaise Ferrage fut enfin arrêté en juillet 1782. Menotté et sous bonne escorte, il fut conduit à la prison de Montréjean, sous les huées de la foule qui s’était amassée sur son passage. Mais, il réussit à s’évader. Sa nouvelle errance dans les bois ne dura pas longtemps car il fut repris au cours du mois d’octobre suivant.

Il fut alors emmené à Toulouse pour y être jugé.

L’acte d’accusation portait sur vingt-deux viols de fillettes ou jeunes filles dont deux avec tentative de meurtre et sur l’assassinat du maquignon espagnol.

Le juge Chatelain de Castillon condamna Blaise Ferrage, le 12 décembre 1782, à être roué en la place Saint-Georges à Toulouse. Pourtant, le dossier d’accusations était quasi vide.

Une bien lourde condamnation, réservée aux grands bandits et aux parricides.
Cette condamnation ne lui accordait même pas la faveur d’être étranglé avant d’être roué, comme il était de coutume, afin d’éviter au supplicié de trop grandes souffrances. Après ce supplice, son corps devait être exposé en place publique.

La sentence fut exécutée le lendemain 13 décembre 1782. Blaise Ferrage marcha vers son supplice le visage calme et serein.


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Mais avant cette date, il y eu bien entendu les déclarations des victimes et une enquête sur ce criminel et les lieux qu’il avait fréquentés.

Et ce fut à partir de ce moment que la légende prit racine. Ce fut sans aucun doute cette légende et la rumeur publique qui influença fortement le verdict.

En cette fin du XVIIIe  siècle, la presse, en quête d’évènements scandaleux prenait son essor afin d’attirer un grand nombre de lecteurs. Et les affaires criminelles commençaient à envahir les colonnes des « Unes ». Alors, vous comprenez.....

Au cours de l’instruction, vingt-deux jeunes filles déposèrent contre Blaise Ferrage. Une des victimes féminines se nommait Marie Gros. Elle était la servante de Jean Ferrage, l’oncle du prévenu.
Vingt-deux, mais on murmurait qu’il y en avait eu, peut-être et même sûrement, beaucoup plus.
Il y eu aussi des témoins de la bagarre qui avait causé la mort de l’Espagnol.
Mais ce qui sema l’horreur fut la découverte dans une des cavités des grottes de Gargas d’un nombre incroyable d’ossements jonchant le sol.
A qui appartenaient ces ossements ? Sans conteste à de pauvres victimes qui resteront à jamais anonymes.
Et puis, sur les parois rocheuses, des empreintes de mains, visiblement avec du sang humain, celui des morts dont les squelettes se trouvaient là, précisément.
A quels rituels païens ce monstre, à présent devant ses juges, se livrait-il avant et après ses crimes ?
C’était bien des rituels, de malsains rituels, puisqu’il fut retrouvé des rubans de toute couleur ayant appartenu et ayant paré la chevelure de ces jeunes filles dont les restes gisaient dans les ténèbres du lieu.

Alors l’imagination courut, je devrais dire galopa, et plus vite que le plus rapide des vents propulsé par le souffle d’Eole.

De là à affirmer que, cet homme n’était pas simplement un violeur, un assassin mais également un anthropophage, il n’y avait qu’un pas qui fut fraichi. Oui, bien sûr, il ne se contentait pas de tuer, mais il dépeçait ses victimes et les dévorait à pleines dents. 
Et chacun, et chacune même, avec des frissons d’effroi imaginait l’homme un couteau ensanglanté entre les mains enfonçant la lame de son couteau dans la chair fraîche et tendre de ses victimes, coupant les muscles des cuisses, tranchant les seins et se repaissant de cette chair avec volupté, le sang rouge lui dégoulinant de la bouche au menton et dans le cou, sa barbe imprégnée du liquide écarlate.

Oui, car l’horreur attire les foules, donne ce petit quelque chose à la vie, ce petit frisson, qui fait qu’ensuite on se sent bien dans sa propre vie. Et puis, il faut bien avoir quelque chose à raconter, autre chose que les évènements mornes du quotidien, quand on rencontre une commère sur le chemin ou qu’on partage un verre d’alcool au cabaret.
Et puis, l’image de ces danses lubriques exécutées après ce « rituel gastronomique » excitait, en cachette, les esprits les plus sages qui allaient ensuite faire pénitence, à genoux, mains jointes, dans la fraîcheur d’un lieu saint.

Oui, Braves Gens, ce fut ainsi que ces crimes prirent une extraordinaire éxagération à une époque où le viol était « usage courant » et non répréhensible par la loi. (Ce qui n’est plus, heureusement, le cas aujourd’hui). Et aussi, en raison d’une justice qui n’avait pas les moyens d’analyses nécessaires.
Car.......   Les ossements de la grotte n’étaient autres que des ossements d’animaux, des ours certainement.
Car..... Les mains peintes sur les parois n’étaient autres que des peintures rupestres datant de la préhistoire.

Rien à voir avec les accusations notées dans le compte-rendu du procès  qui ne mentionnait en aucune façon des actes d’anthropophagie.

La presse s’empara du fait et l’enfla bien évidemment. Les lecteurs prirent pour véridiques les écrits journalistiques. N’avaient-ils pas été écrits par des « Messieurs qui savaient » ?
Et comme il fallait faire un exemple pour apaiser les foules, la sentence fut remarquable.

Je n’ai pas d’acte d’inhumation à vous soumettre, mais étant donné que Blaise Ferrage avait été exécuté par sentence juridique, je ne pense pas qu’il ait bénéficié d’une inhumation religieuse.

Je n’ai pas, non plus, eu en main le nom des victimes, donc je ne peux vous les décliner, sauf, peut-être Marie Gros, la servante de Jean Ferrage et qui devint son épouse.


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Qui était Marie Gros ?
Marie Gros serait née le 3 novembre 1762 à Saint-Girons en Ariège, mais à Saint Girons pas d’actes en ligne avant 1778, je ne peux donc vous le confirmer.
Cette date apparait sur le second acte de mariage de Marie Gros.

Elle épousa, comme je l’ai dit plus haut, Jean Ferrage, le 6 février 1782, à Cescau. Jean Ferrage n’était pas l’oncle mais le grand-oncle de Blaise Ferrage, veuf de Marie Tap, décédée le 11 janvier 1781 à l’âge de soixante ans environ.

Acte de mariage – Cescau – février 1782.
L’an mil sept cens vingt deux et le sixieme jour de fevrier après la publication des bans
Du futur mariage d’entre jean ferrage fils legitime de fu pierre et de fue jeanne tap habitants Cescau, veuf de marie Tap d’une part et de marie gros native de la paroisse de St Valier en la ville de saint Girons fille legitime de fu joseph et de catherine Castet de la paroisse de Lescure d’autre part... en presence de joseph arboun, pierre baguerres, Bertrand peyrevidal et de genes Peyrevidal de la présante paroisse.......


Veuve (je n‘ai pas retrouvé l’acte de décès de Jean Ferrage), elle convola en secondes noces avec Urbain Augistrou, le 26 novembre 1800, à Cescau.

Acte de mariage – Cescau – novembre 1800.
Acte de mariage du cinquieme jour de frimaire an neuf de la république française d’Urbain augistrou age de trente huit ans né à Cescau departement de l’Ariege le huit octobre mil sept cent soixante deux cultivateur et de fue marie anne Barbe et de marie gros agee de trente huit ans née à St Girons departement de l’Ariege le trois novembre mil sept cent soixante deux fille de fu joseph gros et de fue chaterine Dupla demeurant à St Girons département de l’Ariege....... en presence de Jacques fur (fax ???) cultiv      ateur agé de trente six ans Emmanuel Seille agé de soixante ans Pierre Bappat agee de trente huit ans et de Pierre Barbe cultivateur age de quarante ans demeurant tous les quatre à Cescaux et tous amis......


Marie Gros décéda à Cescau, le 18 décembre 1819.
Acte de décès – Cescau – décembre 1819.
L’an mil huit cent dix neuf et le dix neuvième jour de mois de decembre par devant nous... sont comparus jean tap pline age de quarante deux ans cultivateur domicilié à cescau et françois tap age de quarente ans cultivateur domicilié à Cescau tous deux les plus proches voisins desquels nous ont déclaré que le dix huitieme jour de decembre heure de quatre de matin gros marie agee de soixante ans cultivateur domiciliee à Cescau epouse d’Urbain augistrou est décédée dans sa maison située à Cescau section des Goulades ......
Selon les différents actes concernant Marie Gros, il est noté deux noms pour désigner sa mère : Catherine Dupla et Catherine Castet. N’ayant pas eu sous les yeux son acte de naissance, je n’ai pu résoudre cette énigme.

Quant à Urbain Augistrou, il décéda en 1830, le 5 mars.
Acte de décès – Cescau – mars 1830.
L’an mil huit cent trente le cinquieme jour de mois de mars à l’heure de midi par devant nous ..... sont comparus pierre ferrage dit Sales agé de soixante ans cultivateur domicilié à Cescau et jean tap pline agé de cinquante deux ans cultivateur domicilié à Cescau tous deux voisins d’Urbain augistrou lesquels nous ont declaré que le cinquieme jour de mois de mars heure de onze de matin urbain augistrou cultivateur domicilie à Cescau age de cinquante six ans veuf est decedé le cinquieme jour de mois de mars vers l’heure de onze de matin en sa maison située a cescau section des goulades....
Si on n’a pas compris que le décès a eu lieu le cinquième jour de mars à onze heures du matin, je ne sais pas combien de fois il faudrait que l’employé de mairie le note ...


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Et du côté familial ?

La mère de Blaise Ferrage décéda le 18 septembre 1781.
Elle ne connut donc pas le sort de son second fils, Blaise. Mais elle n’ignora sans doute pas les frasques et crimes de celui-ci, et dut en souffrir.

Acte de sépulture -  Cescau – septembre 1781.
Gabrielle Entras epouse de blazi ferrage dit cap blanc agée d’environ soixante sept ans après avoir reçu les sacrements de penitence et Eucaristie est décédée le dix huit septembre mil sept cens quatre vingt un son corps a été inhumé le dix neuvieme.... ont été presents à la cérémonie joseph arboun genez peyrevidal qui requis de signer ont dit ne savoir......

Le père de Blaise Ferrage, décéda le 25 février 1785.
Acte d’inhumation – Cescau –février 1785.
Blaise ferrage epous de fue Gabrielle antras agé d’environs quatre vingts ans après avoir reçû les sacrements de penitence eucharistie et extrême onction est decedé le vingt cinquieme jour du mois de fevrier mil sept cent quatre vingt cinq et a été inhumé le lendemain dans le cimetiere de l’eglise paroissiale de sescau ont été presents à la ceremonie joseph Arboun et genez peyrevidal habitants de cette paroisse.....

Les deux frères du condamné, Blaise Ferrage, se marièrent et restèrent à Cescau, malgré les évènements.

Joseph épousa Guillaumette Tap (Peyret), le 18 février 1784.

Acte de mariage – Cescau – février 1784.
Joseph ferrage dit cap blanc tisserand fils legitime de Blaize et de fue Gabrielle antran d’une part et Guithelme Tap dites payéat fille légitime de fu Guillaume et d’Anne Tap d’autre part après publication des bans de leur futur mariage..... le dix huit fevrier mil sept cens quatre vingt quatre ont été presents Pierre Peyrevidal genes peyrevidal jo
joseph Arboun jean Dupuy tous de la presante paroisse........


Jean épousa Marie Mole, l’année suivante, le 3 avril 1785.

Acte de mariage – Cescau – avril 1785.
Jean ferrage majeur fils legitime de fu Blaize ferrage et de fue gabrielle Antras d’une part et Marie Mole fille légitime de fu jacques Mole et de fue fabienne Tap d’autre part tous deux de la presante paroisse..... le troisieme jour du mois d’Avril de l’an mil sept cents quatre vingt cinq ont été presents à la ceremonie joseph Arboun Jean Baqueres pierre Mole pierre Castet Bacado habitants de  cette paroisse..............



Une bien triste affaire qui resta longtemps dans les mémoires de la région car, bien des décennies plus tard,  lorsque les enfants n’étaient pas sages, les parents ne les menaçaient pas du « père fouettard », mais d’aller chercher Blaise Ferrage.



Pour écrire cet article j’ai lu et consulter divers documents dont
·         L’anthropophage des Pyrénées - Le procès de Blaise Ferrage, violeur et assassin à la fin du 18e siècle de Jean-Pierre Allinne.
·         Un article de Emile Cartailhac.
·         La Bible du crime de Stephane Bourgoin.

·         Les archives en ligne des différents lieux où se sont déroulés les évènements.

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