mercredi 5 avril 2017

CONSCRIPTION !



Le 17 mars 1830, au matin, sur la place de l’Hôtel de Ville de Besançon, tous les jeunes hommes du canton était réunis pour la conscription.
Jour décisif où certains destins se verraient scellés, à jamais.
La France avait besoin d’un nombre d’hommes, calculé à l’avance, et dans chaque canton, c’était au hasard que revenait le soin de désigner ceux qui serviraient la patrie.
Egalité des chances ? Pas réellement en vérité !
Il y avait autant d’animation que les jours de foire, les jeunes hommes étant, parfois, accompagnés d’un membre de leur famille ou de leur promise, accrochée à leur bras.
Les visages reflétaient les ressentis intérieurs.
Les plus joyeux, ceux qui souhaitaient l’aventure, ou ceux qui, n’ayant plus leur place au foyer paternel étant le  benjamin de la famille, désiraient se trouver une autre voie. A ces derniers, l’armée pouvait offrir une ouverture vers un avenir possible.

Les anxieux, ceux qui savaient que leur enrôlement mettrait la famille en grandes difficultés. Il fallait des bras dans les fermes, et deux en moins, pendant une période de deux à trois années, c’était assurèrent la ruine. Il faudrait embaucher une aide. Et à quel prix !

Le niveau social de cette gente masculine était visible au premier regard, même si ce jour-là, les plus pauvres avaient revêtu leur plus bel habit, celui des fêtes et des cérémonies.
Pas besoin de vous dire que cette réunion annuelle engendrait un trafic bien réglé par des individus très habiles qui,  profitant du désarroi provoquait par la déconvenue du mauvais sort, proposaient, après le tirage des numéros, des solutions, moyennant finances, bien évidemment.
Très physionomistes, ces escrocs (il faut bien appeler un chat, un chat) attendaient leur heure et tel un félin approchant sournoisement leur proie, engageaient, ici et là, la conversation sur des sujets autres que l’objet de la réunion, pour faire connaissance, mettre en confiance.
Le premier sujet, le temps :
« Fait beau, aujourd’hui, pas vrai ? »
Puis, l’assistance, très nombreuse :
« Y a grand mondé aujourd’hui ?
Ou encore, sur un tout autre sujet, tel :
« C’est quand la prochaine foire aux bestiaux ? »

Ne voyez, dans le dernier sujet de conversation, aucune connotation avec le rassemblement de la conscription dont il est question.

Dans l’assemblée, il se trouvait aussi de jeunes hommes au visage aimable et à la tournure avantageuse qui arboraient des sourires édentés. Pas de dents sur le devant des mâchoires étaient l’assurance de ne pas être déclarés « Bon pour le service ».
Alors, il y en avait qui n’hésitait pas à se casser les incisives.
Les seules garanties d’être réformés, sans appel possible, résidaient dans la taille. Hommes mesurant en dessous d’un mètre cinquante. Le poids aussi, hommes trop maigrichons..... Même avec des dents !

Tous avaient reçu une convocation.
Tous devaient répondre à l’appel de leur nom.
Tous devaient plonger leur main dans une urne pour en retirer un papier, plié en quatre, annoté d’un numéro.
Le numéro indiqué avait une valeur de « BON » ou « MAUVAIS ».
« BON », si il était au-dessus du besoin en hommes, « MAUVAIS », s’il se situait en deçà.
Une loterie en quelque sorte qui dégageait des obligatoires militaires, mais qui n’empêchait, nullement, d’être dispensé de l’appel sous les drapeaux en cas de guerre.


Tout se déroulait dans le plus grand silence. Jusqu’au moment où .......

« Jean-François Goy ! »

A l’appel de ce nom, une jeune fille, mince  et blonde, au joli petit minois, à la démarche chaloupée, se présenta avec un sourire timide.
Elle dit être Jeanne-Françoise Goy, née en 1809 et non Jean-François. Il y avait eu, sans aucun doute, un problème au moment de l’enregistrement de son nom et de son sexe.
Elle était une fille et non un garçon.

« Je suis venue pour vous prévenir que je n’avais rien à faire ici ! »

Le président de l’assemblée était perplexe. Dans toute sa carrière il n’avait jamais eu à faire face à une pareille situation.
Jeanne Françoise Goy, se mordillant la lèvre inférieure, attendait, inquiète, la réponse.
Celle-ci ne tarda pas à venir, car, après mûres réflexions, le président de l’assemblée convint que la loi était la loi, et que ce n’était pas à lui de prendre une décision. Il était là pour le tirage au sort, non pour se pencher sur la résolution d’éventuelles erreurs administratives.
Chacun son boulot !

« Peu importe, il faut tirer votre billet. Le conseil de révision prononcera, ensuite, votre réforme, s’il y a lieu. C’est à lui de juger la capacité des jeunes soldats. »

Mademoiselle Jean-François Goy plongea alors sa main dans l’urne et le billet qu’elle retira portant le numéro 25, fit d’elle un nouveau conscrit.
Quel triomphe !!!

Tous ses camarades poussèrent des « Hourras ! », se ruèrent sur elle, la coiffèrent d’un chapeau avec fleurs et rubans et la portèrent en triomphe à travers la ville.
Jamais journée de conscription n’avait été aussi joyeuse......

Pendant que la horde  parcourait bon-enfant les rues de Besançon, s’organisait sur  la place de l’Hôtel de ville une autre pantomime, celle de ces scélérats qui pouvaient délivrer de la contrainte militaire ceux qui souhaitaient en être dispensés.
Ils connaissaient quelqu’un qui avait un ami, qui lui-même était parent d’un homme haut placé....... Ils mettaient en confiance les plus réticents, en déclarant vouloir aider par bonté d’âme....... Ils ne parlaient jamais argent avant d’avoir bien accroché.....
Il y en a, depuis la nuit des temps, qui se sont toujours nourris du malheur des autres !

Mais cela est une autre histoire.

Ecoutons plutôt les cris de joie et les chants de cette classe 1829 qui, grâce à une erreur, quittèrent leur famille avec le sourire.
Je suppose que Mademoiselle Jean-François Goy a été réformée par le conseil de révision.

Une petite question toutefois, si vous permettez ....
Comment a-t-elle prouvée qu’elle n’était pas un garçon qui cherchait tout simplement à être réformé ?


J’ai écrit ce texte,
suite à la lecture d’un article paru
dans le « Journal de Rouen »




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