mardi 12 septembre 2017

HISTOIRE DES CAMPAGNES ......

Si l’if pouvait parler !

Si l’if de la place communale de Saint-Aubin-d‘Ecrosville pouvait parler, il aurait, assurément, bien des choses à conter.
Oui, beaucoup à dire en effet, car cet arbre veille, depuis des décennies, sur les habitants du village, leur apportant les jours de canicules un peu d’ombre et de fraîcheur ; pose un regard bienveillant sur les enfants des écoles toute proches, même si ces petits garnements lui arrachent volontiers  quelques aiguilles ou branches ;  écoute, religieusement, le tintement de la cloche de l’église, ceux joyeux des mariages et baptêmes, ceux respectueux et solennels des adieux aux défunts.

L’if, au centre du village, veille et surveille, attentif !

Dans son immobilité, il frissonne quelquefois devant des évènements tragiques, et parfois aussi, ébroue ses branches face aux situations comiques.
Certains de dire que c’est le vent, mais qui peut l’affirmer ?

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Ce jour-là, l’if de la place de Saint-Aubin-d’Ecrosville frissonnait. La nuit avait enveloppé la commune, et déjà, des habitants étaient endormis. Au-dessus du fait de l’if, un ciel clair, parsemé d’étoiles, annonçait de fortes gelées.
Il y avait eu bal en ce dimanche de février, comme chaque semaine. Le « Bal Thomas », comme on l’appelait, faisait toujours salle comble. On s’y retrouvait pour boire un verre, deux, parfois trois, pour guincher, pour lier connaissance avec quelque béguin entrevu dans le village, espérant par l’entremise d’une danse, trouver le moyen de l’aborder sans l’effaroucher.
Enfin, pour prendre du bon temps, rire et s’amuser,  tout simplement.
Il y avait, parfois, quelques débordements qui se soldaient par une bagarre. Le maitre du lieu, vigilant à éviter la casse, sortait, manu militari, les faiseurs de trouble, leur criant :
« Oust ! Allez régler tout cela dehors ! »

Lorsque l’alcool coule à flot, il échauffe les esprits. Il suffit alors d’un rien, un rire, une réflexion, pour que le conflit éclate.
C’est bien connu, un ivrogne a la « tête près du bonnet » !

Ce soir-là, vers les dix heures et demie, Etienne Honoré Monneaux, accompagné de deux compères, les nommés Hervieux et Angot, avait bien arrosé la journée.
Pas besoin de vous préciser que, tous trois étaient bien imprégnés.

En sortant du « Bal Thomas », la température glaciale  les saisit d’autant plus qu’en raison du taux d’alcool absorbé, ils avaient bien chaud.
« Fais frisquette, les gars ! On va s’en jeter un dernier derrière le gosier ! »

L’idée lancée par Etienne Honoré parut excellente aux deux autres. Aussi, se rendirent-ils au débit de boissons tout proche pour se procurer de l’eau de vie. Ne tenant déjà plus vraiment l’équilibre, ils décidèrent de s’installer sous l’if de la place, pour poursuivre leur soirée de bombance et d’ivresse. Monneaux et Hervieux déposèrent près d’eux leur fusil dont ils ne se séparaient jamais. On ne savait jamais, une mauvaise rencontre......

Les litres d’eau de vie coulaient à flots. Quelles descentes !
Les paroles échangées devenaient de plus en plus inaudibles, tant les bouches se faisaient pâteuses. L’excitation des trois hommes était de plus en plus perceptible. Ils se querellaient pour des riens.
Hervieux roulant à terre fit tomber son fusil que Monneaux ramassa et emporta avec le sien.

Non loin de là, Montreuil, couvreur de paille, observait la scène. C’était un homme de haute taille, aimant faire la démonstration de sa force qui faisait l’admiration.
« Ces trois-là, pensait-il, vont finir par s’entretuer ? Ils sont ben trop saouls pour penser avec raison. »
Voyant Monneaux armé des deux fusils, Montreuil s’attendait au pire, alors, il voulut le désarmer. Oui, mais un homme ivre, n’a plus de raisonnement. Apercevant Montreuil s’approcher de lui, Monneaux posa un des fusils à terre, épaula le second et titubant, hurla :
« N’avance pas, hein ! N’avance pas où j’ te tue ! ».
Puis, sans attendre, Monneaux mit sa menace à exécution et tira. Heureusement, l’ébriété avait rendu la précision du tireur incertaine et la balle se perdit, Dieu sait où !
Furieux, Montreuil se précipita sur le tireur, lui arracha son arme et lui asséna un violent coup de crosse sur le crâne. Monneaux chancela et s’affaissa comme une poupée de chiffon.

Le coup de feu avait dissipé les vapeurs d’alcool dans les cerveaux embrumés de Hervieux et Angot qui, bouche ouverte, regardaient hébétés le corps de Monneaux gisant sous l’if.

Le pauvre Monneaux ne donnait plus signe de vie. Montreuil, le fusil toujours dans les mains, répétait comme une litanie :
« J’ai voulu éviter un malheur. J’ai pas voulu ça, non ...... »

La cause du décès fut, aux premières constatations : « Mort due à une fracture du crâne provoquée par un coup donné avec la crosse d’un fusil. »

Le journal « Gildas », en date du 18 février 1892, parla de l’évènement dans un de ses articles, en ces termes :
Evreux – 16 février
Un meurtre a été commis à Saint-Aubin-d’Ecrosville (Eure). Deux jeunes gens, en sortant d’un café, se sont pris de querelle. Le plus jeune, âgé de vingt ans, nommé Monneaux, a été tué par son adversaire.

Le même article prenait quelques lignes dans le « Journal de Rouen », du 17 février 1892.

Montreuil avait donné la mort, il fut arrêté.
Dans sa cellule, il se reprochait d’être intervenu. Il aurait dû passer son chemin. Après tout, ce n’était pas son affaire.
« Toujours à me mêler des affaires des autres, pensait-il rempli d’amertume. Ça m’apprendra ! Me voilà dans de beaux draps, à présent.»

Une chance pour l’inculpé, une autopsie fut  pratiquée sur le corps du défunt dans les locaux de l’hôpital de Louviers, par le docteur Postel. Les conclusions de cet examen furent formelles :
« Le défunt a succombé à une congestion cérébrale occasionnée par l’abus d’alcool et non en raison de la blessure faite par le coup reçu, celle-ci étant insignifiante. »

Suite au constat médical, innocentant Montreuil, le journal de Rouen, du 18 février, annonçait « la remise en liberté du sieur Montreuil, ainsi que le classement de l’affaire ».

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Si l’if de la place communale de Saint-Aubin-d’Ecrosville pouvait parler, il raconterait cet évènement avec moult détails, précisant notamment que
« Ce quatorzième jour de février de l’an mil huit cent quatre vingt douze était décédé à onze heures du soir, Etienne Horoné Monneaux, fils de Alphonse Zéphir Monneaux et Eugénie Angélina Leblanc, né le cinq avril de l’an mil huit cent soixante quatorze à Saint-Nicolas-de-Bosc ».

Il pourrait aussi préciser que c’était bien triste de mourir à dix-huit ans et que le Monneaux n’était pas un si mauvais bougre........


Si l’if de la place communale de Saint-Aubin-d’Ecrosville pouvait parler...... on ne pourrait plus l’arrêter de conter.........

4 commentaires:

  1. C est tout près de chez vous !
    Cet arbre existe toujours ?

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    1. Oui, bien sûr ! Cet arbre est à côté de l'église !
      Il existe encore beaucoup de ces arbres, plantés à partir de 1792.
      si mon article vous a plu, j'en ai d'autres, parlant des villages autour de Saint-Aubin. De petites nouvelles sur des faits réels que, bien évidemment, je romance un peu, pour les rendre plus attrayants.
      Merci d'avoir pris contact suite à votre lecture.

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  2. Je sens votre joie d avoir trouvé un commentaire.
    Vous avez peut-être deviné qui je suis...
    Avez vous trouvé quelque chose sur ecquetot ?
    Une découverte dans la mare.. ?

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    1. oh que oui, que je suis contente d'avoir des commentaires !
      si j'ai des visites sur mon blog, je n'ai pas beaucoup de commentaires !
      Mais qui êtes vous ? Mystère !
      j'ai d'autres textes dans le cadre de "histoires de villages".
      je n'ai pas encore repêché de cadavre dans la mare d'Ecquetot, mais dans une de la commune de saint-aubin, oui !
      bonne journée !

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