mercredi 4 octobre 2017

HISTOIRE DE VILLAGE - Antirépublicain ou petit farceur ?



Chaque commune procéda, à partir de 1792, à la cérémonie de la « Plantation d’un Arbre de la Liberté ».
Un symbole fort, marquant la libération du peuple des servitudes de « l’Ancien Régime », balayées par la Révolution de 1789.
La liberté, vers un monde meilleur et juste.... Un monde nouveau où tous les hommes seraient égaux en droits........
Cet arbre symbolisait aussi la vie, la force, la puissance.....
Ce fut donc ainsi que le maire d’Ecquetot, ceint de l’écharpe tricolore, flanqué du conseil municipal au grand complet, présida, le 16 germinal an III, la cérémonie devant tous les habitants-citoyens réunis.
Cérémonie solennelle, festive et joyeuse !
Le lendemain, 17 germinal an III, l’ambiance avait pris un tout autre aspect. Non en raison des quelques abus d’absorption d’alcool.... quoique !...., mais parce qu’on venait de découvrir que « l’arbre symbolique » avait subi le pire des outrages pendant la nuit.
En effet, un malveillant, ennemi de la République, à n’en pas douter, avait scié l’arbre à deux pieds de terre, et celui-ci, ayant été jeté sur le côté, reposait, à présent, inutile et vaincu, sur le sol boueux du cimetière où la veille, il se dressait fièrement.
Un scandale pour certains qui s’indignaient.
Une plaisanterie pour d’autres qui riaient sous cape. En ces temps révolutionnaires mouvementés, il valait mieux être prudent.

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Le 27 floréal an IV après-midi, nouvelle cérémonie de la « Plantation de l’Arbre de la Liberté », au même endroit que la précédente.
Tous les habitants-citoyens de la commune étaient présents.

Le citoyen-maire fit un discours éloquent qui commença par :
« On n’abat pas comme ça la République....... »

Oui, mais cinq jours plus tard, le 2 prairial an IV, le citoyen-maire fut prévenu que l’arbre, nouvellement planté, avait subi le même sort que le précédent. Abattu à coups de hache !
« Encore !!! » s’était écrié le citoyen-maire en apprenant la nouvelle. Et il alla, d’un pas ferme, constater les faits de visu.
Il y avait donc dans la commune un mauvais citoyen qu’il fallait, à tout prix, arrêter.

Surtout (cela resta confidentiel quelques jours), que cet individu ne s’attaquait pas uniquement aux « Arbres de la Liberté », il avait dans la nuit précédant la seconde cérémonie de l’Arbre, celle du 26 au 27 floréal, enlevé le marteau de la cloche de l’église.
Au matin du 27 floréal, le citoyen Nicolas Dequatremare, chargé de sonner les annonces des assemblées communales, avait bien été surpris. Il avait eu beau tirer de toutes ses forces sur la corde actionnant la cloche, celle-ci n’avait émis aucun son. Revenu de son étonnement, il avait constaté l’absence du marteau. Il s’était alors précipité à la mairie.
Quelques minutes plus tard, le maire était sur place avec François Dequatremare et Victor Vannier deux des conseillers du conseil municipal.
Il n’y avait aucun doute ! Le marteau avait disparu. Le fait était indéniable !
Le malfrat s’était introduit dans l’église,  soit par une ouverture située sur le côté nord du bâtiment, soit par l’œil de bœuf au dessus de la porte d’entrée.

Cela faisait tout de même trois attentats contre la République en peu de temps.
Il fallait absolument mettre cet homme qui faisait atteinte aux autorités de la commune, sous les verrous !
On n’arrêtait pas, impunément, la République en marche !

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Deux pluviose an VI.
Un nouvel Arbre de la liberté trônait dans le cimetière.
Cette fois-ci, la troisième, ne pouvait être que la bonne et pour officialiser en grandes pompes cette cérémonie, douze fusiliers lancèrent des salves d’armes à feu qui furent accueillies par les chaleureux applaudissements de la population de la commune.

Le mauvais sort devait s’acharner sur la commune d’Ecquetot.
Le lendemain de la troisième cérémonie de la troisième plantation du troisième Arbre de la Liberté, que ne fut pas l’étonnement de Louis Jean Baptiste Paturel, agent, Louis Ambroise Paturel, conseiller  et Jean Allix, capitaine de la Garde Nationale qui, se rendant en la chambre commune d’Ecquetot, d’apercevoir en longeant le mur du cimetière que le troisième Arbre de la Liberté avait, de nouveau, été mis à bas par une main criminelle, la même que précédemment, en toute évidence.
Abattu à coups de hache !
Quel sacrilège !
Les trois hommes ramassèrent le tronc étendu sur le sol et le transportèrent religieusement avec tous les égards et précautions dus à un défunt d’importance et allèrent le déposer dans l’église.
Ils se rendirent ensuite à la maison commune faire leur rapport au citoyen-maire qui faillit s’étrangler de colère.
Ce n’était plus possible !
Mais qui était ce criminel ? Un antirépublicain ou un farceur ?
Qu’importe, présentement, il fallait que cela cesse !
La commune allait être la risée de toute la région !

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Oui, qui pouvait être l’auteur de ces méfaits ?
Il y avait bien ....... Oui, un nommé Antoine Langlois......
Pas méchant, le Toine, comme on l’appelait, mais souvent bien aviné.
Il était vrai qu’au cours des diverses cérémonies, trois en l’occurrence, il avait entonné quelques chansons grivoises, alors que des cantiques patriotiques à la gloire de la Nation, chantés par des voix angéliques s’élevaient vers les cieux.
Cela avait jeté un froid, mais chacun connaissant les débordements excessifs du Toine et ne le sachant pas mauvais bougre, on ne s’était pas plus formalisé que ça !
Là où les soupçons se précisèrent toutefois, c’était qu’on avait vu le Toine, à la fin de chaque cérémonie, entourer l’Arbre de ses bras, dans une étreinte fraternelle et déclarant, haut et fort, d’une voix pâteuse :
« Resteras-tu longtemps, là ? »

Il n’en fallait pas plus pour que tous les soupçons se fixent sur cet homme.
Mais là, à accuser et condamner !

Les désagréments cessèrent à partir de ce jour.
Antoine Langlois fut-il sermonné ? Fut-il menacé ?
Sans doute, car ......

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L’année suivante, une nouvelle, la quatrième, cérémonie eut lieu et l’Arbre de l’an VII tint bon. Il prospéra, même, et devint fort.
Vous en voulez la preuve ?
Et bien, il trône, encore à ce jour, majestueux, non loin de l’église dans l’ancienne enceinte du petit cimetière de la commune qui fut déplacé quelques décennies plus tard.
Alors, maintenant que vous connaissez son histoire, liée à celle de la commune et à celle de notre pays, n’oubliez pas quand vous passerez devant lui, de le contempler, de le saluer.
Il mérite toute votre considération !



J’ai écrit cette nouvelle suite à la lecture
du registre des délibérations du
conseil municipal d’Ecquetot.


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