mardi 14 novembre 2017

HISTOIRE DE VILLAGE - J’attendrai le temps qu’il faut !




Elle était déterminée, Clarisse, peu importaient les commérages des mauvaises gens qui lorgnaient son tour de taille épaissi. Elle ne céderait pas ! Elle élèverait son petit et attendrait son amoureux autant de temps qu’il faudrait. Oui, il reviendrait son Félix. Il lui avait promis !

« Tous des beaux parleurs, tu verras, ma fille ! lui avait dit Marie Victoire Charpentier, sa mère avec une pointe d’ironie devant la naïveté de sa fille. J’ sais tout c’la, va ! C’est toujours la même rengaine ! Et j’ te promets ! Et j’ te promets !......... et rien au bout du compte ! Les gars, ça s’ défilent ! »

Certains soirs, caressant son ventre, Clarisse finissait par douter. Il allait en rencontrer d’autres, c’était certain. Oui, des plus jolies, des plus intelligentes, des plus fortunées. Il allait l’oublier.... Si ce n’était pas déjà fait ! Et elle, naïve et amoureuse, elle resterait, là, toute seule avec son petiot.

Pourtant, ce fut avec fierté, que Clarisse Cavelier[1] alla, comme la loi l’imposait, déclarer, le 11 avril 1854, sa grossesse en mairie, et nomma comme père du petit à venir : « Félix Dupré[2], garçon bourrelier de Saint-Opportune-la-Campagne ».

Mais, le temps qui passait et rien à l’horizon. Pas de Félix, en tout cas !

Lorsque les premières douleurs prévinrent Clarisse que le moment était venu, elle fut prise de panique. Non pas qu’elle craignait les douleurs de l’accouchement, appelées « mal joli », mais de devoir affronter la vie, seule, avec le petit être qui allait arriver. Elle savait que ses parents ne la rejetteraient pas. S’ils avaient dû le faire, c’eut été au début de sa grossesse.
Mais, elle aurait préféré partager les premiers mois de la vie de son enfant avec celui qu’elle aimait et espérait toujours.

«  C’est une fille, et elle a déjà du caractère ! s’écria la matrone en soulevant le nouveau né qui braillait.
-          Une fille, pensa Clarisse qui aurait préféré un garçon pour pouvoir lui donner le prénom de son père. 
-          Et comment elle va s’appeler, cette demoiselle ? se renseigna la matrone avec un large sourire en déposant le nourrisson au creux du bras de sa maman.
-          Alphonsine Félicie.

En ce 1er juin 1854, à huit heures du matin, soit une heure et demi après sa naissance, Florentin Voiturier, le boulanger de Marbeuf qui avait assisté à la naissance, alla présenter la petite Alphonsine Félicie afin que son acte de naissance soit établi. Il était accompagné de Edouard Lefebvre, l’instituteur de la commune et Joseph Moulinet, jardinier de son état, qui tous deux témoignèrent que la mère de la petite était bien Clarisse Cavelier, et que l’enfant était né de père inconnu.

La petite Alphonsine Félicie grandit comme tous les enfants, entre ses grands-parents maternels et entourée de ses cousins et cousines, et de sa maman, blanchisseuse et repasseuse, qui ne manquait pas d’ouvrage et espérait toujours, secrètement un certain retour .....

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     Félix Dupré pensait aussi à Clarisse Cavelier. Mais un garçon, devenu homme, se devait de donner une partie de sa jeunesse à la Patrie. Déclaré « Bon pour le service », il n’y avait aucune dérogation possible sauf pour les plus fortunés, en payant un remplaçant.

Lorsque Félix Dupré revint de l’armée, il finit par apprendre que celle qu’il avait connue, courtisée, et plus encore, à l’automne 1853, avait eu un enfant.
« Rien d’étonnant, pensa-t-il avec une petite pointe d’amertume. Elle a trouvé un galant, et l’a épousé. Et pis, c’est ben d’ ma faute tout ça, j’ lui ai jamais écrit. D’abord, j’sais point trop ces choses-là. »

Mais, les commérages vont vite, vous le savez bien !

Félix apprit que l’enfant était une fille.
Qu’importait, d’ailleurs, à présent !
Et que cette petite avait trois ans.
Calculant, Félix, se sentit trahi. Elle n’avait pas attendu longtemps, la péronnelle, pour se marier !
Que cette petite s’appelait Alphonsine Félicie.
Félicie ! Pourquoi pas ! Simple coïncidence ! Clarisse devait aimer ce prénom.
Mais surtout, que Clarisse Cavelier n’était pas mariée.
Pas mariée ! Cette dernière information balaya toutes les précédentes.
Alors, Félix Dupré se mit à compter sur ses doigts. Oui ! Jusqu’à neuf !
Serait-ce possible que cette petite fille soit de lui ?

Il en parla à sa mère, Rose Marguerite Duprey, qui avait déjà été mise au courant, par la rumeur, bien évidemment.

« Et si c’était, l’ mien ?
-          Va pas t’ mett’ ça en tête ! Tu sais, les filles......
-          Pas elle !
-          Elle comme les autres. Faut pas s’ fier aux filles, j’ peux te l’ dire ! Tu vas point t’embarrasser d’ ça ! Y’ a combien d’ chance qui soit d’un aut’, l’ gosse ? J’ va te l’ dire. Des tas !
-          Elle est point comme ça. J’ veux savoir !
-          Elle comm’ les autres ! J’ t’aurai prévenu, mon gars !

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Félix Dupré fit le déplacement jusqu’à Marbeuf. Il voulait savoir.
Si l’enfant était le sien, il était de son devoir de le reconnaitre, de l’élever et d’épouser sa mère.

Dans la cour de la masure du père Cavelier, jouait une petite fille. Une bien jolie petite fille.
Félix, caché derrière une haie, observait la gamine, cherchant une ressemblance quelconque avec lui. Enfin, un petit quelque chose qui pourrait lui  donner la certitude qu’il attendait, qu’il espérait. Mais il était trop loin. Et puis,  il était un homme, et les petits ce n’était pas son affaire. Un enfant ressemblait à tous les enfants. Enfin, il le croyait.

La porte de la masure s’ouvrit et apparut Clarisse portant un panier de linge. A cette apparition, bien qu’ayant un fort désir de se précipiter vers la jeune femme, afin de la serrer dans ses bras, Félix recula. Il ne souhaitait pas être surpris à espionner de la sorte.
Clarisse s’approcha de sa fille, se pencha sur elle et déposa un baiser sur ses cheveux, avant de s’éloigner avec un geste de la main. Félix regardait la scène, le cœur battant et débordant d’amour, mais il se ressaisit et s’éloigna à grands pas.

Félix avait besoin de faire le point. Ses sentiments n’avaient pas changé. Il en était certain à présent.  En revanche, quels étaient ceux de Clarisse envers lui ?
Sa fuite ne lui apporterait pas de réponse. Si il voulait savoir ce qu’il en était, il se devait d’affronter la vérité, quelle qu’elle soit. Il revint alors sur ses pas, se demandant comment aborder la jeune femme.
Que lui dire, après toute cette longue absence ?
Qu’il s’était souvenu d’elle, comme cela, en se levant ce matin, et qu’il était venu prendre de ses nouvelles ?
Non ! Il fallait qu’il dise la vérité.
Et cette vérité, c’était qu’il n’avait jamais cessé de penser à elle et que libéré après des mois sous les drapeaux, il avait appris.......

Il n’eut pas besoin de phrases, non, car tout à ses pensées, il se sentit observé. Levant les yeux, à quelques mètres de lui, il la vit, elle, immobile, incrédule, les yeux écarquillés. Leurs regards se croisèrent.
Clarice lâcha alors le panier qu’elle portait et se précipita vers Félix qui ouvrit les bras pour la recevoir. A ce moment, tous les doutes, toutes les suspicions s’envolèrent.

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En ce 30 octobre 1858, le maire de Marbeuf unit en mariage Félix Dupré, bourrelier, âgé de vingt-six ans et Clarice Cavelier, blanchisseuse, vingt-six ans également. Présente au mariage de ses parents, Félicie fut reconnue par ceux-ci. Elle perdit le nom de Cavelier pour prendre celui de Dupré. Mais peu lui importait !

Lorsque le nouveau couple sortit le l’église, les cloches n’avaient jamais sonné aussi joyeusement. Clarice, au bras de son époux redressait la tête, fièrement. Elle pensait aux réflexions désobligeantes qu’elle avait entendues pendant les quatre années passées.
Cette union, la faisant maintenant, Clarice Cavelier, femme Dupré, clouait le bec à bien des commères. Bien fait !
Mais en ce jour tant attendu, Clarice oublia vite toutes les humiliations subies. Devant elle, s’ouvrait une nouvelle vie et elle voulait en profiter pleinement.

Malgré cette fin heureuse, et peut-être justement en raison de celle-ci, on chuchota encore des méchancetés. C’est ainsi, le bonheur des autres attise toujours des jalousies !
Toutefois, certains pensaient en regardant les jeunes mariés :
« Un brave et honnête garçon, ce Félix ! »

Oui, un brave garçon...... A moins que ne ce soit ça, l’amour.
Mais, « chut ! », les gens honnêtes ne parlent pas de ces choses-là !




J’ai trouvé dans les registres de Marbeuf,
la déclaration de grossesse de Clarisse.

Puis, dans les actes d’Etat Civil,
le mariage de cette jeune femme, avec,
justement, celui qu’elle avait désigné comme
le père de l’enfant à venir.

 Et ce jour-là, ils reconnurent l’un et l’autre leur petite Félicie.

J’ai donc reconstruit leur histoire,
Avec l’envie d’être un peu « fleur bleue », pour une fois !



[1] On trouve aussi « Gavelier » sur les actes.
[2] On trouvé aussi « Duprey » sur les actes.

2 commentaires:

  1. Vous avez peut-être loupé une carrière de généalogiste....
    Il est toujours tant ;)

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  2. c'est amusant de se faufiler dans la vie des autres !
    Mais là a en faire un job ?????

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