mardi 26 décembre 2017

LE PETIT RAMONEUR



Jacques, âgé de  dix ans, gardait les chèvres toute la journée. Sa besogne n’était pas aisée, car il devait partir de bon matin, juste après la traite,  puis mener paître le petit troupeau de cinq bêtes dans des herbages près du ruisseau où il devait redoubler de vigilance afin qu’aucune ne s’éloigne. En fin d’après-midi, les chèvres repues d’herbe tendre, les mamelles lourdes, il les ramenait à la bergerie pour la traite du soir.
Et ceci, sept jours par semaine.
Il avait pour le seconder, Gardien, un bon chien de berger, aide précieuse lorsque le jeune garçon s’assoupissait en début d’après-midi ou lorsqu’il coupait quelque roseau pour en faire un flûtiau.
Il aimait cette vie au grand air et ne demandait rien d’autre. 

A la maison, sa mère confectionnait des fromages qu’elle vendait au marché de la ville et son père, en plus de quelques tâches journalières dans diverses fermes des environs, cultivait un lopin de mauvaise terre qui donnait de quoi vivre chichement.

Une vie rude, mais dans son foyer, il faisait bon vivre car, il se sentait protégé par ses parents.

Cette année-là, après un hiver glacial et fort long, retardant les labours et les semailles, des pluies diluviennes recouvrirent les champs. Les moissons dans toute la contrée ne permirent pas, à la plupart des fermiers, de payer taxes et impôts et encore moins de se nourrir.
Les herbages détrempés  ne purent fournir l’herbe nécessaire aux chèvres qui donnèrent moins de lait.
L’humidité pénétrait tout, les chaumières, les dépendances, les réserves, et même le cœur des hommes.
Le regard de la maman de Jacques était teinté d’inquiétudes. Quant à son papa, il marchait le dos voûté malgré son jeune âge comme s’il portait une charge invisible trop lourde pour lui.
Dans la cheminée, les bûches qui ne pouvaient sécher craquaient moins joyeusement,  respectant ainsi l’ambiance chagrine et quand le jeune garçon allait au lit, le froid des draps moites l’angoissait. Pourtant, ses parents se faisaient rassurants, mais leur pâle sourire, leurs joues creuses et leur regard cerné confirmaient une situation tragique.
Ce soir-là de début d’automne, alors que la pénombre avait envahi pâtures et chemins, Jacques revenait vers la masure paternelle, menant ses cinq chèvres. A quelques mètres de la bâtisse, la fenêtre faiblement éclairée le rassura et il pressa le pas impatient de retrouver les siens.
Après avoir barré la porte de la bergerie, non sans avoir auparavant  remis un peu de foin frais sur le sol de terre battue, il courut vers la porte du logis et l’ouvrit en hâte. 

Son étonnement fut immense de découvrir attablé devant son père, un homme aux cheveux gris et hirsutes et au visage antipathique.
Sa mère, elle, ne se retourna pas, à son arrivée, comme à l’accoutumée ; elle restait figée face à la cheminée.
« Voilà Jacques, mon fils », fit le père d’une voix presque inaudible.
L’étranger dévisagea le petit berger.
« Pas bien costaud, marmonna-t-il. Enfin, il vaut mieux qu’il soit maigrichon. »
Après cette réflexion, il se leva et se tournant vers le pauvre père lança en lui tendant la main :
« Tope là, c’est entendu ! Je lui ferai son apprentissage. »
Il fouilla dans sa poche et en sortit quelques pièces qu’il posa sur la table.
« Voilà ce qui est convenu. Je le nourris, je le loge, je lui apprends un métier. Il aura le droit de garder les piécettes qu’il recevra dans les grandes maisons. J’entame avec lui ma tournée et l’an prochain,  au début de l’été, je repasserai et vous donnerai la même somme. Le gamin pourra rester quelques jours avec vous, pour les moissons. Cela vous donnera deux bras de plus. »

Les jambes de Jacques se mirent à trembler. Il venait de comprendre qu’il était l’objet de ce marché. Ses parents venaient de le vendre à cet horrible bonhomme qui aurait main sur son avenir. Lui apprendre un métier ? Quel métier ?  N’était-il pas bien ici ?
Sa gorge se noua. Ses yeux le piquèrent. Quelques grosses  larmes roulèrent sur ses joues. Il se sentait trahi.
Son père, la tête baissée, semblait atterré.
Cherchant secours, il regarda sa mère qui toujours de dos, était secouée de sanglots.
Soudain, elle se retourna, le visage inondé de larmes. C’était le signe que l’enfant attendait. Elle allait le défendre, empêcher cet homme de l’emmener.
Jacques s’élança vers elle, mais une main ferme l’attrapa par l’épaule, l’arrêtant net dans son élan.
« Allons jeune homme, une affaire conclue est une affaire conclue ! »

Sans autre commentaire, il l’entraîna dehors sur le chemin allant au village et la nuit se referma sur eux, glaciale.

......... à suivre.......

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