lundi 29 janvier 2018

CONTE POUR LES ENFANTS SAGES...... ET LES AUTRES

Vengeance de sorcière
chapitre 2

Dans le petit village, non loin de là, tous les habitants avaient fermé portes et volets et s’apprêtaient à passer une nuit qui s’annonçait, assurément fort agitée, en raison de la tempête qui faisait rage.
En mouchant les chandelles,  ils espéraient que le lendemain serait plus clément, afin qu’ils puissent se rendre à la foire dans la ville voisine.
Les enfants, sous leur mince couverture, dans le noir des logis, écoutaient siffler le vent et se déverser la pluie en averses diluviennes.
Malgré leur angoisse occasionnée par le déchaînement des éléments, ils rêvaient à la fête du lendemain et aux sucres d’orge ou bonshommes en pain d’épice, promis par leurs parents.
Et puis, quelles attractions leur seraient proposées ? Un montreur d’ours assurément, un cracheur de feu évidemment, des comédiens jouant, minant, chantant  sur une estrade dressée à cet effet et encore bien d’autres curiosités, sans oublier la diseuse de bonne aventure tant prisée par les jeunes filles rêvant d’épouser un prince.
Les enfants du village ne parlaient plus que de cela depuis quelques jours. Oui, mais dans les conversations, était aussi évoqué le fait de traverser la forêt dans laquelle une vieille femme habitait, et que chacun nommait, en baissant la voix pour ne pas s’attirer le mauvais sort, la sorcière !

Tous les enfants en avaient une peur bleue, celle qui prenait au ventre et qui paralysait certains, les clouant sur place, comme si soudain des racines leur étaient poussées sous les pieds et s’étaient ancrées profond dans le sol ou qui faisait détaler certains autres comme des petits lapins pourchassés par le renard, à une vitesse telle qu’on aurait pu croire que des ailes leur étaient sorties à la place des omoplates.
Mais il faut bien avouer que leur frayeur était réellement justifiée, car lorsque la vieille femme entendait jacasser sur le chemin, rire et crier aussi, elle entrait dans une fureur excessive, sortant de sa cabane en rondins de bois en criant et tapant avec une louche sur un poêlon.
Une apparition cauchemardesque !
Les plus hardis se sauvaient, certes, mais pas sans avoir nargué la pauvre vieille, entonnant une chanson de leur invention, chanson qui disait :

La, la, la, la sorcière !
Qui croit nous effrayer
En frappant sur sa soupière
Avec son manche à balai !

Cette comptine achevée, ils se carapataient en riant.
Bien sûr, ce petit couplet, n’arrangeait en rien la mauvaise humeur de la vieille.

Les parents mettaient pourtant en garde leurs rejetons de ne pas s’approcher trop près du logis de cette vieille femme, et de ne pas la provoquer avec leur chansonnette, car tous savaient, depuis fort longtemps, qu’elle n’aimait pas, ou plutôt qu’elle détestait les enfants, sans pour autant savoir pourquoi.
La raison avait, peut-être, était connue, mais personne ne s’en souvenait plus à présent.
D’ailleurs, cette vieille femme, dite la sorcière, savait-elle pourquoi elle haïssait les enfants ? Pas sûr !
Il y avait longtemps, de cela, elle avait décrété :
« Je n’aime pas les enfants ! Ils font trop de bruits ! Ils sont impolis ! Ils me tapent sur les nerfs ! »
De la même manière qu’elle avait décrété également, en regardant, navrée, son potager en friches :
« Je n’aime pas les légumes ! Les haricots me font penser à de grosses chenilles ! Les carottes à des limaces gluantes ! Les choux-fleurs à de la bave d’escargots mousseuse ! »

Aussi, ne mangeait-elle jamais de légumes.


Petit à petit, elle s’était éloignée du village et s’était installée dans la forêt où elle trouvait à se nourrir en ramassant des champignons, cueillant diverses baies et capturant, grâce à des pièges confectionnés par ses soins, de petits gibiers. Elle connaissait aussi une multitude de plantes avec lesquelles elle confectionnait baumes et remèdes qu’elle cédait contre quelques œufs ou un broc de lait, car elle avait acquis une grande renommée de guérisseuse. Certains,  peu courtois, ne disaient pas « guérisseuse », mais « sorcière », tout comme ils ne disaient pas « remèdes », mais « envoûtements ». Mais, il y a toujours de mauvaises langues ! Les personnes étaient accueillies dans la cabane de rondins de bois, à une seule et unique condition, qu’elles ne soient pas accompagnées d’enfants.

jeudi 25 janvier 2018

Attendrez-vous les fêtes de fin d’année 2018, pour faire la bringue ?



« Bringue » ?
Orthographié « bringe », vers 1609, puis « bringue » en 1611, est un mot originel de la Suisse romande.
A cette époque, il était employé au sens de « brinder », c'est-à-dire « toaster » (porter un toast), mais avec l’obligation de boire, et cela d’une manière immodérée.
Cet excès de boisson, avec vision désastreuse de fête excessive, voire beuverie, donna très vite à ce mot la notion de « débauche ».

L’expression « faire la bringue », toujours usitée de nos jours, n’implique plus cette notion de débauche, mais uniquement celle de « faire la fête ».
Mais, il y a toujours des dérapages, alors, attention !
« Un verre, ça va. Deux verres, bonjour les dégâts. »


J’ai évoqué, plus haut, le mot « brinder » qui, en 1554, signifiait « porter un toast à quelqu’un. »
Depuis 1740, environ, ce verbe n’était plus utilisé....... sauf dans le langage familier, en 1835, dans : « Etre dans les brindes », entendez par là, « être ivre ».

Ce qui est amusant, enfin, c’est mon point de vue, c’est que de « brinder » découle le mot argotique, (autant utilisé comme nom ou adjectif), « brindezingue ».
Il est apparu vers 1756, formé de « brinde » avec l’idée persistante de « saoul » et de « zingue », qui est vraisemblablement la déformation populaire de « zinc », le comptoir du marchand de vin.
« Etre dans les brindezingues », (1756), devenu « être brindezingue » plus d’un siècle plus tard, c’est, en fait, être « complètement bourré », à ne plus tenir debout.

Mais, l’ivresse, envahissant les esprits, fait très souvent perdre toute contenance aux ivrognes.
Agressifs quand ils ont le vin mauvais ou tristement amusants lorsque la gaieté les envahit,  « être brindezingue », par extension, a revêtu la notion de « un peu fou ».

Petite précision :
Je vous l’accorde, je suis un peu brindezingue, mais cet état n’est nullement dû à une consommation régulière et immodérée de boissons alcoolisées!
Non ! Promis juré !

C’est un état naturel et constant, sans aucun doute d’origine génétique ! 

HISTOIRE DE VILLAGE - Colzas dans les prés, fleurissent, fleurissent..........




En ce dimanche 9 mai 1847, Pierre Louis Berrier, adjoint au maire, était de permanence.
Dehors, il faisait bon, le soleil commençait à donner de la force. Le printemps s’annonçait clément.
Une journée où il aurait fait bon prendre un peu de temps. Profiter, comme on disait.
Mais voilà, il y a des jours comme cela où rien ne va et la journée de repos de l’adjoint allait prendre rapidement fin.

Vers les dix heures du matin, en effet, le sieur Daufrene le garde-champêtre de Marbeuf, fit irruption sans la maison commune.
« J’ vins vous voir, parc’ que cette nuit, il a été coupé grande quantité de pieds de colza sur la commune de Marbeuf.
-          Et en quoi, cela regarde la commune de Saint-Aubin ? questionna Pierre Louis Berrier.
-          C’est qu’ j’ai été prév’nu par le propriétaire du champ, le sieur Delphin Charpentier.
-          Et alors ! soupira l’adjoint, je ne vois toujours pas !
-          Quand il est v’nu m’ voir, j’ suis allé constater avec lui. Et, à l’endroit du champ, au triège de la Garenne, on a suivi des traces que les malfaiteurs ont laissées.
-          Et ces traces, elles menaient où ?
-          Bah, justement, elles se dirigeaient vers vot’ commune. Alors, comme c’est point mon secteur, j’ suis v’nu vous voir !
-          Nous y voilà, pensa l’adjoint en se levant, faut y aller !

Ce fut donc accompagné du sieur Daufrene, garde-champêtre de Marbeuf  et du sieur Thomas Vaugeon, garde-champêtre de Saint-Aubin-d’Ecrosville  que Pierre Louis Berrier dut se résigner à abandonner sa journée paisible pour suivre les traces des malfaiteurs qui les menèrent tout doit vers le logis de Jean Pierre Morel.

Les trois hommes furent accueillis par l’épouse du sieur Morel, Joséphine Deboos, qui se trouvait dans sa cour, en plein milieu de laquelle se dressait un tas de fumier fraîchement retiré de l’étable et dans lequel se trouvaient quelques feuilles de colza déjà fanées, justement.

Après les présentations, l’adjoint au maire demanda :
«  Pouvons-nous parler à Jean Pierre Morel ?
-          C’est qu’il est point là !
-          Alors, nous serait-il possible de visiter votre étable à vaches, ainsi que le bâtiment qui se trouve à côté ?
-          Et pourquoi donc ?
-          Il y a eu un vol de colza, cette nuit et nous.......
-          Ce s’rait-i’ pas que vous m’ traitez d’ voleuse ! s’exclama la femme d’une voix revêche.
-          Une simple visite des lieux permettrait d’ôter tout soupçon, expliqua l’adjoint.
-          J’ai pas la clef ! déclara Joséphine Deboos.
-          Nous vous prions d’aller la chercher !
-          J’ veux ben, mais elle est perdue, alors.......

La femme Morel alla quérir la clef, mais bien évidemment, celle-ci fut déclarée introuvable, puisque précédemment déclarée perdue, soi-disant.

Peu importait d’ailleurs car les murs des bâtiments, mal joints sous le toit, permettaient d’y accéder, sans passer par la porte.
Il suffit au garde-champêtre de Saint-Aubin-d’Ecrosville, seul habilité à intervenir sur la commune, après être monté sur une botte de paille, de se hisser en haut du mur, de se faufiler, avec toutefois quelques difficultés, dans l’interstice entre haut du mur et toit, avant de se laisser glisser sur le sol à l’intérieur du lieu.
Dans la place, il ne lui fut pas difficile de trouver une vingtaine de pieds de colza, tout fleuris. Après ce constat, le garde-champêtre, revenu dans la cour en employant la même méthode, revint vers le groupe, muni d’un pied de colza, et demanda à Joséphine Deboos qui semblait de plus en plus nerveuse.

« Où est votre mari ?
-          A c’ qu’i’ m’a dit, il est à Criquebeuf-sur-Seine.
-          Il revient quand ?
-          Est-ce que j’ sais moi ! C’est qu’i’ m’dit pas tout !
-          Et ce colza, dans votre remise, il provient d’où ?
-          C’est à nous, pardi ! On en récolte un peu sur les terres.
-          Où exactement ?

Désignant une direction d’un geste vague de la main, Joséphine Deboos répondit :
« Est-ce que j’ sais moi, par-là ! Et puis, c’est l’affaire de mon homme tout ça. J’ai ma besogne moi, et j’ai assez à faire. J’ prends pas l’ travail des autres !

La nervosité de la femme Morel allait crescendo. Elle triturait le coin de son tablier, ne sachant que dire, que faire, regardant de droite et de gauche si elle ne pouvait obtenir secours. On ne savait jamais, son homme pouvait rentrer plus tôt.

Mais le sieur Daufrene qui avait l’œil, et il fallait l’avoir quand on était garde-champêtre, affirma reconnaitre le pied de colza comme provenant du champ qui avait été dépouillé.
Aussi, solennel, montrant toute son autorité, il déclara :
« Au nom de la loi, je vous dresse procès et vous somme de vous trouver demain à huit heures du matin, accompagnée de votre mari, devant monsieur le maire de Marbeuf, afin que tout cela soit consigné. »

Un procès ! Comme il y allait, cet homme !

Mal. Elle se sentait mal, la pauvre femme. Prête à défaillir.
Aussi, comme faute avouée et à moitié pardonnée, disait-on, elle s’exclama :
«  Bah oui, c’est mon homme qui a pris le colza. Oh ! pas volé, ça pour sûr. C’était pas pour le r’vendre. C’était pour nourrir les lapins ! Vous savez, ça mangent ces petites bêtes-là ! »

-=-=-=-=-=-=-=-

Y-a-t-il eu procès ?
L’affaire s’arrangea-t-elle à l’amiable ?
Le couple a-t-il quitté la commune juste après ce « vol » ?

Ce que je peux vous affirmer, c’est que :

Jean Pierre Morel naquit à Criquebeuf-sur-Seine, le 20 juin 1802.
Il s’unit en mariage à Félix (on trouve Félice également) Joséphine Deboos, le 23 février 1827, à Saint-Aubin-d’Ecrosville, commune où la jeune fille avait vu le jour, le 23 août 1808.

Le jeune couple alla s’installer à Criquebeuf-sur-Seine où naquirent la quasi-totalité de leurs enfants jusqu’en 1839, année de la dernière naissance dans cette commune.
Leur dernier fils lui, arriva au foyer de ses parents, à Saint-Aubin-d’Ecrosville, en septembre 1851.
Le couple Morel/Deboos s’y installa donc entre 1839 et 1847, date de l’évènement raconté plus haut.
Nous le retrouvons à Criquebeuf-sur-Seine, en 1870, le 7 septembre, date du décès de Jean-Pierre Morel. Mais je suppose qu’il s’y était installé bien avant.

Aucune information sur la disparition de Félix Joséphine, survenue après celle de son mari.



Saint-Aubin-d’Ecrosville, 9 mai 1847, encore un fait divers,
recueilli dans les registres de la communes.
Un « emprunt de colza » pour engraisser des lapins !


lundi 22 janvier 2018

CONTE POUR LES ENFANTS SAGES...... ET LES AUTRES

Vengeance de sorcière
Chapitre 1


Dans la pénombre d’une sombre cabane en rondins de bois, au toit de mousse et de branchages, en cette fin d’après-midi automnale, régnait une atmosphère mystérieuse et oppressante. Dans la cheminée où brûlait un bon feu aux flammes rougeoyantes, bouillonnait, dans un gros chaudron, une mixture qui dégageait une odeur nauséabonde.
La pluie fouettait les quatre petits carreaux de la seule fenêtre qui, faute de nettoyage n’avaient aucune chance de laisser passer la moindre clarté.
La porte en bois vermoulu tressautait à la moindre rafale de vent en émettant des gémissements douloureux. Allait-elle résister encore longtemps aux assauts venteux ?
Au milieu de la pièce, une table encombrée de bols, saladiers et d’ingrédients de toute sorte, recevait la faible lumière d’une grosse lampe qui, accrochée à une poutre, se balançait à chaque coup de vent, et sa flamme, vacillante, projetait sur les murs recouverts d’étagères, des ombres étranges et inquiétantes.
Un lit, tout au fond de cette unique pièce, et deux tabourets complétaient le pauvre mobilier posé à même le sol de terre battue.

Mais qui habitait cette étrange demeure ?
Qui cuisinait, dans le chaudron, cette soupe bouillonnante sur la surface de laquelle venait éclater de grosses bulles ?
Qui, en effet, car le lieu semblait inoccupé ? Aucun bruit à l’exception de celui de la pluie sur les carreaux, du grincement de la porte et des craquements du feu.
Aucun ? Pas réellement, car à bien écouter, on pouvait percevoir des pas feutrés et puis aussi quelques bruits de vaisselle.
Alors ?
En regardant bien, il était possible de percevoir une ombre qui se déplaçait. Il y avait donc bien quelqu’un qui se mouvait dans le lieu avec des gestes précis et réfléchis, et ce quelqu’un, à bien observer, était une vieille femme, et c’était elle qui confectionnait cet étrange breuvage. Avec minutie, elle dosait, soupesait avec application, tout en murmurant, sans doute, quelques incantations magiques, prenant garde à ne pas se tromper dans la confection de sa recette, recette ancestrale qu’elle tenait de sa mère qui elle-même la tenait aussi de sa mère et ainsi de suite …..

Une voix nasillarde se fit alors entendre :
« Ah ! Ah ! Je crois que j’y suis. Il ne manque plus qu’une once de ce produit et tout sera parfait ! »

Puis, un bol à la main, la vieille femme s’approcha de l’âtre, versa le contenu du récipient dans le chaudron et mélangea le liquide fumant avec délicatesse.

Sur le toit de la masure, la cheminée crachait une fumée sombre, que le vent rabattait selon son caprice.
La nuit s’était installée dans la forêt alentour et dans la maison en rondins de bois, l’habitante, satisfaite du résultat de  son travail, s’apprêtait à se mettre au lit.


mercredi 17 janvier 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Il y a des gens méchants, tout de même !



« Canaille ! Voleur ! Tous que vous êtes ! Vous les conseillers municipaux, vous mérit’rez d’être brûlés ! ».

Tout en racontant le harcèlement verbal dont il était la cible, Amable Désiré Buffet, propriétaire à Phipou, rouge comme une pivoine, avait monté le ton en répétant les paroles de son agresseur.
Le maire de Saint-Aubin-d’Ecrosville l’écoutait patiemment et attendait que le calme revint pour poser des questions à celui qui, devant lui, venait porter plainte, en ce 29 novembre 1846.
Mais, celui-ci était intarissable :
« Et puis, c’est point la première fois, ça j’vous promets ! T’nez, en juillet dernier. J’étais point là, alors, il a dit haut et fort à tout l’ quartier qu’ j’étais une canaille et pis un voleur ! C’est plus possible ça !..... Moi, j’vous dis ! Et j’ pourrais vous dire encore que l’ quatre novembre, ça, j’m’en souviens encore, pardi, il est v’nu m’ trouvé, l’animal, pour m’ lancer qu’ j’étais une canaille. Je l’ vois encore, d’vant moi, menaçant, arrogant, qui hurlait : « Toi, canaille, tu mérit’rais être brûlé et si j’ craignais plus la justice que toi, y a longtemps que j’ t’aurais cassé la gueule !! ».
En prononçant cette dernière phrase, le sieur Buffet s’était levé, face au maire, et d’un poing rageur, levé vers le plafond, avait théâtralement interprété la scène avec éloquence, hurlant, soufflant, avant de se laisser choir sur la chaise placée derrière lui, anéanti.
Quelle prestation !
A coup sûr sur une scène parisienne, il aurait remporté un franc succès, animé  d’applaudissements redoublés.
Puis, reprenant son souffle, il sortit de sa poche un large mouchoir à carreaux avec lequel il s’épongea le visage avant de le remettre en place.

Le maire qui s’était légèrement reculé devant l’agitation du plaignant expliquant avec force les scènes dont il avait été victime, craignant quelques débordements, se rapprocha de son bureau. Et, dans le calme revenu, il osa, prudemment, poser quelques questions.
Oui, il était prudent, monsieur le maire, ne voulant pas déchaîner de nouveau le flux verbal et tonitruant de Amable Désiré Buffet.

« Je ne mets nullement votre parole en doute, commença-t-il, car je connais Théodule Joseph Auzoux pour être un homme impulsif et sanguin, mais.......
-          Manqu’rait plus qu’ vous traitiez de menteur, à c’t’ heure ! le coupa le sieur Buffet.
-          Loin de ma pensée, répliqua le maire qui redoutait du plaignant une nouvelle envolée verbale et gestuelle, mais vous comprenez qu’il me faut des  preuves, pour affirmer vos dires. Avez-vous des témoins ?
-          Nous y v’la ! On m’croit point. Mais des témoins, comme vous dites, j’en ai plein !
-          Parfait ! Alors, qui sont-ils ?
Le sieur Buffet déclina l’identité de ceux qui, présents aux divers moments des faits, pourraient les confirmer.

Ceux-ci allaient donc pouvoir être entendus, auditionnés, et ça tombait bien, car l’un d’entre eux était présent, justement.
Il s’agissait de Adélaïde Goujou, sans profession, mais tout de même bien occupée, puisque en plus de son ménage, elle cultivait son potager et prenait soin de sa basse-cour.
Impressionnée devant le maire qui à ses yeux était un haut personnage possédant tous les pouvoirs, elle conta d’une voix ferme qu’en effet, elle avait vu et entendu :
«  Ça, j’peux l’ jurer. Ça s’est passé y a quatre ans, en automne, vers les cinq heures du soir ou à peu près, j’ai entendu l’ Théodule, l’ mari à la Rose, qui disait bien des méchanc’tés au Désiré. On pouvait que l’entendre, d’ailleurs, parc’ qu’il hurlait. Et il en a d’ la voix le Théodule !
-          Et que disait-il, Théodule Auzoux ? demanda le maire qui voulait en finir au plus vite avec cette déposition.
-          Bah ! Il criait : « Tu mérit’rais être brûlé et si j’ craignais plus la justice que toi, i’ y a longtemps que j’ t’aurais cassé la gueule !! ».
-          Vous êtes formelle, il s’agissait  bien de Théodule Auzoux ?
-          J’ l’ai vu comme j’ vous vois, ça pour sûr. J’étais dans ma cour, et je m’ suis avancée, pour voir après qui il en avait l’ Théodule !
-          Et c’était bien après Amable Désiré Buffet ?
-          Comme j’ vous l’dis ! confirma Adélaïde Goujou.


Le second témoin, Benoit Colin, journalier, vint déposer son témoignage après sa journée de travail. Il voulait bien aider la justice, mais pas au point de perdre le salaire d’une journée. D’autant plus que le dit Benoit Colin demeurait à Ecquetot.
Devant monsieur le maire de Saint-Aubin-d’Ecrosville, il confirma la déposition de Adélaïde Goujou.

Le dernier témoin, Joséphine Lelarge dut demander à son maitre, le sieur Védie, propriétaire à Phipou, à s’absenter pour se rendre au bourg. S’agissant d’une « affaire de justice », la permission fut accordée.
Joséphine Lelarge, âgée de vingt-deux ans, native de Barquet dans l’Eure, était domestique depuis son plus jeune âge.
Petite, menue, elle avait le regard droit et franc. Il ne fallait pas lui en conter. Quand elle avait quelque chose à dire, elle ne s’en gênait pas !
Elle déclara, qu’en effet, le quatre de ce mois de novembre, elle avait entendu le sieur Théodule Auzoux menacer le sieur Buffet.
« Pouvez-vous dire à quel endroit s’est déroulée la scène ? questionna le maire.
-          A Phipou, non loin de mon domicile. J’étais avec le Désiré. On arrachait des pommes de terre dans l’ champ. C’est l’ Théodule qu’ est v’nu nous voir. J’ai pas tout entendu, car l’ Théodule m’a m’nacée, alors j’ suis partie chercher l’Adélaïde. ça criait ! ça criait ! une vraie furie l’ Théodule !
La plainte fut enregistrée, bien entendu, comme beaucoup d’autres du même type.
Quand quelque chose n’allait pas, les mécontents en venaient, malheureusement, trop souvent aux insultes, voire aux violences.

Je suis navrée de constater que, presque deux siècles plus tard, cela n’a pas réellement changé !

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Les 10 propriétaires les plus fortunés de la commune, ceux qui par conséquent étaient les plus imposés, participaient aux délibérations municipales lorsqu’il y avait des décisions importantes à prendre.
Cela entrainait donc des contestations et notamment provenant de ceux qui se sentaient mis à l’écart et défavorisés par les décisions prises en conseil.

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Concernant cette plainte :
Qui étaient-ils ?........

Buffet Aimable Désiré naquit à Saint-Aubin-D’Ecrosville, le 17 germinal an 9.
De son mariage avec Emilie Letourneur, il eut, entre autres, un fils Aimable Augustin qui, à l’âge de vingt-cinq ans, épousa la fille d’un autre gros propriétaire à Phipou, Désirée Adèle Vedie.
Ce genre d’alliance permettait d’agrandir le patrimoine.

Colin Jacques Benoit, témoin, journalier ouvrier de ferme, ayant aussi exercé comme cantonnier, décéda à Ecquetot le 20 août 1889, commune où il était né le 11 juillet 1808.
Il était veuf de Marie Anasthasie Dequatremare, décédée le 21 octobre 1886.
Leur mariage avait été célébré, le 14 avril 1831.

Lelarge Joséphine, témoin, célibataire au  jour de la plainte, se maria à Barquet, sa ville natale, le 3 juillet 1855, avec Dubosc Louis Armand qui décéda le 16 décembre 1899.
Fille de Monique Lelarge, née le 4 mars 1823 de père inconnue, Joséphine Lelarge quitta ce monde, le 16 décembre 1899.

Joseph Théodule Auzoux vit le jour à Saint-Aubin-d’Ecrosville le 5 novembre 1815. Il s’y maria le 21 mai 1839 avec Rose Arsène Signol.
Le 11 janvier 1871, son acte de décès mentionne que Joseph Théodule était marchand de vaches.

Saint-Aubin-d’Ecosville, 29 novembre 1846.
Les registres de délibération renferment, décidément,

une richesse de moments de vies.

lundi 15 janvier 2018

LE PETIT RAMONEUR - Chapitre 4


Le soleil prenait de la force. Dehors, les fleurs s’épanouissaient.
Jacques, installé confortablement sur une chaise longue dans le jardin, avait fait ses premiers pas la veille, soutenu par deux béquilles.
Il se sentait bien, à présent.

Il avait appris que Louise était la fille de Monsieur et Madame Blowmerry. Monsieur Blowmerry, riche industriel, avait implanté, quelques années auparavant, une usine dans la région.
Louise avait un petit frère, Jules et une petite sœur, Suzon, qui avait fait ses premiers pas, elle aussi, la veille, en même temps que Jacques, ce qui avait suscité des fous rires en cascade.

Lorsque le temps des cerises arriva, Jacques grimpa, sans aucune aide, cueillir celles, les plus rouges, tout là-haut à la cime de l’arbre.

Que la vie était douce et paisible !
Oui, mais, Jacques pensait sans cesse à ses parents.
Que devenaient-ils ?
Il n’en avait pas parlé à ses bienfaiteurs, ne voulant pas les gêner. Ils avaient tant fait pour lui. Ils lui avaient même permis d’étudier avec Louise, devant le regard vigilant de la gouvernante. Il connaissait ses lettres à présent et savait même écrire son prénom.


Cet après-midi de juillet, alors qu’il regardait, songeur, l’immensité du ciel azuré, Madame Blowmerry s’approcha de lui :
« Alors, mon petit Jacques, tu as l’air bien songeur ? Aurais-tu un souci ?
Ne voulant pas vexer Madame Blowmerry, Jacques répondit par la négative.

« Ne mens pas, je vois bien que tu as souvent l’air triste. Parle-moi de toi ? D’où viens-tu ? »

Alors Jacques raconta, raconta...
Ses chèvres, les champs, le ruisseau, son bon chien Gardien, et puis, et puis….
La masure, les fromages ……
Et encore ….
La vitalité et la force de papa, le sourire et la tendresse de maman, la chaleur de ce foyer aimé et aimant…
Et pour finir, la mauvaise saison, la tristesse du visage de ses parents et la venue de Léon …..

Madame Blowmerry écoutait, sans dire un mot, le flux ininterrompu de paroles. Les vannes du chagrin étaient ouvertes et une inondation de bons et mauvais souvenirs entremêlés avait tout recouvert.

« Pourquoi ? finit par hurler Jacques, en point final.

Madame Blowmerry soupira et attira le petit berger contre elle. La douceur du parfum de Madame Blowmerry calma le jeune garçon.
 Tout en lui caressa les cheveux, la jeune femme se fit rassurante :

« Vois-tu, Jacques, tes parents ont cru bien faire. Ils ont voulu te sortir de la misère en croyant aux belles paroles de cet escroc, sans comprendre que tu aurais préféré être malheureux avec eux, plutôt que loin d’eux. Je crois qu’ils doivent être désespérés. »

Puis se levant d’un bond, elle lança :
« Viens avec moi, nous allons leur écrire et tu signeras en bas de la page. »



Dehors de gros flocons voletaient et la neige recouvrait déjà tout le jardin.
Dans la cheminée du salon, devant l’âtre où brûlait un bon feu, les enfants jouaient. Il y avait là, Louise, Jules et Suzon, mais aussi Jacques.
Monsieur Blowmerry assis dans un confortable fauteuil fumait sa pipe en lisant un journal. A côté de lui, Madame Blowmerry contemplait les enfants, le sourire aux lèvres. Derrière elle, trônait un immense sapin de Noël identique à celui de l’année précédente.
Une servante entra et annonça d’une voix cristalline :
« Le repas est prêt, Madame. »

Jacques leva les yeux vers la servante au regard pétillant de bonheur et lui adressa un large sourire.
N’était-ce pas sa mère, là, devant lui, engagée au service de la famille Blowmerry, depuis deux mois ?




La vie de Jacques avait repris son cours, calme et tranquille entre la famille Blowmerry qui l’avait accueilli comme un nouvel enfant et ses parents au service  de cette même famille.
Rassuré sur son avenir et celui des siens, la peur qui tenaillait Jacques depuis de nombreux mois avait disparu.


Ce Noël-là, fut le plus merveilleux que Jacques vécût, celui du bonheur retrouvé.