mercredi 17 janvier 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Il y a des gens méchants, tout de même !



« Canaille ! Voleur ! Tous que vous êtes ! Vous les conseillers municipaux, vous mérit’rez d’être brûlés ! ».

Tout en racontant le harcèlement verbal dont il était la cible, Amable Désiré Buffet, propriétaire à Phipou, rouge comme une pivoine, avait monté le ton en répétant les paroles de son agresseur.
Le maire de Saint-Aubin-d’Ecrosville l’écoutait patiemment et attendait que le calme revint pour poser des questions à celui qui, devant lui, venait porter plainte, en ce 29 novembre 1846.
Mais, celui-ci était intarissable :
« Et puis, c’est point la première fois, ça j’vous promets ! T’nez, en juillet dernier. J’étais point là, alors, il a dit haut et fort à tout l’ quartier qu’ j’étais une canaille et pis un voleur ! C’est plus possible ça !..... Moi, j’vous dis ! Et j’ pourrais vous dire encore que l’ quatre novembre, ça, j’m’en souviens encore, pardi, il est v’nu m’ trouvé, l’animal, pour m’ lancer qu’ j’étais une canaille. Je l’ vois encore, d’vant moi, menaçant, arrogant, qui hurlait : « Toi, canaille, tu mérit’rais être brûlé et si j’ craignais plus la justice que toi, y a longtemps que j’ t’aurais cassé la gueule !! ».
En prononçant cette dernière phrase, le sieur Buffet s’était levé, face au maire, et d’un poing rageur, levé vers le plafond, avait théâtralement interprété la scène avec éloquence, hurlant, soufflant, avant de se laisser choir sur la chaise placée derrière lui, anéanti.
Quelle prestation !
A coup sûr sur une scène parisienne, il aurait remporté un franc succès, animé  d’applaudissements redoublés.
Puis, reprenant son souffle, il sortit de sa poche un large mouchoir à carreaux avec lequel il s’épongea le visage avant de le remettre en place.

Le maire qui s’était légèrement reculé devant l’agitation du plaignant expliquant avec force les scènes dont il avait été victime, craignant quelques débordements, se rapprocha de son bureau. Et, dans le calme revenu, il osa, prudemment, poser quelques questions.
Oui, il était prudent, monsieur le maire, ne voulant pas déchaîner de nouveau le flux verbal et tonitruant de Amable Désiré Buffet.

« Je ne mets nullement votre parole en doute, commença-t-il, car je connais Théodule Joseph Auzoux pour être un homme impulsif et sanguin, mais.......
-          Manqu’rait plus qu’ vous traitiez de menteur, à c’t’ heure ! le coupa le sieur Buffet.
-          Loin de ma pensée, répliqua le maire qui redoutait du plaignant une nouvelle envolée verbale et gestuelle, mais vous comprenez qu’il me faut des  preuves, pour affirmer vos dires. Avez-vous des témoins ?
-          Nous y v’la ! On m’croit point. Mais des témoins, comme vous dites, j’en ai plein !
-          Parfait ! Alors, qui sont-ils ?
Le sieur Buffet déclina l’identité de ceux qui, présents aux divers moments des faits, pourraient les confirmer.

Ceux-ci allaient donc pouvoir être entendus, auditionnés, et ça tombait bien, car l’un d’entre eux était présent, justement.
Il s’agissait de Adélaïde Goujou, sans profession, mais tout de même bien occupée, puisque en plus de son ménage, elle cultivait son potager et prenait soin de sa basse-cour.
Impressionnée devant le maire qui à ses yeux était un haut personnage possédant tous les pouvoirs, elle conta d’une voix ferme qu’en effet, elle avait vu et entendu :
«  Ça, j’peux l’ jurer. Ça s’est passé y a quatre ans, en automne, vers les cinq heures du soir ou à peu près, j’ai entendu l’ Théodule, l’ mari à la Rose, qui disait bien des méchanc’tés au Désiré. On pouvait que l’entendre, d’ailleurs, parc’ qu’il hurlait. Et il en a d’ la voix le Théodule !
-          Et que disait-il, Théodule Auzoux ? demanda le maire qui voulait en finir au plus vite avec cette déposition.
-          Bah ! Il criait : « Tu mérit’rais être brûlé et si j’ craignais plus la justice que toi, i’ y a longtemps que j’ t’aurais cassé la gueule !! ».
-          Vous êtes formelle, il s’agissait  bien de Théodule Auzoux ?
-          J’ l’ai vu comme j’ vous vois, ça pour sûr. J’étais dans ma cour, et je m’ suis avancée, pour voir après qui il en avait l’ Théodule !
-          Et c’était bien après Amable Désiré Buffet ?
-          Comme j’ vous l’dis ! confirma Adélaïde Goujou.


Le second témoin, Benoit Colin, journalier, vint déposer son témoignage après sa journée de travail. Il voulait bien aider la justice, mais pas au point de perdre le salaire d’une journée. D’autant plus que le dit Benoit Colin demeurait à Ecquetot.
Devant monsieur le maire de Saint-Aubin-d’Ecrosville, il confirma la déposition de Adélaïde Goujou.

Le dernier témoin, Joséphine Lelarge dut demander à son maitre, le sieur Védie, propriétaire à Phipou, à s’absenter pour se rendre au bourg. S’agissant d’une « affaire de justice », la permission fut accordée.
Joséphine Lelarge, âgée de vingt-deux ans, native de Barquet dans l’Eure, était domestique depuis son plus jeune âge.
Petite, menue, elle avait le regard droit et franc. Il ne fallait pas lui en conter. Quand elle avait quelque chose à dire, elle ne s’en gênait pas !
Elle déclara, qu’en effet, le quatre de ce mois de novembre, elle avait entendu le sieur Théodule Auzoux menacer le sieur Buffet.
« Pouvez-vous dire à quel endroit s’est déroulée la scène ? questionna le maire.
-          A Phipou, non loin de mon domicile. J’étais avec le Désiré. On arrachait des pommes de terre dans l’ champ. C’est l’ Théodule qu’ est v’nu nous voir. J’ai pas tout entendu, car l’ Théodule m’a m’nacée, alors j’ suis partie chercher l’Adélaïde. ça criait ! ça criait ! une vraie furie l’ Théodule !
La plainte fut enregistrée, bien entendu, comme beaucoup d’autres du même type.
Quand quelque chose n’allait pas, les mécontents en venaient, malheureusement, trop souvent aux insultes, voire aux violences.

Je suis navrée de constater que, presque deux siècles plus tard, cela n’a pas réellement changé !

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Les 10 propriétaires les plus fortunés de la commune, ceux qui par conséquent étaient les plus imposés, participaient aux délibérations municipales lorsqu’il y avait des décisions importantes à prendre.
Cela entrainait donc des contestations et notamment provenant de ceux qui se sentaient mis à l’écart et défavorisés par les décisions prises en conseil.

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Concernant cette plainte :
Qui étaient-ils ?........

Buffet Aimable Désiré naquit à Saint-Aubin-D’Ecrosville, le 17 germinal an 9.
De son mariage avec Emilie Letourneur, il eut, entre autres, un fils Aimable Augustin qui, à l’âge de vingt-cinq ans, épousa la fille d’un autre gros propriétaire à Phipou, Désirée Adèle Vedie.
Ce genre d’alliance permettait d’agrandir le patrimoine.

Colin Jacques Benoit, témoin, journalier ouvrier de ferme, ayant aussi exercé comme cantonnier, décéda à Ecquetot le 20 août 1889, commune où il était né le 11 juillet 1808.
Il était veuf de Marie Anasthasie Dequatremare, décédée le 21 octobre 1886.
Leur mariage avait été célébré, le 14 avril 1831.

Lelarge Joséphine, témoin, célibataire au  jour de la plainte, se maria à Barquet, sa ville natale, le 3 juillet 1855, avec Dubosc Louis Armand qui décéda le 16 décembre 1899.
Fille de Monique Lelarge, née le 4 mars 1823 de père inconnue, Joséphine Lelarge quitta ce monde, le 16 décembre 1899.

Joseph Théodule Auzoux vit le jour à Saint-Aubin-d’Ecrosville le 5 novembre 1815. Il s’y maria le 21 mai 1839 avec Rose Arsène Signol.
Le 11 janvier 1871, son acte de décès mentionne que Joseph Théodule était marchand de vaches.

Saint-Aubin-d’Ecosville, 29 novembre 1846.
Les registres de délibération renferment, décidément,

une richesse de moments de vies.

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