lundi 26 février 2018

HISTOIRE POUR LES ENFANTS SAGES..... ET LES AUTRES

vengeance de sorcière

Chapitre 6


Le lendemain, ce fut un étrange cortège qui prit le chemin de la cabane en rondins de bois que de derrière les petits carreaux de sa fenêtre, nettoyés pour la circonstance, la vieille femme observait avec un large sourire, un vrai sourire, sans méchanceté celui-là, un sourire presque attendri. Elle ne sortit pas sur le pas de sa porte, non, elle attendit d’entendre frapper timidement. Elle mit même un peu de temps avant de répondre. En ouvrant la porte, elle prit son air renfrogné, ce qui fit reculer les enfants.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle d’une voix revêche, peu engageante.

La petite citrouille s’avança, prenant la parole au nom de tous :
« Nous voulions …
-          Oui, vous vouliez quoi ?
-          Nous voulions vous demander pardon pour nos méchancetés…
-          Oui, on n’a pas été bien malins, renchérit le poireau.
-          Oui, on a bien mérité cette punition, poursuivit la tomate.
-          On ne recommencera plus. Promis ! lança le haricot vert avec un large sourire.

Difficile de rester insensible devant tous ces repentirs.

« Bon, je vous pardonne, dit la vieille femme et pour vous prouver que je ne vous en veux pas, je vous ai préparé de bonnes galettes….
-          Non ! hurlèrent tous les légumes d’une même voix.
-          Comment, non ? demanda la vieille femme.
-          C’est que, répondit d’une petite voix la citrouille, si c’est pour être transformés en autre chose …..

La vieille femme éclata de rire, d’un rire franc et joyeux, avant d’ajouter :
« Bon, comme vous voulez, mais à vous de choisir. Voulez-vous redevenir de petits enfants ?
Parce que, dans ce cas, les galettes peuvent aider à la métamorphose. »

Ce fut ainsi que les légumes se ruèrent sur le plat de galettes, les dévorant à pleines dents.

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Depuis ce jour, la vieille femme ne fut plus jamais appelée « la sorcière », mais « Grand-mère ». Les enfants n’eurent plus peur de passer sur le chemin à proximité de la cabane en rondins de bois et surtout, ils ne se moquèrent plus jamais d’elle avec cette chanson dont ils oublièrent très vite les paroles.
Quelques-uns d’entre eux vinrent même l’aider à cultiver son potager qui devint le plus prospère  de tout le village.

Et ce qui fut le plus étonnant, ce fut que la vieille femme se mit à confectionner de bons potages onctueux qu’elle savourait le soir auprès de sa cheminée et qu’elle partageait souvent avec les enfants-jardiniers.  Oui, oui, elle affectionnait les légumes ! En potage, en purée, à la vapeur…….

-=-=-=-=-=-

Longtemps, bien longtemps après, les habitants qui avaient entendu parler de cette vieille femme aux pouvoirs extraordinaires  et de ses bonbons magiques, mésaventure transmise de génération en génération, menaçaient encore les enfants désobéissants,  irrespectueux, coléreux et que sais-je encore, de « la sorcière de la cabane en rondins de bois ».
Leurs ancêtres n’avaient-ils pas subi ses mauvais sortilèges ?

Le calme revenait alors un temps….. Un court temps, car les enfants, friands de nouvelles aventures et se croyant des super-héros, enchaînaient expériences sur expériences qui, malheureusement, se terminaient en « bêtises » du point de vue des parents.
Alors ?
Alors, pour être pardonné, ils faisaient ce que leurs ancêtres avaient fait :
Profil bas, bien sûr, et surtout prononçant les mots magiques : « On est désolés ! On ne recommencera plus !…… »



mercredi 21 février 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Maltraitances

 Saint-Aubin-d'Ecrosville  -  Maltraitances


« Y va comment l’ Mathurin ?
-          Pas fort, ça pour sûr !
-          Va tout d’ même pas passer ?
-          Va savoir ! Faut attendre qui dit l’ docteur. I doit savoir, lui.
-          C’est point facile, tout ça !
-          Faut faire avec, pardi. Heureusement qu’ j’ai la p’tiote !


Marie Louise Monique Bourdon, sur le chemin menant au bourg, avait rencontré une voisine qui, de suite, s’inquiéta de la santé du mari de Marie Louise Monique qu’elle savait mal en point.
Une maladie qui clouait au lit le pauvre homme depuis plusieurs semaines, privant ainsi la commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville de son maréchal-ferrant.

La p’tiote dont Marie Louise Monique Bourdon avait mentionné l’aide précieuse, dans sa conversation, n’était autre qu’une gamine qu’elle avait dû prendre pour l’aider en raison de la maladie de son époux.
Une gamine bien dégourdie et efficace dans les travaux ménagers, malgré son jeune âge.

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En ce 14 février 1842, après une nuit de veillée funèbre auprès du corps de Mathurin Aubin Bourdon qui venait de succomber après une longue agonie, dans la même église où trente-deux ans plus tôt chacun se réjouissait de son union avec Marie Louise Monique Bourdon, les cloches tintaient bien tristement.
Autour de Marie Louise Monique, veuve à présent, ce n’était que visages atterrés et hochements de têtes affligés.
« Un brave homme, le Mathurin !
-          C’ sont les meilleurs qui partent les premiers !
-          Il est soulagé, à c’ t’ heure !

Que de condescendances !

Après l’église, le cimetière où, en raison du froid, le prêtre précipita un peu la cérémonie.
Puis chacun repartit vaquer à ses occupations.
La vie continuait, pas vrai ?
Chagrin ou pas, il fallait aller de l’avant.

En chemin, les hommes s’arrêtèrent boire un coup au débit de boissons, histoire de se réchauffer et lever le coude à la mémoire du défunt (boire à sa santé, en ce jour de deuil, aurait été déplacé) qui en fonction du nombre de verres absorbés n’était plus, pour certains, réellement mort.
C’était ainsi !
Le mot de la fin étant : « On y pass’ra tous un jour. Pas vrai ? Alors, faut en profiter avant ! »

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La vie reprit, en effet.
Les années passèrent : naissances, mariage, décès.
Comme on disait : « La roue tourne ! »

Marie Louise Monique Bourdon, devenue veuve Bourdon, avait gardé auprès d’elle la p’tiote qui avait grandi, bien évidemment.
De ce fait, on ne l’appelait plus « la p’tiote », mais par son nom, Vitaline Lelièvre.
Vitaline participait à la vie de la maison.
Même si elle n’était que domestique, elle s’entendait bien avec sa maitresse, l’accompagnant partout, au marché vendre les produits de la petite ferme et,  tout comme, elle filait le soir au coin du feu, pour améliorer l’ordinaire.

Elles partageaient tout, les travaux, les recettes et les moments de détente.

Si bien qu’un jour, Vitaline s’installa dans une partie de la maison y apportant des meubles qu’elle avait acquis et signant avec sa maîtresse un bail d’occupation, lui donnant des droits mais aussi des obligations, chez le notaire de Daubeuf-la-Campagne, afin que tout soit en règle.

Elles s’entendaient donc bien. « Trop bien ! » murmurait-on autour d’elles.
Mais vous savez, comme moi, que les gens sont suspicieux.
Il était vrai que la veuve Bourdon avait des biens et chacun pensait que Vitaline avait des vues sur ces biens-là.

En effet, ce bail conforta peu à peu Vitaline dans ses droits. Elle ne pouvait plus être jetée à la rue. Aussi, prit-elle peu à peu de l’ascendant sur sa maitresse, régentant tout à sa façon, allant jusqu’à refuser de donner les soins que nécessitait le grand âge de celle-ci.
Les voisins avaient, plus d’une fois, entendu des éclats de voix, aussi étaient-ils aux aguets.

A présent, âgée et diminuée, la pauvre Marie Louise Monique finissait par craindre sa servante, aussi souvent, très souvent, trop souvent, ne répliquait-elle pas, acceptant son sort.
Pourtant, elle aurait bien voulu, Marie Louise Monique, que cette Vitaline parte de sa maison.

Lorsque la veuve Bourdon se plaignait, Vitaline lui répliquait :
« Vous savez bin que j’ suis chez moi à c’ t’ heure, d’puis qu’on a signé chez l’ notaire. Vous pouvez point m’ renvoyer ! »

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En ce début de matinée du lundi 16 juin 1863, la servante déclara :
«  J’ vas faire une soupe au lait pour c’ midi. Nous en mang’rons tout’ les deux, précisant toutefois, sans y mettre de l’eau !
-          Quelle bonne idée, répondit Marie Louise Monique, heureuse de voir Vitaline dans de meilleures dispositions qu’à l’accoutumée.

Oui, mais, ce que vit alors la veuve Bourdon lui souleva le cœur.
Avant de se mettre à préparer la soupe, Vitaline se moucha avec les doigts. Marie Louise Monique la regarda faire, tout en prenant un couteau afin de couper de petits morceaux de pain qui devaient servir à tremper la soupe.
« Tu vas t’ laver les mains, Je ne veux pas manger tes saletés !  lui dit-elle alors.

Que se passa-t-il dans la tête de Vitaline, suite à cette remarque, voyant sa maîtresse avec le couteau ?
Eut-elle peur que sa maîtresse se serve de ce couteau pour l’agresser ?
Ce qui était sûr, c’était que devançant ce qu’elle pressentait comme un geste agressif, elle se rua sur la vieille dame et lui arracha, sans ménagement, le couteau des mains, lui entaillant fortement l’auriculaire gauche.
Voyant le sang couler, Marie Louise Monique, craignant pour sa vie se mit à hurler :
«  Au secours ! Au secours ! Au voleur ! A l’assassin ! »

Quelle alarme !

La porte de la maison étant grande ouverte sur la cour, les voisins qui se trouvaient tout proches se précipitèrent pour porter secours.
Il y avait là, les sieurs François Levif, Pierre Désiré Beaucousin, Louis Médard Bréant et Louis Désiré Bréant qui aperçurent en arrivant sur les lieux, Vitaline Lelièvre trainant sa maîtresse hors de la maison et aussitôt celle-ci dehors, claquant la porte et s’enfermant à l’intérieur du logis.
Les quatre hommes réconfortèrent la vieille dame et enveloppèrent son doigt dans un linge. Ensuite, ils lui conseillèrent :
« Faut aller porter plainte ! »

Marie Louise Monique refusa tout d’abord, mais devant les arguments de ses sauveurs, elle accepta de se rendre à la mairie, à la condition qu’ils l’accompagnent.

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En mairie de Saint-Aubin-d’Ecrosville, le maire, Augustin Taurin, prit la déposition de la plaignante.
Il avait déjà eu  vent de ce qui se passait et, bien sûr, ne fut pas étonné de ce que Marie Louise Monique lui racontait, car elle lui en raconta, Marie Louise Monique, qui une fois lancée, débita tout ce qu’elle avait sur le cœur, tout ce qu’elle avait subi depuis des mois et des mois.

« C’est qu’elle m’enferme dans ma chambre pour aller Dieu sait où, pendant des heures..... sans rien..... toute seule..... »

Et puis aussi, il y a deux ans, lorsqu’elle avait acheté aux héritiers Letailleur une pièce de terre.
« Avec mes jambes malades, c’est qu’ j’ peux plus marcher, pardi. Alors, j’ai envoyé la Vitaline à ma place chez l’ notaire à Daubeuf. Deux cent vingt-cinq francs, que j’y ai remis. Une somme pour sûr ! Une somme qui d’vait payer la terre. Et bien, c’est qu’elle y est allée chez l’notaire, mais l’acte, c’était pas à mon nom qu’il était, mais au sien. C’est quand j’ai r’çu les papiers qu’ j’ai vu qu’elle m’avait volée ! »


Les quatre voisins y allèrent aussi de leurs témoignages.
Même le maire se souvint qu’il y a environ six mois, le nommé Adolphe Billon était venu le chercher chez lui, le pressant de venir au domicile de la veuve Bourdon, celle-ci étant dehors, sa domestique l’ayant jetée hors de la maison avant de se barricader à l’intérieur.
La pauvre Marie Louise Monique avait dû se réfugier chez son beau-frère, le Modeste Bourdon, qui logeait tout près.
Le maire avait alors essayé de raisonner la domestique qui, comme toujours, s’était rebellée, jurant ses grands dieux qu’elle était dans son droit et incriminant sa maîtresse :
« C’est moi, la maltraitée ! » hurlait-elle. 

L’affaire s’apaisa et les deux femmes s’étant rabibochées, continuèrent à vivre ensemble.
Mais, visiblement leur mésentente n’avait pas cessé et cette mésentente consistait en une succession ininterrompue de petites tracasseries au quotidien, tracasseries qui, mises bout à bout, minaient leur vie commune.

Il fallait à tout prix trouver une solution.


Après cette déposition, le maire convoqua la domestique, Vitaline Lelièvre.
Il voulait entendre la version de la partie adverse, sachant toutefois que les témoignages recueillis n’étaient pas en sa faveur.

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Assise devant le maire, Vitaline Lelièvre se tenait sur ses gardes. Le visage fermé, elle triturait le coin de son tablier, attendant que le maire lançât, le premier, les offensives.
Mais, rien !
Aucune parole ne sortait de la bouche du représentant de la commune qui observait la     domestique, face à lui.
Ce fut Vitaline qui prit l’initiative de rompre le silence.
«  Bon ! C’est point l’ tout, mais j’ai d’ l’ouvrage, alors, c’est pourquoi que j’ suis là ?
Aucune réponse de monsieur le maire.
« C’est la Louise ? Pas vrai ? Elle est v’nue baver sur mon compte ?

Toujours aucun commentaire de Monsieur le maire.
« Moi, j’ sais c’ qu’elle veut, la Louise ? Me j’ter à la rue ! Voilà, c’ qu’elle veut ! Mais j’ suis chez moi ! Elle peut point ! Elle a signé chez l’ notaire !

Monsieur le maire, adossé à son fauteuil, n’avait toujours pas émis une parole, ni bougé ne serait-ce que le petit doigt. Il attendait.
Oui, il attendait le moment où il allait pouvoir trouver la faille pour mettre Vitaline Lelièvre en défaut. Celle-ci semblait d’ailleurs de plus en plus mal à l’aise face au mutisme et au regard fixe de l’homme qui, tout compte fait, représentait un peu la loi dans cette commune.
« Et pis, les autres, là, les voisins, ils ont dû en dire aussi des ment’ries, hein ? Mais, c’est qui la connaissent point la Louise, ça c’est certain ! C’est qu’elle en dit aussi des ment’ries, elle, et pis elle, on la croit ! J’ai rin fait d’ mal, moi ! Rin ! J’suis dans mon droit........

Monsieur le maire venait de poser ses avant-bras sur son bureau, et les mains jointes, fixait toujours Vitaline avec intensité. Puis, s’entend le moment propice, dit posément :
«  Je ne cherche pas les responsables, mais un moyen de mettre fin à toutes vos querelles. Il faut trouver un compromis. D’abord, je vais vous donner lecture de la plainte de Marie Louise Monique Bourdon, veuve Bourdon, dont les nommés François Levif, Pierre Désiré Beaucousin, Louis Médard Bréant et Louis Désiré Bréant, voisins de celle-ci ont confirmé l’authenticité.

Augustin Taurin lut lentement la plainte, tout en scrutant les réactions de la domestique qui se tortillait un tantinet sur sa chaise.
Ayant achevé, il reposa sur le bureau le feuillet qu’il tenait dans ses mains et attendit quelques instants avant de  prendre à nouveau la parole.
« Contestez-vous cette déposition ?
-          Pour sûr ! lança Vitaline. Que des ment’ ries !
-          Il y a eu pourtant des témoins. Moi-même, je suis venu, vous vous en souvenez ?
-          La Louise, elle m’avait poussée à bout !
-          Et ce qui s’est passé hier, avec le couteau ? Vous l’avez blessée, n’est-ce pas ?
-          J’ voulais juste lui r’prendre l’ couteau. Elle v’nait de m’en donner un coup, dans les reins.
-          Vous n’avez pas mentionné cette blessure. Si c’est le cas, il faut la faire constater par un médecin.

Vitaline ne répondit pas, et pour cause, il n’y avait pas eu de blessure.

« Il y a plus grave, Vitaline, poursuivit le maire, l’acte d’achat du terrain que vous avez fait mettre à votre nom. Cela s’appelle un vol.
-          Oh que non ! J’ savais ben que l’ terrain était à elle. C’était pour éviter d’ payer des frais quand elle s’rait morte ! Comme ça, c’était déjà à mon nom.
-          Devant une cour de justice, vous risquez le bagne pour cela.
-          Le bagne !
-          Pensez-y, Vitaline. Si la veuve Bourdon, votre maîtresse, vous mène en justice, vous n’aurez pas gain de cause. Alors, je vous propose de régler tout cela calmement et intelligemment, sans y mêler la justice.
-          Vous m’emmêlez la cervelle. Ça veut dire quoi tout ça ?
-          Vous prenez vos affaires, vos meubles et vous quittez la maison de la veuve Bourdon, et cela immédiatement. Si vous en êtes d’accord, ce qui serait la meilleure des choses, pour vous bien entendu, le bail sera annulé et vous n’aurez plus aucune obligation envers votre maîtresse.
-          Et moi, là-dedans, où j’ vas aller ?
-          Nous vous trouverons un endroit pour vous installer provisoirement, puis vous quitterez la ville.

Vitaline Lelièvre accepta.
Elle n’avait d’ailleurs, étant donné les accusations contre elle, d’autre choix.
Quelque temps après, elle quitta Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Pour quelle destination ?
Ça, c’est une autre histoire !


Marie Louise Monique Bourdon, veuve Bourdon, décéda peu de temps après, le 12 mai 1864, dans sa maison. Elle était âgée de quatre-vingt-trois ans.



Une plainte découverte dans un des registres de
Saint-Aubin-d’Ecrosville,
en date du lundi 8 juin 1863.
Un fait divers comme je les aime tant, car permettant
de décrire un épisode de la vie de cette époque d’une manière cocasse,

bien que la situation ne le soit pas vraiment.

lundi 19 février 2018

CONTE POUR LES ENFANTS SAGES..... ET LES AUTRES

Vengeance de sorcière
Chapitre 5

Mais, ni le temps, ni les litres d’eau bénite ne firent rien à l’affaire, car huit jours après, les enfants étaient toujours en « l’état de légumes ».
Trop, c’en était trop !

Une mère, exaspérée par cette situation, lança :
« Si ça continue, ils vont finir par prendre racine ! Moi, je vais voir cette sorcière et on verra bien qui aura le dernier mot ! »

Il n’y eut, d’ailleurs, ni de premier ni de dernier mot, car après avoir effectué le trajet, au pas de charge, jusqu’à la cabane en rondins de bois, la femme, dont la colère s’était amplifié tout au long du trajet, trouva un papier cloué sur la porte :

« Inutile de me déranger, les enfants, et eux seuls, détiennent  la solution ! »

Alors, elle laissa se déchaîner son courroux sur la pauvre porte qui n’y était pour rien,  tambourinant des deux poings en poussant des hurlements de sauvage. Mais la porte ne céda pas. N’avait-elle pas récemment résisté aux assauts violents du vent ?


Cette pauvre femme de retour au village raconta son épopée, en oubliant tout de même d’évoquer ses hurlements et ses coups-de-poing.

« Que veut dire ce texte ? » se demandèrent les parents.

Puis ils posèrent la question aux enfants qui ne comprirent pas plus la signification du message.
Les nerfs commençaient à craquer côté enfants, mais aussi côté parents.
Que voulait la sorcière ?
Quelle vérité était censée connaître les enfants pour que cet envoûtement s’envole ?

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Il advint, tout à fait par hasard, que la citrouille encombrée par son embonpoint fit chuter une chaise. Dans la petite église où tous les enfants-légumes étaient rassemblés, le bruit résonna comme si les cloches avaient été lancées à toute volée.
Confuse, la citrouille, lorsque le calme revint, s’excusa timidement :
« Je suis désolée, je ne l’ai pas fait exprès. »

A ce moment, tous se regardèrent. N’était-ce pas ce que voulait la vieille femme, avoir des excuses pour le comportement désagréable des enfants, pour cette comptine aux mots blessants, pour les pieds-de-nez ?

« C’est vrai qu’on n’est pas super gentils avec elle, dit le haricot vert
-          Si on ne peut pas rigoler ! lança la carotte
-          Tu serais contente, toi, si tout le temps, on se moquait de toi, suggéra le poireau

Et ainsi de suite, chaque enfant donna son avis.
Il était vrai que tout cela n’était qu’une farce faite par des chenapans, mais une farce qui sur le long terme avait pu, et tous en étaient conscients maintenant, faire beaucoup de chagrin à cette vieille femme.

« Ça coûte rien d’aller la voir et lui faire nos excuses.
-          Oui, mais faire des excuses veut aussi dire ne pas recommencer !
-          Comment on va s’amuser maintenant, si on ne peut plus embêter la sorcière ?


Cette dernière réflexion déclencha l’hilarité générale.

mercredi 14 février 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Vol de poules à Ecquetot !

Histoire de poules

« Mais voyons, Euphrasie, s’écria le maire, une poule ressemble à toutes les autres poules ! Comment pouvez-vous affirmer que ce sont les vôtres ?
-          Parc’ que j’ les ai r’connues, voilà tout ! D’puis l’ temps que j’ les nourris. Et puis, vous, derrière vot’ bureau, qu’est-ce que vous savez des poules, hein ?

Le maire d’Ecquetot, ne voulant pas mécontenter la plaignante, déjà fort énervée par les évènements, marqua un silence, puis répondit :
« Soit, passons ! Je vais noter que vous avez reconnu trois poules, mises en vente sur le marché d’Elbeuf, comme vous appartenant.

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Pour bien comprendre cette histoire de volatiles, il faut remonter à la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 mars 1834, jours précédents le samedi 22, jour du dépôt de plainte de la dite Euphrasie.

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Euphrasie Gantier, la plaignante, vivait avec sa mère, Elisabeth Hemery veuve Gantier.
Depuis que le père, Ambroise Gantier, les avait quittées, le 7 novembre 1822, elles vivotaient toutes les deux en exploitant un petit lopin de terre et élevant quelques volailles et lapins.
Rien de bien folichon, mais faute de mieux, elles devaient s’en accommoder.

Dans cette nuit-là, donc, alors que toutes deux dormaient, alors que tous les habitants d’Ecquetot devaient, eux aussi, dormir, des individus mal intentionnés, souffrant sans doute d’insomnie, s’étaient introduits dans la grange attenante à la maison des deux femmes, et avaient dérobé six poules.
Tout cela sans bruit, car ni Euphrasie, ni sa mère, n’avaient été éveillée par le caquetage effrayé des gallinacés qui passaient leurs nuits perchés sur les bottes de paille entreposées dans la grange.
Six poules !

Quand elles découvrirent le larcin, le lendemain, elles furent dépitées.

« Tu vas voir, dit Euphrasie à sa mère, j’ vas les r’trouver, nos volailles !
-          Mais comment tu f’ras, ma fille ? Elles sont p’t-être déjà à cuire dans un poêlon !
-          J’ vas faire un tour au marché d’Elbeuf.

Alors que le jour se levait à peine, d’un bon pas, son panier sous le bras, Euphrasie s’en alla, encapuchonnée dans son châle, car dehors une gelée matinale avait blanchie l’herbe et emprisonné l’eau des flaques jalonnant le chemin.

A Elbeuf, sur la place du marché, régnait déjà une grande agitation. Euphrasie ne s’attarda pas et alla directement vers les étals où elle savait trouver les animaux de basse-cour, ainsi que tout ce qui était crèmerie. Et c’était là qu’elle les avait vues. Trois de ses poules qui venaient d’être l’objet d’un négoce entre la vendeuse et une fermière qui ne se doutait sûrement pas qu’elle venait d’acquérir des poules volées !

« Attendez ! s’écria Euphrasie en arrêtant l’acheteuse qui, stupéfaite, la regardait les yeux écarquillés. Ces poules m’appartiennent !
-          Elles vous appartiennent ! lança l’acheteuse. Cela m’étonnerait ben, car j’ vens de les payer avec mon pécule.
-          Vous les avez payées, mais elles venaient d’ mett’ volées.
-          Volées !

Les éclats de voix avaient déjà attiré l’attention et un attroupement de badauds s’était déjà formé.

Il y avait là :
La fermière, celle qui avait vendu les trois poules, faisant figures de voleuses.
La fermière, celle qui venait d’acquérir les dites poules et qui ne savait plus que penser. Si, en fait, elle savait qu’elle ne voulait pas être impliquée dans ce qui pouvait être une affaire malhonnête.
Euphrasie, celle qui accusait, convaincue de son bon droit, trop heureuse que son esclandre ait attiré l’attention.

La vendeuse se ressaisit aussitôt. Elle ne pouvait pas se laisser accuser sans répliquer. Son silence serait alors pressenti pour un aveu. Aussi, s’écria-t-elle :
« Mais, j’ai rien volé, moi !  J’ai acheté ces poules à une fille  qui  habite du côté  d’Elbeuf ! J’ suis une honnête femme, moi ! »

Cet incident prenant des proportions considérables et entrainant des commentaires plus ou moins partisans des spectateurs, il fallait se résigner à faire intervenir les forces de l’ordre. Elles arrivèrent en la personne du commissaire de police d’Elbeuf dont la première action fut de confisquer les poules, objet de discorde, afin qu’elles soient présentées, si besoin, au juge d’instruction.
Pièces à conviction, au centre du différend, elles devaient être mises en sécurité.
Puis, une enquête fut diligentée et rondement menée.

Tous les protagonistes de cette histoire furent entendus.
A l’exception des volailles qui, pourtant, étaient les seules à pouvoir rétablir rapidement la vérité.
L’acheteuse fut vite mise hors de cause. Habitant Thuit-Signol, elle venait fréquemment faire son marché à Elbeuf. N’étant plus en possession de son achat, elle fut donc remboursée.
Et voilà pour le premier point !

Passons au suivant, la vendeuse des poules.
Interrogée par le commissaire de Police sur la provenance des volailles, elle parut bien ennuyée.
« C’est que, ces poules, elles sont point à moi !
-          Pas à vous ! s’exclama le commissaire. Ah ! Ah ! Nous y voilà ! Vous avouez donc les avoir volées ?
-          Mais pas de tout ! s’écria la marchande qui se voyait déjà enchaînée au bagne.
-          Alors, reprenons. Elles ne sont pas à vous ? Mais, vous les vendez, sur le marché ? Expliquez-moi comment vous appelez ça, si ce n’est pas du vol ?
-          C’est qu’on m’ les a confiées, les poules, pour les vendre au marché.
-          Ah ! Nous y voilà ! Et qui est cette mystérieuse personne qui vous a, soit disant, donné ces poules à vendre ?
-          Bah ! Y a pas mystère là d’dans !
-          Pas de mystère ? Alors, je vous écoute.
-          C’est la fille aînée au Thomas Paris.
-          Et où demeure cette femme ?
-          Bah ! C’est point difficile. A Ecquetot.
-          Ecquetot ? Tiens, tiens ! Nous irons vérifier.
-          Vous pouvez, car moi, j’ veux point payer pour elle !
-          Une autre question ? Cette  femme vous donne souvent des poules, ou autre chose d’ailleurs, à vendre ?
-          Ça arrive de temps à autre.
-          Et vous n’avez jamais pensé que ce qu’elle vous donnait à vendre pouvait être volé ?
-          Vous croyez qu’ j’ai ça à faire, de penser..... j’ai ben trop d’ouvrages.....
-          Vous savez que vous pouvez être condamnée pour recel ?
-          C’est quoi encore qu’ ça ?
-          C’est le mot donné à la détention de biens volés.
-          Mais, j’ai ren volé. J’ai simplement pris les poules pour les vendre.....
-          Vous ne receviez pas un petit quelque chose sur cette vente ?
-          C’est que........

La pauvre femme, à court de mots, se voyait empêtrée dans une affaire de justice dont elle ne comprenait rien et surtout pas ces termes qui la dépassaient.
Que dire d’ailleurs ?
Elle voyait bien qu’elle aurait toujours tort. Que de tracas !
Et pourquoi tout ce tintouin ?
Pour trois poules !

A ça, en cet instant présent, elle se disait bien qu’elle ne s’y laisserait plus prendre à rendre service. A que non alors !

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Je suppose que l’affaire s’arrangea à l’amiable.
Sauf peut-être pour la dite fille Paris dont je n’ai pas retrouvé trace.

   

Un petit fait divers de voleurs de poules, comme il y en avait tant...
J’ai profité de celui-là,
découvert dans les registres de délibérations
de la commune d’Ecquetot,
m’amusant beaucoup à décrire cette situation,

en en faisant un récit cocasse.