lundi 30 avril 2018

CONTE POUR LES ENFANTS SAGES....... ET TOUS LES AUTRES !


LA LEGENDE DES GIBOULEES DE MARS




Le jour se levait doucement, en ce dimanche matin, et, petit à petit, la brume se dissipait, laissant apparaître un rayon de soleil printanier.
Tout et tous dormaient encore dans le petit village.
Les cloches de l’église attendaient, encore un peu, avant de sonner, respectant le sommeil des villageois, car, en effet, ils avaient tous bien travaillé ces derniers jours, tous unis dans la préparation de la Fête du Printemps.

A présent, au milieu de la place, trônait une estrade pavoisée de rubans et de fleurs et qui attendait que les musiciens prennent place et lancent les premiers accords des musiques du bal.
« Encore quelques minutes, pensaient les cloches, il faut qu’ils récupèrent afin d’être en forme pour les festivités. »

Le lutin postier avait expédié toutes les invitations.
Le lutin cuisinier avait mitonné de bons petits plats, fort tard dans la nuit.
Le lutin tailleur avait fini le dernier ourlet bien après minuit.
Le lutin chef du village avait sorti son plus bel habit pour être à la hauteur de l’évènement.



La fête du Printemps, depuis la nuit des temps, représentait un moment fort important, une passation de pouvoirs, en quelque sorte, entre la Fée des Glaces qui régnait de mi-décembre à mi-mars et la Fée des Fleurs qui prenait le relais à la fin de la première quinzaine de mars.
Elles avaient donc été conviées toutes les deux.

Les cloches de l’église retentirent au moment où le coq se mit à chanter.
Aussitôt, les volets de chaque petite maison s’ouvrirent et l’on entendit de partout résonner rires et chants.
La bonne humeur générale présageait une bonne journée de réjouissances.


Les derniers préparatifs furent alors entrepris et, avant les douze coups de midi, tous étaient rassemblés sur la place dans l’attente de l’arrivée des deux fées.


Le ciel s’illumina, auréolé d’un arc-en-ciel. Un vent léger et tiède s’éleva. La Fée des Fleurs fit son apparition, dans une robe d’une beauté printanière lumineuse. Avec une grâce sans pareille, elle se posa délicatement au centre de la petite place, accueillie par des « oh ! » admiratifs.

Le silence s’installa ensuite dans l’attente de la venue de la Fée des Glaces dont le retard inhabituel commençait à inquiéter.
Un murmure s’éleva alors, chacun commentant cet imprévu, quand soudain le lutin postier surgit en criant :
« Je n’ai pas envoyé l’invitation ! Je n’ai pas envoyé l’invitation !
-      Quoi ? crièrent-ils tous en chœur, incrédules.

Le pauvre lutin postier, d’une blancheur cadavérique, à bout de souffle, dit d’une voix presque éteinte :
« Je viens de retrouver l’invitation que je devais envoyer à la Fée des Glaces. L’enveloppe a dû glisser et elle est tombée derrière le comptoir du bureau de poste. Je viens de la retrouver en passant le balai. »

A ce moment précis, le ciel s’assombrit, un vent violent et glacial tourbillonna, balayant la Fée des Fleurs qui disparut. Des flocons de neige commencèrent à  voleter et l’eau  du ruisseau qui le matin même chantonnait joyeusement se figea, prise par les glaces.

En moins de temps qu’il fallut pour le dire, tout fut recouvert de neige et de givre et le peuple des petits lutins n’eut d’autre choix que de se réfugier dans la grande salle commune afin de tenir conseil.

Le moment était grave.


-=-=-=-=-


Leur premier réflexe fut de s’en prendre au pauvre lutin postier. Mais le lutin chef du village s’interposa.

« Il n’est plus temps de faire des reproches. D’ailleurs, c’est la première fois que le lutin postier égare une lettre depuis toutes ces décennies. Maintenant, il faut réfléchir, car la Fée des Glaces, d’un tempérament glacial et cinglant, doit se sentir offensée.
-      C’est à moi d’aller lui faire des excuses et lui expliquer que ce n’est pas un oubli, mais un égarement de courrier, renchérit le lutin postier.
-      Etant donné sa froideur légendaire et bien réelle, dit un petit lutin présent, je ne suis pas sûr qu’elle accepte cette explication.
-      Alors, c’est la mort de notre village, dit un autre lutin, avec ce temps, nous ne pourrons pas faire de récoltes et nos réserves sont presque épuisées.
-      Attendez ! reprit le lutin chef de village. Le seul qui peut, en effet, expliquer la situation est le lutin postier puisqu’il était chargé de l’expédition des courriers.

Le pauvre lutin postier en était convaincu. Si il y avait des excuses à formuler, c’était bien à lui que revenait cette mission.
Il s’habilla alors chaudement, mit quelques réserves dans son sac et prit le chemin de la montagne de glace qui surplombait le petit village et où vivait la Fée des Glaces.


De son palais fleuri, la Fée des Fleurs assistait à ce colloque, désolée de la tournure des évènements. Elle connaissait bien la Fée des Glaces et mesurait sa force,  car elle pouvait déchaîner tous les éléments. Elle  craignait que  sa colère fasse tomber sur le petit village froidure,  vents cinglants, neiges abondantes...... 
Elle se promit de faire de son mieux pour adoucir l’épreuve qui attendait le monde des petits lutins.


Faisant face à un vent qui tournoyait violemment, le petit lutin postier avait grand-peine à avancer. Les rafales venteuses lui fouettaient le visage et lui coupaient le souffle. Malgré ses vêtements chauds, il sentait à travers eux la morsure glaciale. Bien que chaussé de grosses bottes, ses pieds étaient gelés.
Combien de temps devrait-il marcher ainsi ? Il ne le savait, ignorant totalement où se situait l’entrée du palais de glace.

Lorsque le vent se calma un peu, la neige tomba en flocons minuscules et cinglants, avant de se transformer en flocons légers et joufflus.

Epuisé, le lutin postier chercha un abri pour passer la nuit. Il découvrit un endroit entre deux rochers. S’enroulant dans un duvet, il finit par trouver le sommeil.

A son réveil, le ciel dégagé laissait passer quelques pâles rayons de soleil qui éclataient en blancheur éblouissante  sur l’étendue neigeuse. Cette chaleur réchauffa, un peu, le pauvre lutin qui regarda vers le sommet de la montagne afin de mesurer la distance qui lui restait à parcourir.


Déprimé par l’ampleur de ce qu’il était obligé d’accomplir, il se mit à pleurer. Levant la tête vers la montagne, il cria :
« Désolé ! Je suis désolé Fée des Glaces ! Je vous demande pardon ! »

Mais seul l’écho lui répondit :  « Pardon, pardon, pardon …… »


Ajustant sa capuche, protégeant le bas de son visage avec son écharpe, il attrapa son sac. Avant de reprendre sa route, il jeta un regard vers le village. Perdu dans un épais brouillard, celui-ci n’était pas visible.


-=-=-=-=-=-



Chaque matin, le petit monde des lutins, sous la présidence du lutin chef du village,  se réunissait dans la salle commune.
Cela  faisait, à présent, trois jours que le lutin postier était parti.

Avait-il rencontré la Fée des Glaces ?

Rien ne le disait. Le froid était toujours intense, bien que parfois le soleil brilla au-dessus des toits.
La neige fondait sous la chaleur du soleil de plus en plus intense.
Sur l’herbe apparaissait, timidement,  quelques fleurs de couleurs pâles.
Puis le ciel déversait neiges et grêlons.

« Le temps est détraqué, ce n’est pas possible ! », pensaient les petits lutins attentifs au moindre changement. « Nous passons de l’hiver au printemps  plusieurs fois par jour. »

En effet, de mémoire d’anciens, jamais pareille chose ne s’était produite.

Mais, il était vrai que la passation de pouvoirs entre les deux fées se faisait dans le calme et, de ce fait, le froid cessait immédiatement à la mi-mars pour voir s’installer un temps radieux qui devenait de plus en plus chaud jusqu’à la fête d’été où la Fée des Blés s’installait pour trois mois.


Au bout d’une semaine, une expédition composée de quatre lutins sportifs fut entreprise pour essayer de retrouver le lutin postier dont l’absence prolongée commençait à inquiéter la communauté.


Le temps plus clément et leur condition physique leur permirent d’accéder au sommet de la montagne en seulement deux jours.

Ce fut là qu’ils trouvèrent le lutin postier, enveloppé dans son duvet, exténué et presque sans vie.  Ils le réchauffèrent et l’alimentèrent avant de le redescendre au village.

Quelques jours plus tard, le lutin postier, encore alité, regardait le soleil entrer dans sa chambre par la fenêtre grande ouverte. Il avait repris des forces et passait pour un héros. N’était-ce pas grâce à lui que le beau temps s’était installé ?

A vrai dire, personne ne le sut vraiment, car le lutin postier ne se souvenait de rien, sauf peut-être de la vision courroucée de la  Fée des Glaces à côté de celle paisible de la Fée des Fleurs, avant de les voir toutes deux souriantes.

Mais le lutin postier n’avait-il pas rêvé ?


Non, le petit lutin postier n’avait pas rêvé car ....

La Fée des Glaces et la Fée des Fleurs, lasses de s’affronter, avaient conclu une paix en bonne et due forme. Mais, elles s’étaient tellement amusées en déchaînant les éléments, qu’elles décidèrent de perpétuer, d’année en année, ces joutes météorologiques, devenues  fausses querelles.
C’est pourquoi, encore aujourd’hui, à date anniversaire, nous devons subir des giboulées au mois de mars.









jeudi 26 avril 2018

Autour du mot « chien » !





La « Chiennaille ». Etant donné sa terminaison, en « aille », ce mot est assurément péjoratif !
En effet, vers 1174, la « chiennaille » désignait une troupe de chiens, mais pas réellement des chiens dressés et soignés !
Rien à voir avec ces meutes aristocratiques, composées de bêtes de race, dressées pour la chasse.
Il ne fait pas tout mélanger !

La « chiennerie », groupe de nombreux chiens, succéda à « chiennaille », en 1210.
Ce mot « chiennerie » fut employé par Molière dans sa pièce « l’avare ». En effet, l’auteur parlait d’Arpagon qui « par sa chiennerie prive la valetaille de nourriture » (1669).
Vous remarquerez « valetaille » et sa terminaison en ce « aille » péjoratif, nommant ainsi une domesticité de bas et mauvais étage.

Le chiendent, « dent de chien », nomme un végétal dont l’autre nom, le savant, est la prêle.
Depuis 1559, « chiendent » a reçu le sens figuré de « complication » ou « embarras ». Tout simplement en raison de la difficulté que l’on avait d’extraire du sol les racines de cette plante.

Les « chenets », posés dans l’âtre de la cheminée afin de recevoir les bûches, est un terme dérivé de « chien ». En effet, les premiers chenets, vers 1287, représentaient des chiens accroupis ».
Etonnant, non ?

Plus connu, par contre, le chien-assis (1841), architecture d’un type de fenêtre pratiqué dans une toiture. Ce terme étant tiré de l’observation des attitudes du chien.

Il y a aussi le « chien-chien », apparu en 1875, qui par le redoublement du mot, montre un côté affectif (dit le dictionnaire ), moi je trouve que cela fait « bébête », ramenant le petit animal à cette expression : « le chien-chien à sa mémère » !
Ridicule pour le chien, bien sûr !

Plus noble, par contre, ce « chien-loup » qui, en 1562, nommait les chiens employés pour la chasse au loup, avant de devenir en 1736, le produit du croisement entre un chien domestique et un loup.

Et puis, je vais vous parler de ce pauvre et triste journaliste qui menait une « vie de chien », employé dans le service de la rubrique « des chiens écrasés » et qui, le soir, « entre chien et loup » cherchait matière à écrire un article, puis s’en allait vers son « chenil », trainant les pieds, se coucher « en chien de fusil »....

Petite précision :
Chenil : lieu où sont enfermés les chiens de chasse
Chenil : logement sale et en désordre.


  Pour cette petite histoire autour d’un mot,
Je me suis aidée du
« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert.

mercredi 25 avril 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - C'est où qu'elle est ?




« C’est où qu’elle est ? J’ savais bin qu’elle nous f’rait des ennuis ! »

André Paul Morisse s’était, tout de même, résigné à venir à la maison commune. Il en avait parcouru, avant, des distances  à pieds, cherchant dans les villages environnants d’abord, puis de plus en plus loin, en fonction des informations recueillies parmi les diverses personnes rencontrées.
Mais, rien ! Pas trace de  Elisabeth !
« C’est où qu’elle est ? J’ai point qu’ ça à faire qu’ lui courir après ! »

Devant le maire, le pauvre homme semblait complètement désemparé, à bout de nerf, prêt à baisser les bras.
Le maire lui laissa le temps de se reprendre, avant de poser les questions permettant d’éclaircir cette affaire de disparition ou de fugue.

« De quelle jeune fille s’agit-il ? questionna le maire.
-          De Elisabeth Morisse, ma nièce.
-          Votre nièce ?
-          Bah oui ! la fille de mon frère, .......
-          Et quel âge a-t-elle ?
-          Ça c’est bin simple. Vingt-deux ans pis six mois.
-          Quand est-elle partie ?
-          Ça fait bin..... J’sais t’y moi ! P’t-êt’ six s’maines !
André Paul Morisse se grattait le sommet du crâne, en proie à une grande réflexion et à un calcul  complexe.
-          Quelle date exactement ? insista la maire.
-          Bin !......
Nouveau grattage de crâne, plus soutenu celui-là, montrant l’intensité plus importante de la réflexion, avant que André Paul Morisse lançât d’une voix indiquant son impuissance à trouver une réponse précise :
« Est-ce que j’sais moi ! Tout a changé à c’t heure, que j’sais plus quand on est et qu’ j’en ai la tête toute à l’envers ! Bientôt, on chang’ra même les heures, si ça s’ trouve !
-          Bon ! lança le maire qui voyait bien qu’il n’arriverait à rien, concernant les dates. On est le 20 brumaire an VIII[1], donc on peut dire le 4 vendémiaire an VIII[2] ?
-          Si ça vous chante, on peut dire ça ! Moi, c’ que veut c’est savoir où qu’elle est !
-          Elle était vêtue comment ?
-          Bah, j’sais point moi ! C’est qu’ j’ l’ai point vue partir,  du fait qu’ j’étais point encore l’vé !
-          Vous vous levez à quelle heure ?
-          Bah, c’est qu’ ça dépend. Quand l’coq y chante !
-          Et il chante vers quelle heure, votre coq ?
-          Quand l’ jour y vient !

Cela s’annonçait bien compliqué, et il fallait trouver une solution pour résoudre ce petit détail, alors le maire trancha :
« Vers les six heures trente ?
-          Si ça vous chante, on peut dire ça ! Moi, c’ que veut c’est savoir où qu’elle est !
-          Bon, je note donc vers six heures, le matin ? Vous êtes d’accord ?
-          Bah, j’ sais point trop, mais on peut dir’ ça !
-          Savez-vous où elle aurait pu aller ?
-          Bah ! Si j’ le savais, j’ l’aurais déjà r’trouvée à c’t’ heure !
-          Vous l’avez donc cherchée ?
-          Bah ça ! Pour sûr ! Partout que j’ suis allé ! Partout où on m’a dit qu’on l’a vue. Rin ! Et pis, j’ai point qu’ ça à faire qu’ lui courir après ! 
-          Pourquoi que cette Elisabeth, votre nièce, vit-elle chez vous ?
-          Bah ! Par charité pardi... et si j’avais su.....
-          Par charité ? interrogea le maire.
-          Bah oui ! C’est la fille d’ mon frère, le François, qu’est mort !
-          Ah ! Bon ! Et elle vit depuis longtemps chez vous ?

Question bien imprudente de la part du maire. N’allait-il pas encore se fourvoyer dans un calcul hasardeux ?
« D’puis la mort du frère ! Ça doit fair’ seize mois ! Seize mois, oui ! Et seize mois qu’elle fait rin d’ ses dix doigts !
-          Ouf ! pensa le maire qui craignait des complications calendaires. Puis, reprenant à haute voix. « elle ne vous aide pas au soin du ménage ? »
-          Que non ! s’exclama André Paul Morisse. Elle veut rin fair’ ! Elle veut vivr’ comm’ une dam’. Bornée qu’elle est, en plus. Bornée, pire qu’une vieille bourrique qui r’fuse d’avancer. La femme, la Françoise, c’est qu’ ça la met d’ mauvaise humeur, pardi..... Parce que nos filles, c’est qu’elles veulent pus rin faire non pu !
-          Elle n’avait pas d’autre endroit où être accueillie ?
-          C’est qu’ personne en voulait, pardi ! Personne ! Alors j’ n’ai écouté qu’ mon bon cœur et v’là où ça m’ mène, à présent. C’est où qu’elle est, bon sang ? C’est qu’ j’ai point qu’ ç a à faire qu’ lui courir après ! 

Après cet entretien, le maire rassura André Paul Morisse. On allait la retrouver la fugueuse. Et puis, si elle avait été aperçue à divers endroits, c’était qu’elle n’était pas bien loin et surtout, bien vivante.

Pauvre André Paul Morisse ! Plus ou moins réconforté, il se disait, tout de même, qu’il n’avait pas que cela à faire que courir après sa nièce !
Tout cela, malgré tout, le turlupinait tout de même, car il l’aimait bien cette gamine. Et puis, c’était la fille de son aîné, alors il ne pouvait la laisser comme cela dans la nature.

S’en retournant, chez lui, André Paul Morisse, repensait à toutes ces années passées. C’était que le temps filait, et vite avec ça !
N’était-ce pas hier qu’il courait avec ses frères en riant aux éclats, après avoir fait une bonne farce à un voisin ?
Il était le plus jeune et celui qui, courant le moins vite, se faisait toujours attraper le premier et le premier aussi, de ce fait, à avoir les fesses qui lui cuisaient après la correction paternelle.
Le père. Il avait quitté ce monde bien jeune, à l’âge de cinquante trois ans. La mère, beaucoup plus jeune que lui, n’avait que quarante et un ans lorsqu’elle se retrouva veuve. Elle avait continué seule le chemin[3].

Et puis, ils s’étaient mariés, tous trois, à peu de temps d’intervalle.
L’ainé, André Jean Baptiste François, le 27 novembre 1775, avec Marie Françoise Elisabeth Dequatremare.
Le second, Nicolas, le 21 novembre 1776, avec une fille originaire de Marbeuf, Marie Julie Harang.
Et lui, André Paul, le 12 février 1778, avec Marie Françoise Bosney.

Ils étaient tous restés dans leur commune de naissance, Ecquetot, pour être près de la mère.
Ils se soutenaient mutuellement dans les moments difficiles, et il y en eut, comme dans chaque famille.
André Jean Baptiste François fut le plus touché par le malheur.
Pourtant, il était heureux lorsqu’il vit le ventre de son épouse Elisabeth, s’arrondir.
Une petite fille naquit le 21 avril 1777 et fut baptisée le même jour, Marie Madeleine Elisabeth. Ce bonheur fut terriblement assombri par le décès de la jeune maman quatre jours plus tard.
C’était courant et chacun le savait, mais lorsque la mort, dans ces circonstances qui devaient être heureuses, touchait une famille, cela posait un problème pour la survie du nourrisson.
Alors, le jeune veuf qui ne pouvait s’occuper seul de l’enfant, se trouva une autre épouse, Marie Marthe Legoué[4] qui, le 13 mai 1779, accoucha d’une petite fille, prénommée Marie Madeleine.
Etait-ce parce qu’elle se sentit rejetée, que l’aînée, Marie Madeleine Elisabeth, dès ce moment-là, montra un caractère à la limite du supportable ?
Malgré tout, la famille faisait front et frères et sœurs se voyaient souvent, ce qui fit que cousins et cousines grandirent ensemble.
Quelle marmaille !!
Mais une marmaille qui aidait aux tâches journalières, selon son âge, ses possibilités et sa force physique.
La soupe, ça se gagnait, et cela à tout âge !
Une seule, souvent restait en retrait, Marie Madeleine Elisabeth !

Et puis, André Jean Baptiste François décéda le 8 prairial an VI[5], comme ça, d’un coup ! Il devait être sur les quatre heures de l’après-midi.
Alors, sa veuve, Marie Marthe Legoué, décréta qu’elle ne pouvait garder Marie Madeleine Elisabeth, qu’elle n’avait pas assez pour la faire vivre.
Ce fut alors que n’écoutant que son bon cœur, lui, André Paul Morisse, accepta, malgré les fortes réticences de son épouse à l’idée de s’encombrer d’une telle fille, de prendre sa nièce chez lui.
Ce n’était pas qu’il regrettait, aujourd’hui, non !
Seulement, depuis tous ces mois, il fallait bien admettre qu’elle en avait fait des vertes et des pas mûres, et cela quasi chaque jour !



De retour chez lui, André Paul Morisse, ne cessait de penser : « C’est où qu’elle est ? ».

Il avait une boule au creux de l’estomac.
Et si il lui était arrivé quelque chose ?
Dans ce cas-là, n’aurait-il pas failli à sa tâche, vis-à-vis de son frère ?
Déjà, il se sentait coupable.

-=-=-=-=-=-=-=-=-


Heureusement, la jeune fille fut retrouvée, mais aucune information sur cette brève aventure.
J’imagine aisément le soulagement de André Paul Morisse.

Je suppose, qu’après cette escapade, rejetée par la famille, elle dut subvenir à ses propres besoins, car elle devint fileuse, un métier que beaucoup de femmes faisaient, à domicile, tout en surveillant leurs petits.
Marie Madeleine Elisabeth Morisse ne se maria jamais.
Etait-ce en raison de son mauvais caractère ?
Elle trouva refuge chez sa sœur, Marie Madeleine, lorsque celle-ci épousa Jean Pierre Simon Fermanel, le 13 messidor an XIII[6].


Les membres de cette famille poursuivirent leur chemin, tant bien que mal.
André Paul Morisse décéda le 29 septembre 1820.
Marie Françoise Bosney, son épouse, lui survit quelques années avant d’aller le rejoindre le 18 janvier 1827.
Marie Marthe Legoué, la belle-mère de Marie Madeleine Elisabeth et seconde épouse de André Jean Baptiste Françoise, ferma les yeux le 12 mars 1829

Quant à l’extravagante Marie Madeleine Elisabeth Morisse, elle fugua définitivement vers l’au-delà, à l’âge  de quarante-sept ans et sept mois, le 10 septembre 1827.Ce fut son beau-frère Jean Pierre Simon Fermanel qui alla déclarer le décès, survenu en sa demeure, rue aux Piles, à Ecquetot.   


Registre des délibérations de la commune d’Ecquetot.
Un fait divers, parmi tant d’autres, en date du 20 brumaire an VIII.


[1] Le 20 brumaire an VIII correspond au 11 novembre 1799.
[2] Le 4 vendémiaire an VIII correspond au 26 septembre 1799.
[3] Jean baptiste Morisse né le 23 octobre 1717 et décédé le 7 décembre 1770. Mariage avec Marie Catherine Françoise Duhamel le 30 juillet 1748. La demoiselle Duhamel était née le  8 mars 1729.
[4]Marie Marthe Legoué, originaire de Sainte-Colombe- la Commanderie. Le mariage n’a toutefois pas eu lieu dans cette commune, ni à Ecquetot.
[5]  8 prairial an VI : 27 mai 1798.
[6] 13 messidor an XIII : 2 juillet 1805.

dimanche 22 avril 2018

Un bon barbecue ?




Il fait beau !
C’est l’été, un peu avant l’heure !
Il faut en profiter !
Alors envie de prendre l’air, de bronzer et de faire un « bon barbecue » ?
Mais pour faire un barbecue, il fait des merguez et de la « barbaque » !
Et oui, je le confirme, il faut de la barbaque.
C’est réellement le mot qui convient..........

Pourquoi ?
Tout simplement  parce que le mot « barbaque » viendrait de l’espagnol « barbacao », désignant le gril servant à griller la viande, lui-même issu de « arawak », mot d’origine indienne, nommant la viande grillée ?

Alors ? Convaincus que c’est l’élément essentiel pour un bon barbecue ?

Il ne me reste plus qu’à ajouter que ce terme est apparu dans la seconde partie du XIXe siècle, rapporté, sans doute, par les soldats revenant de leur expédition militaire au Mexique.


Afin, quelle que soit sa provenance, depuis 1877 – 1880, et encore de nos jours, il désigne toutes sortes de viande et plus particulièrement une viande de très mauvaise qualité.


  Pour cette petite histoire autour d’un mot,
Je me suis aidée du
« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert.

mercredi 18 avril 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Le garde-champêtre.



Dur métier que celui de "Garde-champêtre" !

En voilà un métier très utile !
Un métier de plein-air, pour lequel il fallait :
·         Avoir plus de vingt-cinq ans.
·         Savoir lire et écrire.
·         Etre irréprochable dans sa vie personnelle et sociale.
Et surtout :
·         Avoir de bonnes jambes pour parcourir chemins, champs, bois et forêts communales.
·         Posséder de bonnes galoches, car les pieds souffraient d’échauffements l’été et d’engelures l’hiver.
Mais encore, être très observateurs, très vigilants, et en cas de délits, être implacable et juste, même si cela concernait la proche famille ou les amis.
Pas facile !
Il fallait aussi tenir sa langue, ne rien divulguer à propos de son travail. Certaines affaires devant rester très confidentiels !

Imaginons, si vous le voulez bien,  plusieurs situations délicates auxquelles le garde-champêtre pouvait être confronté et dans lesquelles il pouvait se trouver un peu en « porte-à-faux ».

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Ce brave homme arpentait les chemins.
« Brrrr !! Quel froid ! »
Pieds et mains gelés. Bout du nez également et qui, en plus, devenu cramoisi, coulait.
« Nom de d’là ! marmonnait le pauvre homme, j’ donn’rai cher pour un bon verre de gnole !  Ça m’ requinqu’rait !»

Chemin faisant, le garde, proche de la congélation, rencontra un fermier, pas vraiment de ses amis, mais tout de même pas un inconnu.
« Fait frisquette, hein ? dit celui-ci en le saluant.
-          Ça, pour sûr ! répondit le garde.
-          Allez ! V’nez boire un coup ça vous réc’auff’ra. Ça peut pas faire de mal, hein ? Et pis, de c’ temps-là, les voleurs i’ sont au chaud.

Qu’auriez-vous fait à cette proposition ?
Vous auriez accepté l’invitation, évidemment !

Imaginez que ce gentil fermier fut un jour arrêté pour fraude, une broutille....
Le pauvre garde aurait alors entendu à coup sûr :
« T’es point reconnaissant, hein ! Tu t’en es j’té des verres chez moi, hein, quand i’ f’sait froid ! »

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Dans ces temps-là, mais également encore aujourd’hui, un arbre fruitier croulant sous ses fruits, c’était tentant.
Ce n’était pas vraiment voler !
Mais au début du XIXème siècle, c’était un délit réprimé par la justice.
Notre garde-champêtre avait le devoir de protéger la propriété d’autrui et donc, si par hasard il surprenait un gamin chapardant une pomme, une poire ou quelques cerises, il se devait de l’arrêter.
Pas de pitié, même si le garnement s’excusait, disant :
« Promis, M’sieur, je r’commenc’rai plus ! »

Qu’auriez-vous fait, vous ?
Une petite semonce et on en restait là.

Et bien, non ! Faute professionnelle !
Le pardon et l’absolution, c’était l’affaire du curé.
Le garde-champêtre représentait l’ordre.

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Un dépôt de fumier sur un sentier communal, des branches empiétant sur l’espace public, et que sais-je encore .......
Délits entrainant verbalisation, après un délai pour l’enlèvement, le nettoyage et l’élagage.
Un rapport était établi.

Le garde-champêtre ne devait pas se faire que des amis.
Mais sa fonction avait-elle pour but le copinage ?

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Les délits dits « forestiers » étaient nombreux.
Seuls les plus pauvres étaient autorisés à ramasser du bois mort dans les bois communaux ou à glaner dans les champs après les moissons.  Des règles étaient établies et les communes délivraient  un document aux « privilégiés », attestant leurs droits.
Pas question de dire :
« Le papier, mais j’ l’ai point. Il est à la maison ! »
Tout était vérifié, et plutôt deux fois qu’une !

Je suppose aussi que, si ce brave garde-champêtre surprenait sa femme avec des fagots, alors qu’elle n’en avait pas le droit, il la verbalisait.

J’image la mégère hurlait à la face de son garde de mari :
« Bon ! Tu veux point que j’ prenne du bois. Soit disant que j’ai pas l’ droit ! Alors, tu mang’ras froid c’soir ! Pas d’fagots ! Pas d’feu ! »
Quelle tête il ferait ce pauvre homme de loi !

Quant aux braconniers, ils écopaient souvent des peines de prisons, avec bien évidemment suppression du gibier illégalement chassé.
Et pas question de proposer au garde de partager le contenu de la gibecière !
C’eût été malvenu.
La loi est incorruptible !

Pourtant, cela devait être  bien tentant. L’odeur d’un bon civet de lièvre devait titiller fortement les narines de l’homme, et le faire saliver.
Imaginez, vous aussi, les morceaux de lièvre trempant dans une sauce onctueuse, accompagnés de pommes de terre et de petits champignons. Ces derniers provenant d’une récolte illégale, bien sûr !

Quel dur métier, tout de même !

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Quand il y avait des délits plus graves, vols meurtres ou encore accidents mortels et suicides, c’était à la « Haute Justice » que revenait ces affaires.

Mais, motus et bouche cousue avant le jugement.
Cela devait être compliqué de garder les secrets, surtout si cet homme de hautes et difficiles missions avait épousé une femme curieuse.
Câline comme une chatte, elle devait demander d’une voix douce :
« Tu veux ren m’ dire. A moi, voyons, tu sais, j’ dirai ren ! »

Tu parles ! Le lendemain, tout le village serait au courant de l’affaire dans les moindres détails, plus un grand nombre du cru de l’épouse à l’imagination fructueuse !

Une femme qui pouvait, aussi, devenir agressive en cas de refus du garde, scrupuleux dans sa fonction :
« Ah ! Tu sais ren, et tu veux m’fair’ croire’  ça ? Tu parles ! T’as pas confiance, v’là pourquoi ! »

Que faire dans ce cas-là ?
Surtout quand on voulait avoir la paix dans son ménage !

Les plus sournoises profitaient des moments plus intimes...... Câlineries et confidences sur l’oreiller !

Vigilance ! Vigilance ! Attention monsieur le garde !
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Le plus difficile, dans cette fonction, devait être ces silences à son entrée dans le café du village.
Conversations cessant immédiatement, échanges de regards des uns et des autres.
Et quand les conversations reprenaient, c’était sur la pluie ou le beau temps.
Savait-on jamais. Les paroles perçues pouvaient être mal interprétées.

Le contraire pouvait aussi être possible.
A son entrée, le garde se voyait apostrophé :
« Eh ! V’ins boir un coup ! »

Et verre après verre, tournée après tournée, essayant de tirer les vers du nez de l’homme d’ordre, afin d’apprendre tous les secrets, tous les dessous des affaires.
Pas toujours facile de ne pas accepter de trinquer.
Pas toujours facile dans de pareilles circonstances de garder sa langue.
Quand l’alcool échauffait les esprits, un mot en entrainant un autre et les mots jaillissaient vivement.

Alors, être garde-champêtre impliquait-il de vivre en ermite, sans causer à quiconque ?

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Voilà pourquoi, certains gardes-champêtres nommés dans les communes furent licenciés pour « ne pas s’être acquitté des devoirs de sa tâche d’une manière satisfaisante et qu’il n’en remplissait pas les obligations. »

Ce fut ainsi que la Commune d’Ecquetot dut se séparer de deux gardes.
Mais cela ne supposait pas que ces deux hommes avaient basculé dans le camp des truands.

Le 15 mai 1819, le nommé Antoine Martin se voyait signifier son renvoi au 31 juillet suivant, date anniversaire de sa nomination.
Antoine Martin avait vu le jour au Grosoeuvre le 1er avril 1758.
Il avait épousé une fille du coin, Marie Françoise Ursule Dupuis, née à Venon.
Le couple s’était installé rue de l’église à Ecquetot, ville où l’un et l’autre décédèrent.
Lui, Antoine Martin, le 3 mars 1834. Elle, Marie Françoise Ursule Dupuis, devenue veuve Martin, le 16 février 1840.


Il en fut de même pour Louis Jacques Marsollet, en juillet 1840.;
Que lui était-il reproché ?
« De ne jamais avertir des délits qui étaient commis et qui se commettaient journellement. »
Y en avait-il autant que ça dans ce village ?
Louis Jacques Marsollet était originaire de Mandeville, où il cultivait des terres.
Il avait épousé une veuve, Marie Barbe Hervieux, née à Criquebeuf-la-campagne ; le 21 janvier 1783.
Devenu veuf, le 30 juillet 1846, Louis Jacques Marsollet ne finit pas ses jours à Mandeville.
Alla-t-il vivre chez un de ses enfants ?
Sans doute, à moins......  qu’il ne se soit remarié, la solitude et les soins du ménage lui pesant.

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Sur le territoire de la commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville, il y avait, en février 1817, trois gardes-champêtres :
Les sieurs Augustin Foy et Girard, ainsi que le sieur Langlois, déjà garde-particulier de Monsieur de Pavyot, châtelain de la commune.

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Comment étaient nommés les gardes-champêtres.

Une loi du 8 juillet 1795 (messidor an III) ordonnait la nomination de gardes-champêtres dans les communes rurales.
Le salaire des gardes était de deux cents francs par an.
C’était au Sous-préfet de l’Eure, en l’occurrence celui de la sous-préfecture de Louviers dont dépendait le Plateau du Neubourg, d’effectuer le  choix, en fonction des candidatures qui lui étaient proposées.
Avant d’arrêter sa décision, il faisait une enquête, afin de s’assurer que l’homme qu’il désignerait était de « bonnes vies et mœurs », et qu’il s’acquitterait de sa fonction « avec dévouement au Roi et dans le respect de l’autorité des lois ».

Mais c’est que ça ne rigolait pas !

(Selon les périodes de ce XIXème siècle fort tourmenté, le « dévouement » revenait soit au roi, soit à l’empereur, soit, encore, à la république.)

Le garde-champêtre retenu devait donc prêter serment. Voici quel était le contenu de sa déclaration.
L’homme, solennellement, d’une voix claire et forte, jurait de :
« Se conformer aux lois, arrêtés, instructions et règlements relatifs à sa mission, notamment à ceux qui concernent la chasse, la pêche, le port d’armes, la sureté des personnes et des propriétés, de veiller de jour et de nuit à la conservation des récoltes et propriétés confiés à sa garde.
De se refuser transaction avec les délinquants, de dresser des procès verbaux de tous délits et contraventions de toute arrestation légale et de faire constater les empiètement, dégradations ou encombrements qui pourront commettre sur les chemins publics ou propriétés comme du vol d’objets confiés à la foi publique et d’arrêter tous les évadés de galère, déserteurs, gens sans aveu et sans papier qu’il rencontrera ou qui seront signalés, de remettre ses procès verbaux au maire ou à l’adjoint de la commune.
De réprimer de concert avec la Garde Nationale et la gendarmerie le brigandage, le vagabondage et la mendicité et d’assurer l’exécution des lois et ordonnances de police relatives aux étrangers, aux passeports et au braconnier ........... »

Après cela, il était assermenté, et sa parole prévalait celle des personnes qu’il arrêtait.

Un garde privé pouvait concilier cette fonction avec celle de garde-champêtre.


Je vous avais prévenu.
Difficiles les obligations de garde-champêtre.



La rédaction de ce texte m’est venu à la suite de la lecture
dans les délibérations du conseil municipal d’Ecquetot,
de notifications donnant « congé pour faute »
à deux gardes-champêtres.
Mon imagination a pris alors le dessus
et je me suis laissée aller ......