mercredi 18 avril 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Le garde-champêtre.



Dur métier que celui de "Garde-champêtre" !

En voilà un métier très utile !
Un métier de plein-air, pour lequel il fallait :
·         Avoir plus de vingt-cinq ans.
·         Savoir lire et écrire.
·         Etre irréprochable dans sa vie personnelle et sociale.
Et surtout :
·         Avoir de bonnes jambes pour parcourir chemins, champs, bois et forêts communales.
·         Posséder de bonnes galoches, car les pieds souffraient d’échauffements l’été et d’engelures l’hiver.
Mais encore, être très observateurs, très vigilants, et en cas de délits, être implacable et juste, même si cela concernait la proche famille ou les amis.
Pas facile !
Il fallait aussi tenir sa langue, ne rien divulguer à propos de son travail. Certaines affaires devant rester très confidentiels !

Imaginons, si vous le voulez bien,  plusieurs situations délicates auxquelles le garde-champêtre pouvait être confronté et dans lesquelles il pouvait se trouver un peu en « porte-à-faux ».

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Ce brave homme arpentait les chemins.
« Brrrr !! Quel froid ! »
Pieds et mains gelés. Bout du nez également et qui, en plus, devenu cramoisi, coulait.
« Nom de d’là ! marmonnait le pauvre homme, j’ donn’rai cher pour un bon verre de gnole !  Ça m’ requinqu’rait !»

Chemin faisant, le garde, proche de la congélation, rencontra un fermier, pas vraiment de ses amis, mais tout de même pas un inconnu.
« Fait frisquette, hein ? dit celui-ci en le saluant.
-          Ça, pour sûr ! répondit le garde.
-          Allez ! V’nez boire un coup ça vous réc’auff’ra. Ça peut pas faire de mal, hein ? Et pis, de c’ temps-là, les voleurs i’ sont au chaud.

Qu’auriez-vous fait à cette proposition ?
Vous auriez accepté l’invitation, évidemment !

Imaginez que ce gentil fermier fut un jour arrêté pour fraude, une broutille....
Le pauvre garde aurait alors entendu à coup sûr :
« T’es point reconnaissant, hein ! Tu t’en es j’té des verres chez moi, hein, quand i’ f’sait froid ! »

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Dans ces temps-là, mais également encore aujourd’hui, un arbre fruitier croulant sous ses fruits, c’était tentant.
Ce n’était pas vraiment voler !
Mais au début du XIXème siècle, c’était un délit réprimé par la justice.
Notre garde-champêtre avait le devoir de protéger la propriété d’autrui et donc, si par hasard il surprenait un gamin chapardant une pomme, une poire ou quelques cerises, il se devait de l’arrêter.
Pas de pitié, même si le garnement s’excusait, disant :
« Promis, M’sieur, je r’commenc’rai plus ! »

Qu’auriez-vous fait, vous ?
Une petite semonce et on en restait là.

Et bien, non ! Faute professionnelle !
Le pardon et l’absolution, c’était l’affaire du curé.
Le garde-champêtre représentait l’ordre.

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Un dépôt de fumier sur un sentier communal, des branches empiétant sur l’espace public, et que sais-je encore .......
Délits entrainant verbalisation, après un délai pour l’enlèvement, le nettoyage et l’élagage.
Un rapport était établi.

Le garde-champêtre ne devait pas se faire que des amis.
Mais sa fonction avait-elle pour but le copinage ?

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Les délits dits « forestiers » étaient nombreux.
Seuls les plus pauvres étaient autorisés à ramasser du bois mort dans les bois communaux ou à glaner dans les champs après les moissons.  Des règles étaient établies et les communes délivraient  un document aux « privilégiés », attestant leurs droits.
Pas question de dire :
« Le papier, mais j’ l’ai point. Il est à la maison ! »
Tout était vérifié, et plutôt deux fois qu’une !

Je suppose aussi que, si ce brave garde-champêtre surprenait sa femme avec des fagots, alors qu’elle n’en avait pas le droit, il la verbalisait.

J’image la mégère hurlait à la face de son garde de mari :
« Bon ! Tu veux point que j’ prenne du bois. Soit disant que j’ai pas l’ droit ! Alors, tu mang’ras froid c’soir ! Pas d’fagots ! Pas d’feu ! »
Quelle tête il ferait ce pauvre homme de loi !

Quant aux braconniers, ils écopaient souvent des peines de prisons, avec bien évidemment suppression du gibier illégalement chassé.
Et pas question de proposer au garde de partager le contenu de la gibecière !
C’eût été malvenu.
La loi est incorruptible !

Pourtant, cela devait être  bien tentant. L’odeur d’un bon civet de lièvre devait titiller fortement les narines de l’homme, et le faire saliver.
Imaginez, vous aussi, les morceaux de lièvre trempant dans une sauce onctueuse, accompagnés de pommes de terre et de petits champignons. Ces derniers provenant d’une récolte illégale, bien sûr !

Quel dur métier, tout de même !

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Quand il y avait des délits plus graves, vols meurtres ou encore accidents mortels et suicides, c’était à la « Haute Justice » que revenait ces affaires.

Mais, motus et bouche cousue avant le jugement.
Cela devait être compliqué de garder les secrets, surtout si cet homme de hautes et difficiles missions avait épousé une femme curieuse.
Câline comme une chatte, elle devait demander d’une voix douce :
« Tu veux ren m’ dire. A moi, voyons, tu sais, j’ dirai ren ! »

Tu parles ! Le lendemain, tout le village serait au courant de l’affaire dans les moindres détails, plus un grand nombre du cru de l’épouse à l’imagination fructueuse !

Une femme qui pouvait, aussi, devenir agressive en cas de refus du garde, scrupuleux dans sa fonction :
« Ah ! Tu sais ren, et tu veux m’fair’ croire’  ça ? Tu parles ! T’as pas confiance, v’là pourquoi ! »

Que faire dans ce cas-là ?
Surtout quand on voulait avoir la paix dans son ménage !

Les plus sournoises profitaient des moments plus intimes...... Câlineries et confidences sur l’oreiller !

Vigilance ! Vigilance ! Attention monsieur le garde !
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Le plus difficile, dans cette fonction, devait être ces silences à son entrée dans le café du village.
Conversations cessant immédiatement, échanges de regards des uns et des autres.
Et quand les conversations reprenaient, c’était sur la pluie ou le beau temps.
Savait-on jamais. Les paroles perçues pouvaient être mal interprétées.

Le contraire pouvait aussi être possible.
A son entrée, le garde se voyait apostrophé :
« Eh ! V’ins boir un coup ! »

Et verre après verre, tournée après tournée, essayant de tirer les vers du nez de l’homme d’ordre, afin d’apprendre tous les secrets, tous les dessous des affaires.
Pas toujours facile de ne pas accepter de trinquer.
Pas toujours facile dans de pareilles circonstances de garder sa langue.
Quand l’alcool échauffait les esprits, un mot en entrainant un autre et les mots jaillissaient vivement.

Alors, être garde-champêtre impliquait-il de vivre en ermite, sans causer à quiconque ?

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Voilà pourquoi, certains gardes-champêtres nommés dans les communes furent licenciés pour « ne pas s’être acquitté des devoirs de sa tâche d’une manière satisfaisante et qu’il n’en remplissait pas les obligations. »

Ce fut ainsi que la Commune d’Ecquetot dut se séparer de deux gardes.
Mais cela ne supposait pas que ces deux hommes avaient basculé dans le camp des truands.

Le 15 mai 1819, le nommé Antoine Martin se voyait signifier son renvoi au 31 juillet suivant, date anniversaire de sa nomination.
Antoine Martin avait vu le jour au Grosoeuvre le 1er avril 1758.
Il avait épousé une fille du coin, Marie Françoise Ursule Dupuis, née à Venon.
Le couple s’était installé rue de l’église à Ecquetot, ville où l’un et l’autre décédèrent.
Lui, Antoine Martin, le 3 mars 1834. Elle, Marie Françoise Ursule Dupuis, devenue veuve Martin, le 16 février 1840.


Il en fut de même pour Louis Jacques Marsollet, en juillet 1840.;
Que lui était-il reproché ?
« De ne jamais avertir des délits qui étaient commis et qui se commettaient journellement. »
Y en avait-il autant que ça dans ce village ?
Louis Jacques Marsollet était originaire de Mandeville, où il cultivait des terres.
Il avait épousé une veuve, Marie Barbe Hervieux, née à Criquebeuf-la-campagne ; le 21 janvier 1783.
Devenu veuf, le 30 juillet 1846, Louis Jacques Marsollet ne finit pas ses jours à Mandeville.
Alla-t-il vivre chez un de ses enfants ?
Sans doute, à moins......  qu’il ne se soit remarié, la solitude et les soins du ménage lui pesant.

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Sur le territoire de la commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville, il y avait, en février 1817, trois gardes-champêtres :
Les sieurs Augustin Foy et Girard, ainsi que le sieur Langlois, déjà garde-particulier de Monsieur de Pavyot, châtelain de la commune.

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Comment étaient nommés les gardes-champêtres.

Une loi du 8 juillet 1795 (messidor an III) ordonnait la nomination de gardes-champêtres dans les communes rurales.
Le salaire des gardes était de deux cents francs par an.
C’était au Sous-préfet de l’Eure, en l’occurrence celui de la sous-préfecture de Louviers dont dépendait le Plateau du Neubourg, d’effectuer le  choix, en fonction des candidatures qui lui étaient proposées.
Avant d’arrêter sa décision, il faisait une enquête, afin de s’assurer que l’homme qu’il désignerait était de « bonnes vies et mœurs », et qu’il s’acquitterait de sa fonction « avec dévouement au Roi et dans le respect de l’autorité des lois ».

Mais c’est que ça ne rigolait pas !

(Selon les périodes de ce XIXème siècle fort tourmenté, le « dévouement » revenait soit au roi, soit à l’empereur, soit, encore, à la république.)

Le garde-champêtre retenu devait donc prêter serment. Voici quel était le contenu de sa déclaration.
L’homme, solennellement, d’une voix claire et forte, jurait de :
« Se conformer aux lois, arrêtés, instructions et règlements relatifs à sa mission, notamment à ceux qui concernent la chasse, la pêche, le port d’armes, la sureté des personnes et des propriétés, de veiller de jour et de nuit à la conservation des récoltes et propriétés confiés à sa garde.
De se refuser transaction avec les délinquants, de dresser des procès verbaux de tous délits et contraventions de toute arrestation légale et de faire constater les empiètement, dégradations ou encombrements qui pourront commettre sur les chemins publics ou propriétés comme du vol d’objets confiés à la foi publique et d’arrêter tous les évadés de galère, déserteurs, gens sans aveu et sans papier qu’il rencontrera ou qui seront signalés, de remettre ses procès verbaux au maire ou à l’adjoint de la commune.
De réprimer de concert avec la Garde Nationale et la gendarmerie le brigandage, le vagabondage et la mendicité et d’assurer l’exécution des lois et ordonnances de police relatives aux étrangers, aux passeports et au braconnier ........... »

Après cela, il était assermenté, et sa parole prévalait celle des personnes qu’il arrêtait.

Un garde privé pouvait concilier cette fonction avec celle de garde-champêtre.


Je vous avais prévenu.
Difficiles les obligations de garde-champêtre.



La rédaction de ce texte m’est venu à la suite de la lecture
dans les délibérations du conseil municipal d’Ecquetot,
de notifications donnant « congé pour faute »
à deux gardes-champêtres.
Mon imagination a pris alors le dessus
et je me suis laissée aller ......




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