mercredi 23 mai 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Culotté !





Ce fut avec des éclats de rire que le jeune Jacques Thomas Coulvée s’en était allé, traversant en sautillant, le champ de trèfle de son voisin.
Oui, comme un sale gosse qui, malgré les interdictions, faisait un mauvais tour et s’en réjouissait.
Ce n’était pas la première fois, d’ailleurs, que ce jeune homme s’autorisait cette traversée, prétextant que c’était le chemin le plus court pour rentrer chez lui.
Le propriétaire du champ, Guillaume Sourbel, avait été se plaindre, à plusieurs reprises, auprès du maire de la commune d’Ecauville, accusant ce « mauvais sujet » de saccager délibérément ses cultures et qui, malgré de nombreux avertissements, s’obstinait.

« Et si au moins, i’ passait toujours au même endroit ! avait précisé le plaignant. Mais ce vaurien, i’ traverse mon champ en diverses places ! Ça fait plus de dégâts, pardi ! »

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Ce matin-là, 17 novembre 1821, vers les 10 heures, Jacques Thomas Coulvée récidiva, écrasant à qui mieux-mieux le trèfle, avec un plaisir non dissimulé.
N’en pouvant plus, Guillaume Sourbel s’empara d’une fourche et le poursuivit en le maudissant.
Mais le jeune Jacques Thomas, ayant pris une bonne avance sur son poursuivant, s’arrêta un instant, fit face au propriétaire du champ et le nargua :
« Vins donc un peu là, avec ta fourche, va ! T’es point près de m’ rattraper ! »

Puis, s’esclaffant bruyamment, il se retourna, baissa son pantalon et montra ses fesses, avant de s’enfuir en courant, tout en se reculottant.

Un affront qui passa très mal, et qui fut aussitôt rapporté au maire de la commune.

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Jacques Thomas Coulvée était le cinquième enfant de Claude Coulvée et Marie Geneviève Renault qui avaient grandi dans la commune et s’y étaient également mariés, le 13 avril 1794.

Avant lui avaient vu le jour,
·         Claude, en 1795,
·         Marie Geneviève, en 1797,
·         Puis, les jumeaux, Pierre et Marie, qui ne vécurent qu’une journée, celle du 1er janvier 1801.

Jacques Thomas naquit donc le 29 décembre 1803, deux années après la naissance et la mort des jumeaux, ces deux petits êtres bien trop chétifs pour survivre.

Alors, toutes les attentions maternelles se fixèrent sur Jacques Thomas.
Cette mère ne voulait-elle pas donner à son nouveau-né, tout le trop-plein d’amour qu’elle n’avait pu déverser sur Pierre et Marie que la mort lui avait enlevés bien trop vite.

Et puis, la vie n’apportait pas que des joies, loin de là, et il fallait faire avec tous les malheurs qui jalonnaient son chemin.
Et la maison du couple Coulvée fut de nouveau endeuillée.
Ce fut le père, Simon Claude Coulvée, fauché en peu de temps, alors qu’il n’avait que quarante ans et qui fut porté en terre le lendemain de son décès, dans la froidure hivernal du 7 janvier 1807.
Marie Geneviève Renault devint ainsi la « veuve Coulvée » en ce début d’année 1807, avec à charge trois enfants dont l’aîné, Claude, venait juste d’avoir dix ans.

Trois enfants ?

N’y avait-il pas un dicton ancestral qui disait que dans une famille un décès était toujours suivi d’une naissance ?
Ce fut le cas en effet, car, alors que Marie Geneviève venait d’ensevelir son époux, un nouveau petit être prenait vie en elle.
Ce fut un garçon qui arriva le 20 août 1807 et qui fut déclaré, en mairie d’Ecauville, sous les prénoms de Prosper Augustin.

Quatre enfants !
Ce n’était pas une mince affaire !
Quatre petits à préserver !
Et Marie Geneviève, veuve Coulvée, qui se devait de travailler pour rapporter, au foyer, de quoi vivre, prit les décisions qu’elle pensait être les meilleures.
L’ainé, Claude, fut placé dans une ferme. Revint à la petite Marie Geneviève la charge d’épauler sa mère aux soins du ménage et à la garde de ses deux petits frères.
Une lourde charge pour une fillette qui n’avait pas encore neuf ans. Mais c’était ainsi et elle ne s’en plaignit pas.
Pour la « petite maman », le nouveau poupon, Prosper Augustin, devint « son bébé », quant à Jacques Thomas, ce fut autre chose, car il n’écoutait pas sa sœur. Il profitait même des moments où elle était occupée pour crapahuter, ici et là, et faire les pires bêtises.
La petite fille bien que faisant de son mieux pour s’acquitter de sa tâche, n’avait aucune autorité sur son jeune frère, pas plus que sa mère, d’ailleurs, qui, fatiguée de ses journées de labeur, se contentait, de temps à autre, de lui donner une bonne taloche qui n’avait aucun impact sur le caractère de ce jeune effronté.
Jacques Thomas grandissait en « chien fou », sans foi ni loi.

Puis, les enfants partirent les uns après les autres.
Claude avait trouvé femme à sa convenance, à Graveron-Semerville. Elle se nommait Marie Catherine Bonnel. Ils se marièrent le 7 novembre 1820.

Et puis, ce fut le tour de Marie Geneviève de quitter le logis parental.
Sa mère n’était pas peu fière, le jour du mariage de sa seule fille, car celle-ci, en ce 27 janvier 1820, épousait un « vrai monsieur » qui en savait des choses ! Pensez donc, il était « instituteur » !
En épousant Pierre Toussaint Toutuny,  Marie Geneviève devenait une dame respectée, en sa qualité d’épouse de « Monsieur l’instituteur de Saint-Aubin-d’Ecrosville ».

Jacques Thomas, toujours turbulent et insouciant, fut placé chez un menuisier, pour apprendre le métier. Un garçon travailleur, toutefois.
Quant à Prosper Augustin, jeune garçon calme et docile, il travaillait chez un tisserand.

Marie Geneviève Renault, veuve Coulvée, était fière de ses petits, de tous ses petits, même de son Jacques Thomas qui lui causait pourtant, en raison de ses rébellions, bien du souci.

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Suite à l’incident du 17 novembre 1821, monsieur Bobin, Maire d’Ecauville, dut intervenir afin que le calme revienne.
Les turpitudes du jeune homme avaient déchaîné  le mécontentement général.
En premier, bien sûr, Guillaume Sourbel qui voyait son trèfle ruiné par les incessants piétinements du fils Coulvée.
Mais aussi, François Couturier et François Melet qui habitant à la limite d’Ecauville et de Saint-Aubin-d’Ecrosville en avaient assez des frasques de ce jeune homme, et notamment, lorsqu’il revenait éméché, après avoir passé plus de temps qu’il ne fallait à boire au café de Saint-Aubin.
Le maire, donc, essaya de raisonner Jacques Thomas, lui disant :
« T’es presque un homme à présent. Dix-huit ans que tu as. Penses à ta mère qui se donne tant de mal pour vous nourrir. Tu pourrais peut-être l’aider, non ?

Oui, il pouvait, en effet ! Mais, on ne change pas comme ça !

Le calme revint, à la grande satisfaction de tous.

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« M’sieu’ l’ maire, v’nez vite ! J’ crois bin qui va y avoir un mort ! »

Au pas de course, le maire suivit l’homme qui était venu le prévenir.
Le soleil éclatait en chaleur orageuse en cette fin mai.
La cloche de l’église sonna.
Il devait être midi.
Pas une heure pour déranger le monde, alors que le repas attendait.

Au bout du champ de Guillaume Sourbel, régnait une grande agitation. Mais le calme se fit à l’approche du responsable de la commune et les personnes assemblées là, s’écartèrent pour le laisser passer.
Sur le sol, gisait Guillaume Modeste Sourbel, la jambe gauche ensanglantée. A côté de lui, son père, Guillaume Sourbel ne semblait pas être en meilleur état. Son bras droit soutenait son bras gauche dont la manche de la chemise, déchirée, laissait voir une plaie sanguinolente.
Debout, près des deux hommes, une fourche à la main, le regard vide, le teint livide,  Jacques Thomas Coulvée.

Pas besoin d’être devin, devant ce spectacle, pour comprendre ce qui venait de se passer.
Mais, quel avait été le déclencheur de tout cela.
« Encore cette vieille querelle de voisinage ! Cela ne finira donc jamais ! » pensa le maire.

Mais là, il y avait eu agression et blessures. La justice ne pouvait fermer les yeux, aussi, après avoir soigné les victimes, ce fut immédiatement que comparut Jacques Thomas Coulvée, devant le procureur.

Bien difficile à résoudre cette histoire. Ce fut la parole des Sourbel, père et fils, contre celle des Coulvée, mère et fils.
Qui avait commencé à injurier l’autre ?

Pour Guillaume Modeste Sourbel, ce ne pouvait être que le fils Coulvée.
« J’ai entendu crier, dit-il. Alors, j’suis sorti d’ la grange et c’est là qu’ j’ai vu le Coulvée frapper l’ père. Alors j’ai pris la fourche et j’y suis allé, pour l’ défendre. »

Alors Guillaume Modeste, le plaignant, expliqua, que le fils Coulvée lui avait arraché la fourche des mains et avait frappé, lui d’abord, puis son père ensuite.
Puis il montra le pansement qu’il avait en haut de la cuisse, là où les dents de la fourche avaient pénétré, puis précisa :
« L’ père a reçu un coup aussi. Une dent d’ la fourche dans l’ bras. »

La version adverse fut bien différente. Jacques Thomas raconta les faits, comme ils s’étaient passés, selon son point de vue.
« J’ me prom’nais avec la mère. On parlait. Quand l’ père Sourbel est arrivé et nous a insultés, la mère et moi, parce que, soit disant, on marchait sur son champ. Et pis, il a l’vé la main sur la mère, alors j’ai voulu l’empêcher, pour sûr. Alors, c’est là qu’ le fils est arrivé, la fourche en avant. J’ai voulu m’ défendre, pour sûr, en lui enl’vant la fourche, et le v’là qui s’ lance sur moi et qui s’embroche ! Et l’autre, le père, qui s’en mêle ! »

La veuve Coulvée confirma les dires de son fils.
Le père Sourbel certifia la version relatée par son fils.
Alors ?

Alors, il y avait eu blessures et il fallait réparation.
Le secret du verdict fut bien gardé, car il ne vint pas jusqu’à nous.

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Après tout ce sang versé en ce joli mois de mai 1822, la vie reprit son cours.
Et je suis prête à parier que Jacques Thomas, qui avait dix-huit ans, s’engagea un temps dans l’armée, afin de voir du pays et surtout de s’acheter une conduite.
Il n’y avait rien de mieux, en ces temps anciens, que l’autorité militaire pour remettre les idées en place aux jeunes écervelés !
Et ce fut sûrement efficace, car Jacques Thomas Coulvée s’assagit, épousant le 5 mars 1832, une jeune fille native de Feuguerolles, Emilie Sophie Delamare. Le couple vint s’installer à Ecauville où Jacques Thomas exerça la profession de menuisier.
Décédée, cinq mois plus tôt, le 2 octobre 1831, sa mère, Marie Geneviève Renoult, veuve Coulvée, n’eut pas le bonheur de voir son fils enfin rentré dans le rang. Son décès lui permit de ne pas vivre le drame de la mort prématurée, à l’âge de vingt-huit ans, de son dernier fils, Prosper Augustin, survenue brusquement, le 27 septembre 1837, au domicile de son frère aîné, Claude.

Jacques Thomas, lui, décéda à Ecauville, le 3 novembre 1858, à un âge pas très avancé, cinquante-quatre ans.

Ce fut en aîné de la famille que Claude Coulvée se chargea de toutes les inhumations familiales.
Propriétaire d’une petite ferme à Ecauville, il y finit sa vie, ne rejoignant sa famille au cimetière du village que le 26 novembre 1876.
Il avait bien vécu, puisque il affichait quatre-vingts printemps.

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Et les Sourbel, père et fils ?

Guillaume Sourbel décéda le 9 janvier 1832, à Ecauville, à l’âge de soixante-dix ans.
Son fils, Guillaume Modeste, le suivit de peu, car ce fut, le 17 décembre 1835, qu’il quitta ce monde. Il avait quarante-cinq ans.

Marie Victoire Renault, seconde épouse et veuve de Guillaume Sourbel et Marie Catherine Victoire Fourey, veuve de Guillaume Modeste Sourbel, réunirent leur solitude.
La première à partir, fut Marie Catherine Victoire Fourey, le 19 décembre 1844.
Puis, ce fut Marie Victoire Renault qui « ferma la marche », le 6 juin 1851.
Au moment de leur mort, la première avait soixante-trois ans et la seconde, soixante-dix-huit ans.


En voilà encore une affaire !
Et tout cela parce qu’un « derrière » avait été dévoilé !
Quand je vous disais que lire les délibérations
des conseils municipaux était une réelle aventure !
Ecauville, 17 novembre 1821.  

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